Entrepreneuriat

Assurance-santé : la révolution du Big data

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L’exploitation croissante des mégadonnées – le Big Data- rebat les cartes dans le secteur des assurances, notamment sur le segment santé. Une révolution numérique riche en opportunités mais où les défis à relever ne manquent pas.

Indissociable de la digitalisation accélérée de l’économie et de l’explosion du volume des données transitant par les supports numériques (smartphones, tablettes, ordinateurs…), l’exploitation du Big Data devient un enjeu commercial majeur. Un constat qui n’a pas échappé aux assureurs, eux dont la donnée est au cœur de l’activité (souscription des polices d’assurance, tarification, suivi des risques, gestion des sinistres …) et qui, depuis longtemps déjà, embauchent des bataillons d’actuaires pour évaluer au mieux leurs risques. « Dans l’absolu, plus le volume de données à analyser est important, plus l’estimation de l’actuaire est juste », résume Théoneste Mutabazi, statisticien chez l’assureur UAP, au Rwanda.

Une meilleure connaissance des clients

Aujourd’hui pourtant, la volumétrie des données est telle que seules des capacités machine peuvent traiter et exploiter de manière efficiente ces masses de renseignements. En conséquence, le Big Data est un outil permettant d’obtenir une « meilleure connaissance [des clients] et un meilleur contrôle des risques […], notamment en Afrique », explique notre interlocuteur. En Afrique du Sud, par exemple, l’assureur Discovery (voir encart à la page 89), précurseur en matière d’assurance santé comportementale, ajuste ses tarifs en permanence, au moyen de cartes de fidélité ou de bracelets connectés, qui suivent en temps réel les actions de ses adhérents (contrôle des achats auprès de supermarchés partenaires, fréquence des passages dans les salles de sport agréées…). Autant de données qui seront ensuite analysées, interprétées et exploitées grâce à un traitement très poussé du Big Data.

Autant de solutions novatrices rendues possibles grâce au Big Data et qui dessinent les contours des produits d’assurance de demain. De fait, pour les assureurs, « l’enjeu est de pouvoir accéder à un maximum de données sur leurs clients afin d’estimer au mieux les risques encourus tandis que les assurés estiment pour leur part qu’ils ne devraient payer qui ce qui correspond exactement à leur risque », relèvent les équipes de l’éditeur de logiciels Okayo, spécialisé dans les produits d’assurance. Créée en 2017, la start-up nigériane Curacel s’est notamment spécialisée dans l’intelligence artificielle (IA) pour détecter les pratiques de fraude à l’assurance. Un service qui a fait mouche auprès d’assureurs tels que Liberty Health, AXA ou encore Old Mutual. Les appareils numériques, sources potentielles de données, ne manqueront pas en tous les cas : le cabinet de recherche spécialisé IoT Analytics estime ainsi à 14,4 milliards le nombre d’objets en 2022 ; un chiffre qui devrait atteindre 27 milliards en 2025.   

Défis

Reste que les applications du Big Data au secteur de l’assurance ne sont pas sans soulever un certain nombre de problèmes. Pierre Nsenga, un spécialiste des assurances à Kigali, s’inquiète ainsi du fait qu’une « offre de couverture toujours plus individualisée risquerait d’attirer en premier lieu les personnes les plus exposées au risque- ce que les assureurs appellent l’anti-sélection-, et qu’elle pourrait potentiellement exclure certaines catégories d’assurés, avec une tarification disproportionnée  par rapport au risque encouru ».  Certains régulateurs nationaux, à l’image des Etats-Unis ou de l’Afrique du Sud, autorisent du reste déjà les compagnies d’assurance à fixer un « juste prix », aligné sur le coût individuel de l’assuré, et donc potentiellement discriminatoire. Autre inquiétude, la sécurisation des données client. « Dans un contexte de rapide évolution technologique et de risques opérationnels croissant liés aux infrastructures informatiques (cybercriminalité par exemple), cette question devient en effet sensible, notamment en Afrique », décrypte Pierre Nsenga. Le continent devra également relever un autre défi, celui de la faiblesse des ressources humaines locales, formées aux métiers du Big Data. « A quelques exceptions près, les assureurs africains exploitent encore mal les données dont ils disposent, par faute de personnel spécialisé et de systèmes d’information souvent vétustes et non agrégés », déplore Léonard Nsabimana.

Nouveaux acteurs

Enfin, dans un monde où la technologie fait s’effondrer les murs séparant différents marchés et secteurs, les sociétés d’assurance africaines pourraient bien un jour être concurrencées par de nouveaux acteurs, issus du secteur des TIC. Google, Meta (anciennement Facebook) et les opérateurs télécoms font d’ores et déjà partie du quotidien de millions d’africains et disposent de volumes considérables de renseignements, générés par les utilisateurs eux-mêmes. Au vu du succès actuel des formules « connectés » (téléphones, voitures, maisons, bracelets), qui tirent leur efficacité d’une exploitation poussée des données recueillies, il n’est donc pas impensable d’imaginer que ces entreprises technologiques proposeront demain leur propres polices d’assurance, notamment sur le segment santé.  

Discovery, pionnier mondial de l’assurance-santé comportementale

Lancé en 1994 par l’assureur sud-africain Discovery, le programme Vitality est la première assurance santé au monde à avoir eu l’idée de récompenser ses adhérents adoptant un mode de vie sain. Un pari osé qui a marché au-delà de toute espérance : la formule, développée sur le continent, est aujourd’hui une référence mondiale avec plus  de 2 millions de clients en Afrique du Sud et 17 millions d’assurés affiliés recensés dans le monde via des partenariats avec d’autres sociétés d’assurance (Prudential, Humana, John Hancock, Ping An, AIA, Generali) dans d’autres pays (Australie, Chine, États-Unis, Royaume-Uni et Singapour…).  

Là où l’assurance traditionnelle a pour objectif d’intégrer le risque à son modèle- et non de la prévenir- le coup de génie du « modèle à valeur partagée » de Discovery consiste à assumer une démarche résolument proactive avec des incitations susceptibles de faire baisser le taux de probabilité de survenance de la maladie. Concrètement, l’adhérent gagne des points lorsqu’il réalise un certain nombre d’actions considérées comme bénéfiques pour son hygiène de vie : achat de produits frais, fréquentation des salles de sport, bilan de santé régulier. Autant d’actes et de schémas prédictifs individuels que Discovery peut ensuite analyser et exploiter à bon escient grâce à une utilisation massive des technologies (Big data, intelligence artificielle…). Pour les assurés « actifs », un large éventail de gratifications est proposé selon le nombre de « points vitalité » accumulés : baisse des cotisations, places de cinéma, rabais sur certains articles diététiques vendus chez des distributeurs agréés, billets d’avion à prix cassés…

Une générosité qui est tout sauf désintéressée : selon les données publiées par Discovery, le taux d’hospitalisation des personnes impliquées dans le programme Vitality serait inférieur de 9,6 % à celui constaté chez les personnes considérées comme inactives, ce qui réduit d’autant les charges financières supportées au final par l’assureur. Et histoire de compresser encore plus les coûts associés aux récompenses, le groupe sud-africain a multiplié les alliances avec des sociétés partenaires (supermarchés Pick ‘n’ Pay ou Woolworths, compagnies aériennes Kulula et Emirates…) qui s’engagent à assumer une partie des coûts du programme, en échange d’un volume additionnel significatif de clientèle.

Pas étonnant dans ces conditions que l’assureur ait décidé de répliquer sa formule comportementale en dehors de la santé puisque Discovery propose également des schémas incitatifs dans l’assurance auto- en récompensant ses adhérents qui conduisent prudemment- et depuis 2019, dans le domaine bancaire, avec le programme Vitality Money de Discovery Bank. Là encore, cherchant à mettre le concept marketing de « nudge » (coup de pouce) au service de la banque, le groupe sud-africain a développé une offre financière au service du bien-être financier de ses clients (taux d’intérêt et récompenses dynamiques, ajustés en fonction du comportement financier) ;  … et du sien : dévoilés en février, les bénéfices du groupe pour l’année 2021 se sont chiffrés à 2,876 milliards de rands (172 millions d’euros), en hausse de 26 % par rapport à l’exercice précédent.

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