Être en mesure d’anticiper et de réguler ses réactions émotionnelles en situation de crise est le « must have » des leaders efficaces. Et l’imagerie mentale, un outil précieux pour y parvenir.
Mardi 31 août 2021. L’annonce de l’endettement abyssal du géant chinois de l’immobilier Evergrande est un séisme. Sidérés, de nombreux dirigeants à travers le monde ont aussi peur, car ce cataclysme rappelle les prémices de la crise de 2008. Inconsciemment, leur système attentionnel se focalise sur les éléments qui alimentent et favorisent cette peur. C’est ce qu’on appelle l’attention sélective. Ils sont alors incapables d’analyser la portée de cette information : est-ce réellement une menace pour leur entreprise ? Seule la partie des informations qui soutient la peur revient en mémoire. Même si d’autres indicateurs sont plus positifs, le cerveau ne les intègre pas immédiatement. Et en tant que dirigeant, ne pas anticiper ce type de biais émotionnel, c’est annihiler ses chances de faire face efficacement à une situation de crise.
Etat réfractaire, votre meilleur ennemi
Nos émotions changent la façon dont nous voyons le monde : c’est ce que le psychologue Paul Ekman appelle le biais émotionnel. D’après ses travaux, quand une émotion survient, nous nous trouvons dans un état réfractaire pendant une à deux secondes. Durant ce laps de temps, impossible d’intégrer des informations qui ne concordent pas, n’entretiennent pas ou ne confirment pas l’émotion ressentie.
« N’oublions pas que les petites émotions sont les grands capitaines de nos vies et qu’à celles-là nous y obéissons sans le savoir. » Vincent Van Gogh
Dans de nombreuses situations, les biais émotionnels sont très utiles et contribuent à focaliser notre attention. Qu’on le nomme intuition, feeling ou autre, cet automatisme n’est rien d’autre qu’une préférence émotionnelle pour un choix ou un autre. Il est d’ailleurs souvent considéré comme la plus haute forme d’intelligence. Malheureusement, un état réfractaire qui dure trop longtemps devient l’ennemi juré des décideurs avisés, car il altère notre perception de l’environnement ainsi que notre capacité à traiter de nouvelles informations et à utiliser nos connaissances.
Crise et surprise, catalyseurs de biais émotionnels
Une crise est un formidable déclencheur de biais émotionnels. Hors du cadre habituel des incidents connus, il faut s’organiser en urgence, prendre en compte les options, trouver des solutions innovantes… tout en faisant face à des montagnes russes émotionnelles.
Au niveau cérébral, c’est l’amygdale dans le système limbique qui est l’artisan principal des biais émotionnels. La surprise est une des émotions à surveiller à la loupe. Intense, elle impacte d’autant plus les systèmes attentionnels. Imaginez donc la stupéfaction ressentie par Thomas, entrepreneur à succès prétendant à une cotation boursière, quand il découvre le repli du CAC40 à la suite des difficultés d’Evergrande. Si, dans un premier temps, la surprise permet de focaliser son attention efficacement, elle va rapidement laisser place à une autre émotion : peur, colère ou euphorie… C’est l’interprétation mentale de la situation qui en décidera. Et c’est à ce moment précis que le risque de voir le biais émotionnel déformer la réalité est à son paroxysme.
Chaque émotion a un effet particulier. Alors que la peur nous amène à faire des choix raisonnables, la joie ou la colère, au contraire, nous encouragent à prendre des risques. Pas facile pour Thomas, dont les plans d’entrée en Bourse s’effondrent, de se contrôler quand la nervosité des marchés et la frilosité des investisseurs ne cessent d’alimenter sa colère. Dans ces moments-là, on attend d’un leader du sang-froid, du calme, mais aussi le courage de prendre les décisions qui s’imposent sans impulsivité ni passivité. La mauvaise nouvelle : moins Thomas sera capable de réguler efficacement ses émotions, plus il sera impacté par les biais.
L’imagerie mentale, une amie qui vous veut du bien
Les travaux de Melissa Hunt et Miriam Fenton, du département de psychologie de l’université de Pennsylvanie, avancent que la réactivité émotionnelle de l’amygdale peut être modulée par l’imagerie mentale. Visualiser mentalement est donc une piste pour sortir de la période réfractaire sidérante liée à la surprise. Pour y arriver, cinq temps sont nécessaires :
- Observer.Identifiez les habitudes et les comportements qui traduisent la surprise chez vous. Remémorez-vous une scène en particulier : demande en mariage, accident de la route, etc. Cela peut prendre de multiples formes : agitation, souffle coupé, bouche bée, voix étranglée, peau plissée, sourcils levés, yeux écarquillés…
- Sentir.Ressentez en pleine conscienceles sensations physiques de ces moments-là. Dans le cadre de l’imagerie mentale, les aspects sensoriels sont fondamentaux pour évoquer les émotions. Fermez les yeux. Repérez la ou les zones du corps traduisant la surprise : visage, mains, jambes, cœur, poumons… Posez une ou deux mains sur la ou les zones identifiées et imprégnez-vous des sensations ressenties pendant une minute : température, contraction, picotements…
- Nommer. « Etiquetez » l’émotion afin de diminuer l’activité amygdalienne. Dites-vous intérieurement : « Je remarque que je ressens de la surprise. »
- Lâcher prise.Laissez aller la surprise pour ne pas qu’elle déclenche une autre émotion. « J’ai noté que je ressentais de la surprise. » Ne l’entretenez pas. Ne l’alimentez pas. Prenez de la distance. Ainsi, vous évitez d’adhérer à ce ressenti et favorisez votre adaptabilité.
- Agir avec sérénité.Visualisez-vous adoptant une attitude calme et sereine. Imaginez-vous prenant en compte toutes les options possibles, analysant la situation et décidant courageusement. Se visualiser à la première personneest à privilégier. L’objectif est d’éviter un comportement dysfonctionnel (par exemple, l’impulsivité liée à la colère) afin de faire face à cette situation inattendue.
Le cerveau, un « muscle » pas comme les autres
Gardez à l’esprit qu’acquérir les bons réflexes nécessite du travail, prend du temps, demande des efforts et de la persévérance. Les connexions neuronales activées par le biais des cinq étapes précédentes seront renforcées par un entraînement régulier et une exposition à des situations concrètes de crise. C’est par l’expérience que les pilotes d’avion, les forces d’assaut ou les sportifs de haut-niveau sont capables de faire preuve de sérénité et de calme face à l’imprévu.
La plasticité neuronale permet au cerveau de se reconfigurer à chaque expérience et de s’améliorer à chaque entraînement, alors musclez-le. Grâce à l’imagerie mentale, il est tout à fait possible d’améliorer durablement ses compétences en situation de crise.
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