Au-delà des politiques RSE, ce modèle d’entreprise qui a vu le jour avec la loi PACTE, en 2019, entend servir l’intérêt général en s’assignant une responsabilité sociétale et/ou environnementale. Une démarche volontaire mais contraignante, qui a pour objectif de participer à la nécessaire mutation d’un monde qui doit repenser son modèle de développement.
Crises économiques et sociales, réchauffement climatique, déprédation environnementale… Ce début de siècle met en exergue les limites d’un système économique dont l’obsolescence est désormais avérée. Au cœur de cette mécanique, les entreprises avaient jusqu’alors pour seul objectif la maximisation des profits. Mais les bouleversements qui animent ce nouveau millénaire n’ont pas manqué d’éveiller les consciences, questionnant ce modèle hors-sol qui n’avait d’autre finalité que lui-même. A fortiori dans un monde globalisé et interdépendant. Et si les entreprises nourrissaient d’autres aspirations que la simple croissance de leurs bénéfices ? Si, au lieu de ne se soucier que de la rétribution de leurs actionnaires, elles s’assignaient d’autres responsabilités ? Un rôle, une mission plus collective pour accompagner et prendre part à l’impératif de changement qui s’impose au monde.
1253 entreprises ont franchi le pas
Depuis plus d’une dizaine d’années maintenant, l’idée fait son chemin. Dans le sillage de pays précurseurs comme les Etats-Unis, ou en Europe, l’Italie et le Royaume-Uni, la France s’est dotée, avec la loi PACTE, d’un texte permettant aux entreprises de repenser leur place dans la société et de s’attacher une mission. Tout d’abord en se dotant d’une raison d’être (au sens de l’article 1835 du Code civil) et en l’inscrivant dans leurs statuts. Ensuite, en se fixant des objectifs sociaux et/ou environnementaux ainsi que les modalités pour les remplir. Enfin, en les faisant valider par un organisme tiers indépendant (OTI). En substance, une entreprise devient « à mission » lorsque son modèle économique est aligné avec une raison d’être servant l’intérêt général.
A l’instar de Châteauform’ qui a franchi le pas en mars 2023 et donnait, sur le sujet, une conférence en juin dernier à laquelle participaient Emery Jacquillat, président directeur général de Camif et président de la Communauté des entreprises à mission, ainsi que Fanny Picard, pionnière en matière de finance à impact et fondatrice, en 2007, d’Alter Equity. Loin des faux-semblants, faire ce choix n’est pas un vain mot ou une opération marketing. Volontaire, cet engagement est, par exemple, plus contraignant que l’approche discrétionnaire d’une politique de responsabilité sociale et environnementale (RSE). Une sincérité et des obligations bien réelles qui expliquent notamment que, quatre ans après la promulgation du texte de loi introduisant la qualité de « société à mission », seules 1253 entreprises (à début septembre 2023) ont franchi le pas selon l’Observatoire des sociétés à mission… Mais le mouvement n’en est qu’à ses balbutiements et connaît une accélération depuis deux ans avec, notamment, la conversion l’an dernier de certains grands noms comme la Banque Postale, le Crédit Mutuel Alliance Fédérale ou encore KPMG.
Une prédisposition
Il y a, derrière, l’espoir d’un effet amplificateur. Car les entreprises sont indéniablement le plus puissant levier de la nécessaire transformation du monde. « Les Etats ne peuvent pas tout, reconnaît Emery Jacquillat. Nous savons que les trois-quarts du chemin pour atteindre les objectifs fixés par les Accords de Paris relèvent de la responsabilité des entreprises« . Une prédisposition naturelle à servir l’intérêt général qui, déjà, transpire sémantiquement dans le synonyme de « société ». Au-delà, leurs moyens financiers, leur expertise, leurs capacités de formation, d’organisation et de gestion de projets les placent intuitivement au centre de l’échiquier. Souvent montrées du doigt pour être responsables d’une bonne part des problèmes actuels, leur empreinte environnementale et sociétale en fait aussi, naturellement, la principale source de solutions pour les résoudre. Elles s’avèrent, par ailleurs, être un vecteur de changement d’autant plus efficace que l’engagement des dirigeants implique de facto celui de toutes les parties prenantes. Des collaborateurs aux actionnaires, en passant par les fournisseurs et les prestataires. De sorte que, par effet de ruissellement, la responsabilité inhérente à l’entreprise à mission infuse tout un ensemble d’écosystèmes.
Concessions et renoncements
En ce sens, associer toutes les parties prenantes et les aligner sur un même objectif de long terme est un processus aussi collaboratif que complexe. « Dans le cas de Châteauform’, la réflexion autour de notre raison d’être et la définition des objectifs que l’on voulait se fixer en tant que société à mission a nécessité de mettre en place un copilotage de différents métiers et d’expériences dans plusieurs pays, souligne Claire Schwartz, Responsable Engagement chez Châteauform’. Au-delà, répondre à cette mission se traduit aussi par de nouvelles actions, des opportunités d’innovation… Mais induit aussi des renoncements. » Précisément, vouloir faire partie de la solution, et non du problème, implique aussi d’accepter des contraintes qui s’imposent mécaniquement à l’ensemble d’un microcosme. Des concessions qui, économiquement, peuvent parfois être contre-intuitives. Comme le choix d’Emery Jacquillat, le président directeur général de Camif, de boycotter, dès ses débuts, le Black Friday. Si la démarche était cohérente, en ligne avec ses valeurs et ses convictions, elle n’a, pour autant, pas été facile à faire comprendre et accepter aux parties prenantes. Pionnier en France de la rébellion contre cet évènement de sur-consommation en 2017, Camif se voyait trois ans plus tard emboîter le pas par plus de 1000 sites de e-commerce.
Investir de façon responsable
Un effet boule de neige qui tend à valider les vertus du modèle de responsabilité collective endossé par une entreprise à mission. A plus forte raison lorsqu’elle est de nature à impacter directement la stratégie de leurs pairs comme c’est le cas en matière d’investissement responsable. Depuis plusieurs années maintenant, une part croissante d’investisseurs intègrent dans leur allocation un prisme sociétal et environnemental. « Une approche qui permet ainsi de privilégier les acteurs dont l’activité, les pratiques de gestion contribuent plus au collectif qu’elles ne lui prennent« , résume Fanny Picard. Les exigences de sélection de son fonds commandent ainsi, en premier lieu, une activité utile aux personnes et à l’environnement mais aussi un business plan extra-financier de 10 à 15 indicateurs. Le respect de ce plan conditionne une partie de la rémunération des dirigeants. Enfin, les sociétés retenues doivent se soumettre à un bilan carbone et ouvrir leur capital à l’ensemble de leurs salariés. Des critères certes contraignants qui ont néanmoins un impact tangible sur les acteurs économiques concernés et participent ainsi au changement du tissu économique dans son ensemble.
« Nous sommes convaincus que seule l’entreprise qui met l’humain au cœur, qui respecte le vivant et les territoires, a le pouvoir de transformer durablement et harmonieusement notre monde« , conclut Daniel Abittan, co-fondateur de Chateauform’. Mais si l’environnement a été, à l’origine, l’une des premières sources de motivation pour les entreprises à mission, l’aspect sociétal tend également à donner, ces dernières années, un nouvel élan à ce mouvement. Une dynamique particulièrement tangible avec l’essor des entreprises humanistes, la raison d’être choisie et revendiquée par Châteauform’. Par cet engagement, l’entreprise entend ainsi cultiver le modèle humaniste, inspirer ses clients autant qu’ils l’inspirent et créer des rencontres respectueuses des Hommes, des territoires et des vivants.
Commentaires