Deux associations françaises ont créé une carte interactive répertoriant les 425 plus grands sites d’extraction d’énergies fossiles du monde, ainsi que les entreprises et banques les plus impliquées dans ces projets.
Avec ces données accessibles à tous, les ONG Data for Good et Eclaircies entendent lever le voile sur les plus gros pollueurs de la Planète et les principaux responsables du réchauffement climatique actuel ; mais aussi sur les entreprises qui sont impliquées à la fois dans les projets en cours, comme dans ceux prévus pour ces prochaines années.
EN GRIS, LES SITES D’EXTRACTION, EN COURS, ET EN ROUGE CEUX EN PROJET POUR CES PROCHAINES ANNÉES. © CARBONBOMBS.ORG
10 pays sont responsables de la majeure partie des émissions des énergies fossiles
L’ensemble de ces 425 « bombes à carbone » représente une part importante des émissions de gaz à effet de serre émises par le secteur des énergies fossiles : les sites désignés sur la carte comptent pour 45 % des émissions de pétrole et de gaz, et 25 % des émissions de charbon. 10 pays sont responsables des deux tiers des émissions de ces « bombes carbone » : les États-Unis (Texas et Nouveau-Mexique en particulier), le Canada, la Chine, la Russie, l’Arabie saoudite, le Qatar, l’Inde, l’Irak, le Brésil et l’Australie. En France, aucun site d’extraction n’est présent, mais de nouveaux projets sont prévus juste à côté de notre pays : à Bowland Shale, au nord de l’Angleterre, près de Varsovie en Pologne, ou encore près d’Odense au Danemark.
Les données de la carte sont encore plus complètes, avec le nom des entreprises d’extraction les plus polluantes comme Exxon Mobil Corp (USA) et Energy Investment Corp (Chine), mais aussi les banques qui participent le plus à ces projets, parmi lesquelles l’ICBC (Chine) mais aussi la BNP Paribas (France).
Les scientifiques s’inquiètent de ces 425 « bombes à carbone »
Article de Nathalie Mayer, écrit le 17 mai 2022
Pour limiter le réchauffement climatique à +1,5 °C au-dessus des moyennes préindustrielles, nous devons réduire nos consommations d’énergies fossiles. Mais comment faire si la production continue d’augmenter ? Si la production explose, même ? C’est la question que posent les 425 projets colossaux d’extraction pointés du doigt aujourd’hui par des chercheurs. De véritables « bombes à carbone » entre les mains des géants des énergies fossiles !
« Notre addiction aux énergies fossiles est en train de nous tuer. » Les mots sont crus. Sans détour. Ce sont ceux qu’Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations unies (ONU), prononçait le 1er avril dernier. Il appelait alors à des « efforts urgents et transformateurs de la part de tous les pays pour éliminer le charbon et arrêter l’expansion de l’exploration pétrolière et gazière afin de maintenir le réchauffement à 1,5 °C », soulignant que la production de charbon, de pétrole et de gaz au cours de la prochaine décennie devrait être réduite de plus de moitié si nous envisagions de sauver notre climat.
Quelques mois plus tôt, la Banque européenne d’investissement annonçait mettre fin à tout soutien de projets liés aux énergies fossiles. L’Agence internationale de l’énergie (AIE), quant à elle, plaidait pour un arrêt immédiat des investissements fossiles et une vingtaine de pays s’engageaient, à l’occasion de la 26e Conférence des Parties sur le Climat (COP26), à arrêter les financements publics de projets d’énergies fossiles à l’étranger. Le monde semblait avoir enfin pris la bonne voie.
Mais voici que, aujourd’hui, une étude menée par des chercheurs de l’université de Leeds (Royaume-Uni) remet tout en question. Elle ne présente pas moins de 425 projets conduits par les plus grands noms des énergies fossiles. Des projets qui, pris dans leur ensemble, pourraient être à l’origine de l’émission de plus de 646 milliards de tonnes de dioxyde de carbone (CO2). De véritables « bombes à carbone » réparties dans 48 pays du monde. Des « bombes à carbone » parce que 646 milliards de tonnes, c’est comme si nous faisions exploser le budget carbone dont nous disposons si nous espérons limiter le changement climatique à 1,5 °C.
Des bombes à désamorcer d’urgence
Au Canada, aux États-Unis, en Australie. En 2020, pas moins de 60 % de ces projets produisaient déjà du gaz ou du pétrole. Les grands noms des combustibles fossiles que sont Shell, Gazprom, ExxonMobil, BP, PetroChina, Petrobras, ConocoPhillips ou encore Chevron envisagent de continuer à investir plus de 100 millions de dollars par jour d’ici 2030 pour les maintenir et développer ceux qui manquent encore à l’appel.
Le saviez-vous ?
Selon les chercheurs de l’université de Leeds (Royaume-Uni), seuls les projets capables d’être à l’origine de l’émission de plus d’un milliard de tonnes de dioxyde de carbone (CO2) au cours de leur durée de vie « méritent » le qualificatif de « bombe à carbone ». Au regard de cette définition, les gisements offshore de gaz de North Field (Qatar) remportent la palme des nouvelles « bombes à carbone » au monde. Les États-Unis sont ceux qui concentrent le plus de ces « bombes à carbones ». Pas moins de 22 d’entre elles pour des émissions potentielles de 140 milliards de tonnes de CO2. Plus de quatre fois ce que le monde entier émet en une année !
Tout ceci alors même que tous les volets du 6e rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec), publiés ces derniers mois, confirment que nos émissions de carbone doivent impérativement diminuer pour préserver nos chances d’un avenir vivable sur Terre. Et qu’une étude du service national de météorologie britannique, le Met Office, en lien avec l’Organisation météorologique mondiale (OMM) montre que les risques d’atteindre au moins une fois la barre des 1,5 °C de réchauffement — par rapport à l’ère préindustrielle — dans les cinq années à venir n’ont jamais été aussi importants. Ils s’élèvent désormais à 50 %.
Mais alors, de quoi s’agit-il ? D’une sorte de « dissonance cognitive » qui empêche les entreprises de changer de position, et ce, malgré les risques encourus ? D’une forme de « déni de la réalité du réchauffement climatique et de ses causes » ? Ou tout simplement d’une cupidité incontrôlée et d’un « mépris total envers les communautés les plus vulnérables aux changements climatiques » de la part des grands noms des énergies fossiles ?
Pas sûr qu’il nous reste du temps pour trancher. En effet, pour éviter le scénario catastrophe, nous devons diviser nos émissions de CO2 par deux d’ici 2030. Et en réponse à l’urgence climatique, désamorcer un maximum de ces « bombes à carbone » pourrait bien devenir rapidement une priorité absolue. Pour cela, les chercheurs de l’université de Leeds suggèrent des études individualisées qui permettront d’inclure aux stratégies toutes les dimensions de la question. Avec l’espoir d’une meilleure efficacité.
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