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La pleine conscience, un levier pour une entreprise plus responsable et durable ?

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La mindfulness peut être un outil puissant pour les entreprises qui souhaitent devenir plus responsables et durables.

Les crises à répétition (environnementales, climatiques, sociales, économiques) que nous vivons depuis plus d’une décennie nous ont plongés dans une nouvelle ère, où les modèles et représentations qui nous ont servi jusqu’à présent ne sont plus suffisants. Ils ne nous permettent plus de comprendre le monde, et ils nous mènent à une impasse.

L’héritage intellectuel des Lumières et de la révolution industrielle nous a enfermés dans une vision du monde et de la vie fondée sur des certitudes. Ces certitudes sont aujourd’hui ébranlées par les instabilités du monde. Face à ces crises, notamment la crise climatique, nous restons bien souvent passifs. En effet, nous pouvons comprendre théoriquement qu’un problème émerge, mais nous ne prenons pas toujours pleinement conscience de ses effets et de notre responsabilité. Cette responsabilité ne nous rend pas coupables du passé, mais nous engage à agir au quotidien, chacun à notre place et à notre niveau.

L’anthropologue Philippe Descola soutient que le grand récit évolutionniste, qui présente l’humanité comme progressant vers un perfectionnement constant, est dépassé : « les solutions techniques ne sauveront pas la Terre de la dégradation de plus en plus perceptible de ses conditions d’habitabilité. Nous mesurons aussi combien la position en surplomb que l’humanité dominante (européenne, coloniale, capitaliste) a usurpée, a conduit le monde vers l’impasse dans laquelle nous nous trouvons. »

Il est nécessaire de renoncer à notre posture arrogante de domination sur le monde et de retrouver notre place au sein de la communauté du vivant. Nous devons remettre l’économie et l’entreprise à leur place de serviteurs de la vie commune. Enfin, nous devons cesser de nous considérer en termes de catégories, mais en termes de relations multiples avec le monde.

Changer de paradigme et reprendre sa place responsable

Dans cette optique, les dirigeants doivent garder à l’esprit que leurs entreprises ne pourront mettre fin à leurs impacts négatifs sur l’environnement et permettre le développement et l’autonomie de leurs parties prenantes que si elles adoptent un nouveau paradigme.

Un paradigme est une représentation du monde, une manière de voir les choses, adoptée par un groupe social. Cette représentation, qui repose sur des théories et des courants de pensée, conditionne nos jugements, nos opinions, nos systèmes de pensée, et ce que nous tenons pour vrai ou faux. Elle influence ainsi nos comportements et nos façons d’agir.

Les paradigmes facilitent la compréhension et la communication entre les membres d’un groupe. Cependant, ils peuvent aussi finir par scléroser les capacités d’ouverture et de transformation dont la société, l’entreprise ou la personne ont besoin. Les rencontres culturelles et les conflits peuvent nous aider à prendre conscience de la relativité de notre paradigme dominant. La pratique de la pleine conscience, quant à elle, est une approche opérationnelle qui nous permet de développer notre discernement et notre capacité à prendre des décisions adaptées à la réalité.

Origine et but de la pleine conscience

La pleine conscience est devenue populaire en France dans les années 2000. Mais cette pratique existe en réalité une pratique ancestrale aux origines multiples

La mindfulness est souvent associée au bouddhisme, mais elle est en réalité présente dans de nombreuses traditions religieuses et philosophiques, notamment l’hindouisme, l’islam, la chrétienté, la Chine ancienne, la Grèce antique et l’Europe moderne. Par exemple, les Upanishads, des textes sacrés de l’hindouisme datant de 1500 av. J.-C., mettent en avant l’importance de développer l’attention et la contemplation pour réduire le flot de pensées et d’activités automatiques (« L’histoire de la Mindfulness à l’épreuve des données actuelles de la littérature : questions en suspens », de Marion Trousselard et Dominique Steiler, L’Encéphale, 2014).

Les monothéistes ne sont pas en reste. La mindfulness se manifeste dans la prière attentive de la Kabbale, la prière du cœur des chrétiens orthodoxes, le discernement de l’esprit des jésuites, et la pratique des derviches tourneurs de l’Islam mystique.

La pratique ne se limite pas au monde des spiritualités. On la retrouve également dans les courants philosophiques. Par exemple, Montaigne prônait le « vivre à propos », c’est-à-dire une vie conforme à la nature humaine. Spinoza, quant à lui, voyait dans la reconnaissance et l’acceptation des émotions destructrices un moyen de les mieux gérer. Enfin, Lichtenberg affirmait que, en prêtant attention à ses pensées et en les exprimant avec soin, on pouvait rapidement acquérir une réserve de « remarques utiles » dans de nombreux domaines (« Lichtenberg », de Jean François Billeter, Allia, 2019).

Au XXe siècle, la phénoménologie propose enfin une approche de la vie plus sereine, en s’intéressant à l’expérience vécue de l’instant.

La conscience de nos œillères

Il est impossible de résoudre un problème sans modifier le niveau de conscience à l’origine de ce dernier. Ainsi, il est essentiel de travailler sur nos conditionnements et nos représentations, autrement dit notre paradigme, pour quiconque aspire à devenir un acteur du changement. Aujourd’hui, on le voit, de nombreuses personnes désirent adopter une approche plus respectueuse de l’environnement ; mais en réalité, elles font souvent plus ou moins la même chose.

La transformation vers une culture de paix économique doit commencer par un changement de nos conceptions sur la vie, l’humanité, la société et l’entreprise. Elle ne peut se faire sans une remise en question des concepts que les Lumières nous ont légués, comme la société, la nature, la culture, la politique, l’histoire, l’art et l’économie. Ces concepts, qui sont censés être universels, sont en réalité le reflet d’une vision particulière du monde, celle du monde occidental moderne. Pour passer d’une culture de guerre économique à une culture de paix économique, il est ainsi nécessaire de s’ouvrir à d’autres visions du monde, à d’autres façons de concevoir la vie, l’humanité, la société et l’entreprise.

Il en est de même pour la pensée économique ordinaire, qui réduit l’humain à l’homo œconomicus, un être qui ne cherche que son propre profit. Elle oublie que l’humain est aussi un être social, ludique et créateur, comme l’ont montré l’anthropologie, l’histoire et les sciences de l’environnement. Cette vision anthropocentrée de l’homme est fausse et nuit au monde humain et non humain.

La paix économique nous invite à développer une lucidité sur les relations entre les êtres, à faire place à la diversité et à nous préparer à une ère où les risques vitaux nous obligeront à mieux vivre ensemble, sous peine de disparaître.

La définition la plus occidentale de la pratique de la mindfulness a été posée par John Kabat-Zinn, professeur de médecine émérite à l’université du Massachusetts : « c’est un état de conscience qui résulte du fait de porter son attention, intentionnellement, au moment présent, sans jugement, sur l’expérience qui se déploie moment après moment » (« Mindfulness-based interventions in context: past, present, future », Clinical Psychology: Science Practice, 2003, p. 144-156).

La mindfulness renvoie donc à une attention « nue », dépouillée de toute interprétation, dans laquelle la conscience perceptive est cultivée à tout moment. Pour certains auteurs, la pleine conscience traduirait ainsi à la fois l’action et le but de l’action.

Ceci étant dit, de façon plus concrète, pourquoi l’entreprise devrait-elle se préoccuper de cette question finalement très personnelle ? La réponse est complexe. Pour la simplifier, considérons les points suivants : son intention, ses objectifs et enfin ses résultats dans l’entreprise.

La pleine conscience dans le monde du travail

Il est clair que l’intention même de la pratique relève « d’un aller bien » ou « d’un aller mieux ». Mais la première erreur serait de croire que cette intention générique décrit son but dans son entièreté. En effet, quelle que soit la méthode utilisée, la pleine conscience ne se limite pas à une approche égoïste. Elle vise, au contraire, à établir une relation intense et qualitative entre la personne et elle-même, les autres et le monde. C’est là son objectif fondamental.

Le moyen le plus simple pour atteindre son objectif est de discerner ce qui se passe dans sa vie. Cela permet de prendre les meilleures décisions et d’agir de manière appropriée. « Le discernement des esprits, dans la vie personnelle d’Ignace, comme dans son apostolat, est ordonné à l’action ; il s’agit de choisir sa vie, une fois pour toutes et à chaque instant », explique le professeur de théologie spirituelle Dominique Salin (« Le discernement des esprits selon Ignace de Loyola », Editions Jésuites, 2021). Ainsi, il ne s’agit pas de se protéger du réel en se forgeant une carapace, mais de se montrer courageux et d’affronter la réalité en face. Cela passe par l’observation de soi-même et de son environnement, l’acceptation de ce qui est, et la prise de responsabilité. En bref, il faut pouvoir dire ce qu’on a à dire, même si c’est un désaccord.

La recherche montre que la pratique de la pleine conscience permet de mieux percevoir son environnement, soi-même et ses émotions. Elle permet également de stopper les réactions émotionnelles automatiques. Les personnes pratiquantes sont plus capables de faire face aux situations difficiles, au stress et à l’incertitude. Elles ont une meilleure flexibilité mentale et comportementale, et développent des stratégies de réponse plus adaptées.

En outre, la pleine conscience réduit l’anxiété, aide les personnes à rester concentrées sur le présent, favorise des décisions éthiques et l’efficacité collective. Enfin, les personnes « mindful » valorisent l’expertise plus que le statut social et privilégient la solidarité à l’égocentrisme. Ces effets sont loin d’être négligeables dans notre monde actuel – en particulier en entreprise.

Par Dominique Steiler

 

 

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