L’holacratie, un mot dont on va parler…
Utopie ou prochaine lubie ?
Etre salarié, sans hiérarchie, tout en étant décideur. Plus de chef, plus de poste attitré, et des entreprises qui s’auto-organisent. Non vous ne rêvez pas, telle est l’holacratie, développée en 2001 par Brian Robertson, dirigeant d’une société d’édition de logiciels outre-Atlantique, encore contre-intuitive aujourd’hui, mais toujours plus répandue. « J’étais fasciné par ces entreprises incapables de profiter pleinement du talent des uns des autres, à cause d’un lien de subordination figé », se souvient Bernard Marie Chiquet, fondateur de la société iGi Partners, spécialisée dans la recherche et dans l’accompagnement des organisations vers l’holacratie. « C’était l’outil qui manquait », se réjouit l’ancien consultant chez E&Y qui l’a découvert il y a huit ans.
Des organisations plus « flat » dans un premier temps
Les couches hiérarchiques ont tendance à se résorber dans les structures pour accroître la vitesse de communication et la réactivité. Mais pas seulement. « Cela permet de donner plus de responsabilités aux salariés », insiste David Layani, président fondateur du groupe Onepoint, société de conseil et de services dans le numérique qui applique les principes de l’entreprise libérée. Pour cet entrepreneur désormais à la tête de 2000 collaborateurs dans le monde, « les nouvelles générations veulent constater l’impact direct de leurs actions, cherchant à évaluer les risques, à décider d’eux-mêmes. L’entrepreneuriat se répand partout dans l’entreprise, sous forme d’intrapreneuriat, mais aussi lorsque les salariés fondent des communautés d’intérêt complémentaires à leurs activités ». Dans les faits, chez Onepoint, il n’y a que trois niveaux hiérarchiques, mais aussi trois communautés. « Les salariés peuvent appartenir à deux communautés. Nous prêtons beaucoup plus d’attention au leadership qu’au hiérarchique, dans une entreprise qui devient une plateforme collaborative. »
Demain un monde complètement plat ?
Cette tendance débouche dans sa forme extrême sur l’holacratie, système révolutionnaire puisque le pouvoir et le modèle pyramidal des structures hiérarchiques traditionnelles disparait. Finies aussi la fiche de poste et la fonction, généralement très vite en désaccord avec le travail du quotidien. Les collaborateurs endossent désormais des « rôles », parfois multiples. D’aucun peut évoluer en finance, en développement produit et en RH. « Les gens retrouvent des capacités d’initiative dans leurs zones de talents. Un changement libérateur d’énergie et d’innovation », déclare Bernard Marie Chiquet, qui a accompagné la coopérative rennaise Scarabée Biocoop, regroupant cinq magasins, trois restaurants, un snack et un service traiteur bio. Chaque employé a des rôles qui correspondent à des tâches jugées indispensables au bon fonctionnement de l’organisation comme encaisser les clients, réapprovisionner le rayon épicerie, passer commande, gérer les fiches de paie… Plus de 1000 rôles ont été déterminés, pour 160 salariés ! L’autorité et les décisions incombent à celui qui fait, dans des équipes qui s’auto-organisent en matière d’objectifs et de fonctionnement. Lesquelles – nommées « cercles » dans le jargon holacratique – sont interconnectées mais autonomes. Rôles et process sont revisités chaque mois dans les cercles, en fonction de ce qui s’est passé, pour une adaptation constante à l’environnement.
Expérimentations de-ci de-là
Si l’holacratie est née aux Etats-Unis, elle semble en vogue en Europe, particulièrement en France. « L’Hexagone est le pays le plus hiérarchique et centralisateur, où la souffrance au travail est la plus forte. La demande d’émancipation est donc plus prononcée », constate Bernard Marie Chiquet, qui a accompagné une cinquantaine d’entreprises. Même Danone a mené une expérimentation sur un service pilote de 300 personnes. « Toutes les activités sont concernées. J’ai aussi collaboré avec le secteur public ou des acteurs de l’ESS. A chaque fois ceux qui ont l’autorité abdiquent le pouvoir à une constitution, téléchargeable sur notre site, qui campe les « métarègles » du jeu. L’ensemble des collaborateurs devient subordonné aux règles du jeu », explique celui qui organise des modules de deux jours à l’attention des équipes dirigeantes pour qu’elles jugent si cette mutation est compatible avec leur culture d’entreprise. Scarabée Biocoop avait par exemple sensiblement grandi en quelques années, et était marquée par la multitude de réunions avec les directeurs de site pour prendre des décisions communes, alors qu’en rentrant chacun faisait ce qu’il voulait. Le bond en avant s’est imposé, pour plus d’agilité et moins de perte d’énergie. Aucun salarié ne peut être heureux s’il est employé à contrôler des hommes ou à entrer des chiffres dans des tableaux. C’est en tout cas l’avis de Jean-François Zobrist, ancien DG de la fonderie Favi à Hallencourt en Picardie depuis 1971 : ses ouvriers travaillent pour leurs clients et non pour leur supérieur hiérarchique, avec un atelier découpé en mini-usines, chacune dévolue à un commanditaire. Evidemment l’indice confiance doit être élevé. La pointeuse a été supprimée, et l’ouvrier décide du tempo. La direction garde juste un oeil sur le prix de revient des pièces. Il n’y a jamais de retard de commande, les salariés acceptant des extras le week-end pour satisfaire les délais, travaillant pour un client déterminé garant de la sauvegarde de l’emploi.
Prise de responsabilité avant tout
Les détracteurs redoutent l’absence de reconnaissance du n+1, ou la montée des conflits parce que tout le monde se prend pour le chef. « Ce système fait ressortir des tensions qui restaient cachées. Il est plus sain, mais aussi plus sportif », admet Bernard Marie Chiquet. Les échecs existent, à l’exemple de Zappos, site de vente de chaussures en ligne qui a dû récemment faire marche arrière. Mais ces inconvénients sont mineurs « à côté de la responsabilisation de chacun et au sens donné », insiste le consultant. Chacun peut rapidement faire avancer un projet, une idée ou un chantier bénéfique à l’entreprise, un graal aujourd’hui.
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