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Les scissions d’entreprise favorisent-elles l’engagement des collaborateurs ?

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À côté des fusions-acquisitions, les scissions se dessinent comme une alternative. En offrant une nouvelle identité et des perspectives de croissance, peuvent-elles remobiliser les collaborateurs ?

Les mouvements incessants de fusions, d’acquisitions ou de filialisations des entreprises sont au cœur de l’évolution du capitalisme. Dans cette dynamique de recomposition du capital et des rapports salariaux, les opérations de scission constituent une configuration particulière.

À la différence des opérations de fusion ou de cession, la scission consiste à sortir une division ou une branche d’activité d’un groupe existant, non pour la rapprocher ou l’intégrer à une autre activité, mais pour en faire une société nouvelle avec souvent une introduction simultanée en Bourse. Les Anglo-Saxons se réfèrent au terme de spin-off pour désigner les scissions ; encore que cette appellation recouvre également l’externalisation par une entreprise ou les universités des activités liées à innovations. Plus récemment le terme de carve out apparaît pour qualifier globalement les options de désinvestissement des entreprises (« The power of good-bye : How carve-outs can unleash value », de Luigi Dufour, Gerd Finck, Anna Mattsson et Marc Silberstein, McKinsey Quarterly, 2023).

Parmi les scissions les plus emblématiques on fait souvent référence à la partition du conglomérat General Electric qui a donné naissance à des nouvelles sociétés dont Synchrony Financial en 2014 et plus récemment, GE Healthcare devenu indépendant en 2023 de GE par une introduction en Bourse. On pense également à la scission du groupe Accor en 2010 qui permit de créer le groupe Endered.

L’actualité de ces derniers mois est marquée en France par une série d’annonces de projets de scission. On peut citer le groupe Sodexo, avec la création et l’entrée en bourse de son entité Pluxee, spécialisée dans les titres d’avantages aux salariés ou la partition du groupe Solvay en deux entités Syensqo regroupant les activités de chimie de spécialité, à forte croissance et une autre entité Solvay recentrée sur les activités historiques du groupe. Encore au stade du projet, la filialisation annoncée du groupe Renault en plusieurs sociétés dont une entité, Ampère, spécialisée dans les voitures électriques et le logiciel.

Les scissions, un impact positif sur l’engagement ?

Dans ce contexte de multiplication des projets de scission, une question peu abordée et quelque peu provocante vient naturellement : En quoi une opération de scission serait de nature à favoriser l’engagement des collaborateurs ? Après tout, et à la différence des projets de fusion qui se révèlent particulièrement complexes et incertains les projets de scission, en générant une nouvelle société au plus près d’un métier bien défini, affranchie des pesanteurs du grand groupe, ne sont-ils pas plus propices à libérer des leviers forts de ré engagement des collaborateurs ? (« Le facteur humain, clé du succès d’une intégration d’entreprise », Mazars, 2023)

Si une abondante littérature se focalise sur les perspectives de création de valeur des spin-off ou des opérations de carve out, force est de constater que les dynamiques humaines et sociales des projets de scission d’entreprise restent très peu documentées. Aussi, et sur la base de quelques exemples, tentons ci-après une première réflexion sur ce que pourraient être les conditions d’un engagement renouvelé des collaborateurs lors d’une opération de scission (« Spin-off : Accounting and Financial Issues Across the Literature », de Patrick Navatte et Guillaume Schier, Accounting Auditing Control, 2017).

Le regard porté rétrospectivement par la DG, Margaret Keane, qui a conduit le spin off de l’entité Capital Retail Finance du groupe GE, pour donner naissance à la nouvelle société Synchrony Financial est particulièrement instructif. Elle souligne l’ampleur des défis à relever et ce dans un laps de temps très court comme couper rapidement le cordon avec le groupe GE à la culture centenaire, embaucher 1000 collaborateurs soit 10 % des effectifs de la société en un temps record pour structurer les fonctions supports, répondre à l’anxiété des collaborateurs par un dispositif d’écoute active, redéfinir une mission et des valeurs ou encore mettre en place des politiques d’emploi et d’avantages sociaux attractives.

Jacque Stern, le DG le groupe Endered qui a conduit le projet de scission ne dit pas autre chose sur l’ampleur de la transformation suite au départ du groupe Accor. Il fallait à la fois constituer une équipe de management, créer des départements entiers pour les fonctions support assurées jusqu’ici par le groupe, élaborer une stratégie autonome, tout en continuant à assurer la marche des affaires, obtenir l’adhésion des salariés en capitalisant sur l’esprit de conquête des équipes sur le terrain et la diffusion rapide dans l’entreprise des innovations locales réussie. Plus d’une décennie plus tard, le groupe Endered a doublé son CA et surtout affiche des taux élevés d’engagement de ses collaborateurs

S’agissant des projets de scission en cours (par exemple Solvay, Sodexo, Renault), il est intéressant d’observer l’importance accordée par les dirigeants à la dimension humaine et notamment au fait de disposer de collaborateurs qualifiés et engagés qui vont soutenir l’ambition et la réussite du projet. Dans la présentation aux investisseurs, les dirigeants mettent en avant des objectifs spécifiques de ressources humaines et en particulier :

  • La prise en compte du taux d’engagement des collaborateurs, comme paramètre stratégique clé de l’opération tout au long du processus
  • L’attention portée à l’actionnariat salarié (1 salarié sur 4 chez Solvay est actionnaire) considéré comme un vecteur de rétention et d’engagement des collaborateurs
  • L’objectif ambitieux porté en matière de diversité et de développement des talents qui se matérialise par des prévisions de recrutement conséquentes, une politique de formation volontaire permettant le reskilling et l’up skilling des collaborateurs.

À partir de ces quelques exemples, on voit se dessiner ce qui constitue, dans une opération de scission, les leviers d’un engagement renouvelé des collaborateurs. Soulignons tout d’abord que dans les entreprises citées, aucun plan de restructuration ou d’annonce de suppression d’emplois n’accompagne l’opération. L’absence de menace sur l’emploi constitue bien à cet égard, un prérequis à l’engagement des collaborateurs.

Les leviers classiques au cœur du modèle d’engagement des salariés, comme l’adhésion à la vision et à stratégie de l’entreprise, la confiance dans le top management apparaissent encore plus déterminants pour les projets de scission (« La mesure de l’engagement des collaborateurs », de Serge Perrot, L’observatoire de l’engagement, 2016).

Pour surmonter l’anxiété générée par la sortie d’une grande structure, l’incarnation du projet par le dirigeant et l’adhésion des collaborateurs, unis par une identité professionnelle et des valeurs communes, se doivent d’être fortes et pérennes. Tout aussi déterminant, des perspectives favorables de croissance de l’activité qui vont permettre d’offrir des opportunités de développement pour les collaborateurs existants et les personnes recrutées.

Par Daniel Baroin

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