Entrepreneuriat

ANKA, la startup d’e-commerce qui veut « libérer l’entrepreneuriat africain »

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Créée en 2016 pour aider les artisans africains à vendre leurs produits dans le monde entier, la marketplace Afrikrea a depuis bien grandi. Devenue Anka en 2020, la start-up basée à Abidjan vient d’annoncer une nouvelle levée de fonds de 5 millions de dollars (4,68 millions d’euros). Retour sur le parcours d’une entreprise dont le modèle inspire les jeunes entrepreneurs du continent.

Par Stéphanie O’Brien

Cinq millions de dollars. Un peu plus d’un an après une levée de fonds de 6,2 millions de dollars (un peu moins de 6 millions d’euros), Moulaye TabouréAbdoul Kadry Diallo et Luc Boubakar Perussault Diallo ont visé haut. Très haut. Ce vendredi 14 septembre, International Finance Corporation [la Société financière internationale, organisation du Groupe de la Banque mondiale dédiée au secteur privé, NDLR], Proparco et la BPI France [Banque publique d’investissement française ayant pour but le financement et le développement des entreprises, NDLR] ont confirmé un investissement de 5 millions de dollars (environ 4,7 millions d’euros), ce qui porte à plus 13,5 millions de dollars (12,6 millions d’euros) la somme totale levée par le trio depuis la création d’Afrikrea en 2016. La société devrait renforcer sa présence dans les pays clés où elle a enregistré une forte croissance pour le nombre de vendeurs (Nigéria, Kenya), et aux États-Unis pour le nombre d’acheteurs et d’abonnés. En outre, Anka prévoit également d’utiliser l’investissement pour recruter activement des talents commerciaux, techniques et de produits afin de catalyser sa croissance. Depuis sa dernière injection de capital en 2022, Anka a presque doublé ses marges, et son chiffre d’affaires a été multiplié par 18, passant de 200 000 euros à 3,6 millions d’euros. « Nous sommes ravis de voir notre vision pour nos vendeurs et nos clients se concrétiser à une échelle sans précédent. Ce nouveau cycle d’investissement de nos partenaires est crucial pour faire avancer la créativité et l’innovation, dont nous savons qu’elles sont le fer de lance du continent, et qui s’expriment plus que jamais sur la scène mondiale », se réjouit Moulaye Tabouré, CEO de la structure. La bonne nouvelle, bien que très attendue, va un peu bousculer l’organisation de la start-up basée à Abidjan, et qui compte aujourd’hui 39 employés répartis sur 5 continents. « En dessous de 1 million d’euros et jusqu’à 12 salariés, ça reste simple et les problèmes sont gérables. Mais l’an prochain, on va frôler les 4 millions d’euros de chiffres d’affaires, donc nous allons sûrement être audités et nous aurons plus de comptes à rendre », commente avec philosophie l’entrepreneur qui ne craint pas de perdre sa liberté de décision. « Nos investisseurs croient en notre croissance et partagent notre vision donc nous conservons notre autonomie ». Cette vision, ils l’ont construite au fil des ans, en surmontant bien des obstacles et en apprenant de leurs erreurs ainsi que de celles des autres. « Beaucoup de sociétés ont dû arrêter, car elles ont cru que l’e-commerce était juste un canal de vente comme les autres, avant de réaliser que c’était vraiment un métier », analyse le trentenaire.

D’Afrikrea à Anka

Forts de ce constat, les cofondateurs d’Afrikrea ont développé en 2020 une solution de services logistiques et financiers qu’ils appellent Anka (« le nôtre » en bambara et en dioula). Devenue le nouveau nom et le fer de lance de la start-up, Anka est la seule solution d’e-commerce africaine capable d’exporter dans plus de 175 pays. Même DHL s’y est cassé les dents et a dû fermer DHL Africa eShop en 2021, après seulement deux ans d’activité. Lancée en partenariat avec DHL et Visa, cette solution SaaS [« Software as a Service » ou en français : « logiciel en tant que service », solution logicielle applicative hébergée dans le cloud et exploitée en dehors de l’organisation ou de l’entreprise par un tiers, aussi appelé fournisseur de service, NDLR] permet aux abonnés de vendre via les réseaux sociaux, d’expédier à l’international, de gérer de façon simple leurs expéditions et leurs opérations, et d’être payés via diverses solutions de paiement. Depuis son lancement, la plateforme est devenue le premier exportateur africain avec DHL, offre ses services à plus de 20 000 vendeurs inscrits dans 47 pays africains et 100 dans le monde, a traité plus de 50 millions de dollars (près de 47 millions d’euros) de transactions à l’international, et ambitionne d’embarquer plus de 100 000 vendeurs africains d’ici 2030. La plateforme Afrikrea totalise quant à elle plus de 7 000 boutiques et enregistre plus de 500 000 visites par mois.

La success-story d’Anka démarre en 2013, lors d’une énième conversation entre Kadry et Moulaye sur « l’état déplorable de l’Afrique » et le potentiel du made in Africa. Décidés à changer les choses, les deux jeunes cadres parisiens, originaires du Mali, veulent aider les artisans africains à vendre leurs créations en dehors du continent. Avec plus de cœur que de raison, ils se lancent dans l’aventure entrepreneuriale « pour le fun » et « sans rien connaître à la tech ni à l’e-commerce, encore moins les levées de fonds », avoue Moulaye. Les deux apprentis entrepreneurs jonglent entre la gestion d’Afrikrea et leurs jobs de consultant pour Moulaye et de chef de projet pour Kadry. Au bout de deux ans d’existence, leur marketplace, qui compte alors 3 000 références de mode et d’artisanat africain, est repérée par les organisateurs du salon Who’s Next, qui leur proposent d’exposer sur l’espace « Mode afropolitaine ». La presse féminine est au rendez-vous. Problèmes d’approvisionnement, respect des normes et des délais de livraison… Moulaye partage les premières difficultés rencontrées dans un article paru dans Madame Figaro. Mais la tendance wax connaît un formidable essor en Europe, et les deux associés comprennent que c’est le bon moment pour se consacrer entièrement au développement d’Afrikrea.

” Notre mission est de libérer l’entrepreneuriat africain “ 

Moulaye Tabouré , CEO d’Anka

Prouver qu’il est possible de créer une entreprise qui performe mondialement depuis l’Afrique

Le duo d’entrepreneurs quitte Paris pour Lille, où ils ne connaissent personne, et disent adieu à leur vie professionnelle, sociale et familiale. Ils font alors la rencontre qui va changer le cours de l’histoire d’Afrikrea : Luc Boubakar Perussault Diallo. Ancien membre des Marines reconvertit dans l’e-commerce depuis 20 ans, Luc décide de rejoindre Kadry et Moulaye dans l’aventure en tant que Chief Technology Officer [ou Directeur des Nouvelles Technologies, en charge de l’innovation technique et du déploiement de technologies adaptées au développement et à l’efficacité des activités d’une entreprise, NDLR]. Ensemble, ils refondent entièrement le site en s’inspirant d’Etsy (société américaine de vente en ligne, fondée en 2005, spécialisée dans les créations artisanales, le fait main, et le vintage) et A Little Market (plateforme française de produits faits à la main lancée en décembre 2008). Entre mars et décembre 2016, le site passe de 5 000 à plus de 60 000 euros de transactions par mois. « L’expérience de Luc nous a évité bien des écueils. En fait, pour réussir un projet ce qui compte ça n’est pas l’idée, mais les gens qui vous entourent », insiste Moulaye. Encouragés par ces résultats mais sans un sou vaillant en poche, ils se tournent alors vers les investisseurs pour développer leur marketplace et obtiennent 50 000 euros de fonds de Showroomprivé (site de vente événementielle en ligne et principale filiale de SRP Groupe, société cotée à la bourse de Paris), dont ils intègrent aussi l’incubateur. Forts de cette expérience et plus aguerris, ils décident de se rapprocher de leurs clients artisans et créateurs et s’installent à Abidjan pour « prouver qu’il est possible de créer une entreprise qui performe mondialement depuis l’Afrique ». Un choix payant : en 2018, la plateforme compte plus de 50 000 utilisateurs dans 145 pays et enregistre en moyenne 230 000 visites par mois. 

” Se concentrer sur les points forts, plutôt que d’essayer de compenser ou d’améliorer ses faiblesses “.

Jo Tsai, cofondateurs d’Alibaba.com

Un chiffre d’affaires multiplié par cinq pendant la Covid

Portés par l’ambition de construire la version africaine d’Amazon, les trois startupers n’ont plus qu’un mot en tête : la croissance. Lever des fonds devient alors la clé pour assurer le développement de leur business modèle. En 2019, la start-up participe au concours Africa’s Business Heroes, créé par les milliardaires chinois Jack Ma et Jo Tsai, cofondateurs d’Alibaba.com. Classée dans le Top 10 sur près de 10 000 candidats, Afrikrea ne remporte pas de prix, mais repart avec le numéro de téléphone professionnel de Jo Tsai et un conseil de Jack Ma : « Se concentrer sur les points forts, plutôt que d’essayer de compenser ou d’améliorer ses faiblesses ». Après un an d’appels et de relances, Moulaye obtient un rendez-vous avec Jo Tsai en pleine pandémie de Covid-19. « Alors que toutes les entreprises se mouraient, nos volumes de ventes ont été multipliés par 10 et notre chiffre d’affaires par 5 », se souvient Moulaye. Convaincu par la résilience, la vision et les chiffres de la start-up, le milliardaire taïwano-canadien investit 1 million d’euros. Début 2022, l’entreprise décroche au total 5, 4 millions d’euros auprès de plusieurs investisseurs, dont le milliardaire danois Anders Holch Povlsen qui conseille à Moulaye de « voir plus grand »« La réalité, ça n’est pas que les gens ne veulent pas investir en Afrique, c’est que nous n’avons pas les chiffres, la taille, ni la vélocité de croissance qui justifient de plus gros investissements », regrette l’entrepreneur qui anime une formation dédiée à la levée de fonds sur Irawo. Le trentenaire, qui s’est imposé comme le meilleur VRP d’Anka, documente d’ailleurs les hauts et les bas des startupers dans des articles sur le site Medium et à travers des podcasts vidéo sur YouTube.

« Nous avons mis près de 10 ans pour en arriver là et nous avons traversé beaucoup de galères. J’aimerais que les prochains entrepreneurs africains fassent cela en 4 ou 5 ans. Je ne veux pas qu’ils repartent de zéro et refassent les mêmes erreurs que nous ». Malgré les 13, 5 millions de dollars investis et une croissance annuelle moyenne de 140 % sur les cinq dernières années, Anka n’est toujours pas une entreprise rentable. « Nous avons été rentables en 2019 et ça n’a pas du tout plu à nos investisseurs. Pour eux, ce qui compte, ça n’est pas de financer une entreprise gérée en bon père de famille, mais d’avoir un retour sur investissement basé sur de la croissance et sur la valorisation de l’entreprise ». Alors quand on l’interroge sur l’avenir de la structure qu’il a cofondée, le jeune CEO pense d’abord à la croissance de ses clients. « Les vendeurs qui nous rejoignent augmentent leur chiffre d’affaires de 50 % en moyenne par an. Notre objectif est de doubler ce chiffre pour que cela crée des emplois un peu partout sur le continent. Notre véritable mission c’est de libérer l’entrepreneuriat africain et d’atteindre le même niveau que PayPal pour tous les entrepreneurs du continent ».

 ” La réalité, ça n’est pas que les gens ne veulent pas investir en Afrique, c’est que nous n’avons pas les chiffres, la taille, ni la vélocité de croissance qui justifie de plus gros investissements “.

Le milliardaire danois Anders Holch Povlsen

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