Management & RH

La dynamique du progrès humain

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Quelles sont les efforts que nécessite la dynamique du progrès et comment l’accélérer ?

Avons-nous vraiment besoin d’une nouvelle discipline universitaire ? Patrick Collison (cofondateur de Stripe, une société d’infrastructure logicielle) et Tyler Cowen (professeur d’économie à l’université George-Mason et auteur de « The Great Stagnation ») jugent utile de créer un nouveau champ d’investigation qui se consacrerait à « l’étude du progrès ».

« Nous avons besoin d’accomplir d’importants progrès sur de multiples fronts », écrivent-ils dans un article de la revue « Atlantic » abondamment commenté.

Mais il n’existe pour l’instant aucun domaine de recherche et de pratiques qui vise exclusivement à déterminer comment progresser plus sûrement et plus rapidement. Certes, d’innombrables travaux de recherche sont publiés sur la question ; ils apportent des éléments de réponse selon des angles différents, mais émanent souvent de domaines très divers, au sein desquels les experts se consultent peu. Pour Patrick Collison et Tyler Cowen, un effort plus concerté est donc nécessaire pour comprendre la dynamique du progrès et comment l’accélérer.

Un lien évident avec le management

Mais, d’après la description qu’ils en donnent, cette science du progrès ressemblerait fortement, à notre sens, à la discipline du management, et plus précisément à celle du management de l’innovation. Patrick Collison et Tyler Cowen expliquent, en effet, que cette nouvelle discipline se situerait à la croisée de l’économie, de l’ingénierie, de la sociologie et des sciences — tout comme le management a toujours été pensé comme une discipline de synthèse. Ils soulignent que, à l’instar de la médecine, leur nouveau domaine serait normatif – il ne s’agirait pas simplement d’étudier la réalité, mais aussi d’établir ce que l’on devrait faire à l’avenir et d’améliorer les pratiques adoptées.

Selon eux, l’étude du progrès « tenterait d’élaborer des politiques et des prescriptions qui contribueraient à améliorer notre aptitude à obtenir des progrès utiles à l’avenir ». Cette orientation est une caractéristique de la discipline très prescriptrice du management. Nous nous posons donc la question suivante : pourquoi ne pas reconnaître tout simplement que l’étude du progrès existe déjà sous l’appellation de « sciences du management » ?

Notre discipline pourrait (et devrait) certes se réorienter de façon à mettre davantage l’accent sur l’innovation et sur l’obtention d’effets positifs à plus grande échelle pour l’être humain, mais pourquoi ne pas la faire évoluer dans ce sens au lieu de fonder une toute nouvelle discipline, tâche herculéenne s’il en est ?

Mais, d’un autre côté, force est d’admettre qu’être ainsi annexé par un nouveau domaine d’études est peut-être ce que la discipline du management mérite et que ce changement d’image pourrait même être ce dont elle a besoin pour atteindre son véritable potentiel. De plus, la décennie en cours est peut-être l’époque idéale pour redynamiser la finalité de nos travaux, en ayant le plus d’impact.

D’après le baromètre de confiance d’Edelman, une enquête mondiale de longue durée, le management a le vent en poupe. Alors même que, dans le monde entier, « le tissu social s’affaiblit sur fond de divisions croissantes » et que la population fait de moins en moins confiance aux institutions et à leur leadership, jugé défaillant.

Edelman a constaté en 2023 que « l’entreprise est la seule institution considérée comme compétente et éthique ». Et cette réputation en hausse est une tendance depuis quelques années.

Partout, la confiance accordée aux entreprises – les entités les plus étroitement associées à la discipline du management et dont les dirigeants sont les mieux formés à ce domaine – est plus importante que par le passé, et bien supérieure à celle accordée aux autres grandes institutions qui façonnent les sociétés, comme les gouvernements et les médias.

Si l’on considère que, pour donner le meilleur d’elle-même, toute discipline a besoin de trois grands fondements formant un trépied sur lequel s’appuyer, il y a tout lieu de penser que la discipline du management dispose déjà de deux d’entre eux : l’accès à un ensemble d’outils ayant fait l’objet de nombreux travaux de recherche, qui se composent de pratiques et de connaissances utiles, et la confiance du grand public nécessaire à la mise en pratique de cet ensemble d’outils. Le seul fondement qui manque encore est une finalité collective source d’inspiration.

Une motivation collective

Nous sentions déjà le besoin de remédier à ce manque il y a quinze ans, lorsque nous avions réuni un ensemble d’illustres « maîtres à penser » et de hauts dirigeants pour commémorer le centenaire de la naissance du grand « fondateur du management », Peter Drucker.

Dans ses nombreux ouvrages (plus de quarante), ses innombrables articles et à travers son rôle de proche conseiller auprès de multiples PDG, Peter Drucker a, plus que tout autre, structuré une discipline qui, dans la période de l’après-guerre, venait à peine de naître.

Nombreux sont ceux qui, en 2009, ont souhaité participer à une conférence organisée en sa mémoire dans sa ville natale de Vienne, conférence qui ne devait initialement avoir lieu que cette année-là. S’il a ensuite été décidé d’organiser de nouveau le Drucker Forum l’année suivante (et tous les ans depuis), c’est parce que tous ceux qui y ont assisté avaient consacré leur carrière au domaine du management et se sentaient redynamisés par les ambitions que Peter Drucker nourrissait pour ce domaine. Ils souhaitaient vivement revenir à cette vaste approche de la discipline qui les avait initialement séduits , mais qui avait fini par perdre de son ampleur au fil des années.

On dit souvent aujourd’hui qu’il est impératif de définir la finalité ou la mission d’une organisation. Ce qui était auparavant considéré comme une motivation purement individuelle est maintenant une condition essentielle à satisfaire pour intégrer des individus de divers horizons et susciter une collaboration créative. Tant qu’une entreprise n’a pas défini de noble objectif que ses membres peuvent atteindre, elle ne tirera pas le meilleur parti de leurs efforts, aussi vaillants soient-ils. Mais il est tout aussi vrai que des secteurs d’activité entiers peuvent dépérir ou au contraire prospérer en fonction de leur degré de finalité commune.

Une vision trop restrictive

La discipline du management a elle-même nui à sa propre raison d’être en laissant son image se réduire à la recherche de la maximisation de valeur pour les actionnaires. Certes, les partisans de cette quête des années 1980 ont permis d’injecter une rigueur et une clarté qui faisaient depuis longtemps défaut à de nombreuses entreprises affaiblies par le clivage mandant-mandataire. Mais ces effets positifs ont eu des retombées fort regrettables sur la finalité de notre discipline, qui a été présentée sous ses aspects les moins passionnants. Le rétrécissement de nos aspirations se manifeste tout aussi clairement aujourd’hui par les articles publiés sur le management, qui tendent à privilégier une portée très restreinte : les conseils à prodiguer aux plus ambitieux d’entre nous.

D’excellentes études continuent certes de paraître sur de nouvelles idées visant à créer de la valeur et à améliorer le fonctionnement des organisations. Mais, pour chaque grand ouvrage de management proposant de mieux comprendre la stratégie, ou les opérations des entreprises ou encore les technologies émergentes, on en compte une cinquantaine d’autres consacrés au développement personnel managérial et aux méthodes à suivre pour être reconnu et récompensé pour ses aptitudes de leader. Ces sous-catégories ne sont bien sûr pas sans intérêt, mais elles ne devraient pas définir à elles seules une discipline qui a le potentiel de faire avancer des civilisations, et pas seulement une carrière.

L’accent sur le progrès humain

Dans ces conditions restrictives, mettre de nouveau fortement l’accent sur le progrès humain comme finalité du management pourrait constituer une mesure correctrice très utile.

Cela pourrait permettre de donner une nouvelle motivation à des managers qui semblent se résigner à être irrémédiablement associés aux personnages de Dilbert ou de Michael Scott, le directeur de la série « The Office ».

Mettre l’accent sur le progrès humain correspond d’ailleurs tout à fait aux raisons qui ont conduit Peter Drucker à élaborer la discipline du management et à considérer qu’elle avait un rôle vital à jouer. Sans être un homme d’affaires, cet historien farouchement opposé au totalitarisme avait compris que, pour rester saines, les sociétés devaient comprendre de multiples formes d’institutions influentes et compétentes répondant aux besoins de la population. Il était également persuadé que cet ensemble dynamique d’institutions non gouvernementales ne pouvait subsister bien longtemps si les entreprises qui en faisaient partie ne fonctionnaient pas de façon optimale.

Pour Peter Drucker, le management était un moyen d’action primordial : c’était la possibilité, qui devait être améliorée dans les secteurs commercial et social, d’atteindre un objectif de plus haute portée : des sociétés en paix et plus prospères. Il est connu avant tout comme penseur du management, qui s’intéressait en fait avant tout au progrès. Aujourd’hui encore, le management reste essentiel au progrès humain, mais pour amener les institutions de notre époque à fonctionner de façon optimale, c’est le management lui-même qui doit progresser en tant que discipline.

Bon nombre d’entre nous souhaitent voir un « management 2.0 » : une reconfiguration majeure ou une renaissance qui permettrait de remanier une discipline ancrée dans un passé industriel pour l’adapter à une époque où les anciennes contraintes ont disparu et où de nouveaux risques ont fait leur apparition. Face aux perspectives et aux dangers liés à l’évolution rapide des outils d’intelligence artificielle, il est encore plus pressant de réactualiser notre compréhension des principes de management.

Et, surtout, nous devons tous reconnaître que, pour parvenir à l’excellence managériale, la profession de manager se doit d’attirer d’excellents éléments. Cela sera plus facile lorsque les managers ne seront plus perçus comme de simples « maximisateurs » de la valeur actionnariale, de laborieux bureaucrates ou encore de grands ambitieux uniquement préoccupés par leur propre intérêt. A l’heure où le management bénéficie d’une forte confiance, nous avons la possibilité d’élever cette discipline et de faire de ses meilleurs penseurs et praticiens de grands apôtres du progrès.

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