Les professionnels des ressources humaines n’exploitent qu’une partie du processus de recrutement.
Quel recruteur n’utilise pas « le process » ? Oui, le process : cette série d’actions enchaînées, qui va de l’identification des critères à la présentation des candidats au futur manager. Un exemple parfait de ces « bonnes pratiques » universelles que toute une profession utilise à l’identique. L’histoire du métier de recruteur et sa professionnalisation sont indissociables du consensus qui existe autour de cette démarche. Car le process présente bien des avantages. Il est d’abord une méthode rationnelle : savoir ce qu’on cherche (identifier les critères), c’est savoir où, quoi et comment « sourcer ». Evaluer, ensuite, c’est trier parmi les candidats pour repérer ceux qui s’approchent le plus des besoins. Présenter, enfin, c’est permettre au manager de rencontrer les recrues possibles et de faire son choix. Le process est aussi un outil marketing : le recrutement, comme n’importe quelle prestation intellectuelle, ne peut pas être vendu en montrant un produit. On ne peut pas présenter un candidat avant de l’avoir cherché. Le process, lui, est « montrable ». Faute de pouvoir présenter le résultat, présenter les moyens est une solution pour rassurer et convaincre.
De l’efficacité du process de recrutement
Ce consensus n’est pas tout à fait partagé par la communauté scientifique. Le débat ne porte pas sur le process, mais plutôt sur les raisons de son efficacité. Dans la tradition de la psychologie du travail et de la psychologie différentielle, le process permet d’identifier des critères précis et de rechercher, avec les moyens les plus objectifs, le candidat qui en sera le plus proche. L’efficacité du process tiendrait en sa capacité à objectiver les besoins du poste et les caractéristiques des candidats. Pour l’économie des conventions, au contraire, le process est avant tout une fabrique du consensus. Les étapes du process sont des opportunités de négociation entre les diverses parties prenantes. Le « bon » candidat serait celui qui fait consensus.
Qu’en est-il du côté des pratiques réelles ? Qu’attendent les recruteurs du process ?
Pour le savoir, nous avons soumis des variantes du process à 511 recruteurs. Ces process différaient selon deux variables : la durée (6 ou 10 semaines) et l’allocation du temps (au début ou à la fin du recrutement). Les recruteurs ont eu à juger si ces process étaient (1) performants, (2) réalistes, (3) proches de celui qu’ils utilisaient et (4) proches de celui qu’ils aimeraient utiliser.
Recruteurs « cueilleurs » de candidats ou « tisseurs » de relations ?
61% des individus interrogés préfèrent un process court où le temps du recruteur est investi au début : ils le jugent performant, réaliste et proche de celui qu’ils aimeraient utiliser. Il est aussi proche de celui qu’ils utilisent. Allouer du temps en amont, pour analyser le poste et les candidats, c’est penser que le recrutement a pour but de trouver le candidat s’approchant le plus de critères prédéfinis : ces recruteurs sont des « cueilleurs » de candidats.
Un deuxième groupe de répondants estime qu’un process plus long, où plus de temps serait investi à la fin du recrutement, serait plus performant et plus souhaitable. Souhaiter allouer du temps à la fin du recrutement, pour coacher ou former la recrue, c’est supposer qu’un recrutement réussi dépend d’une relation à construire entre le candidat et l’entreprise : ces recruteurs sont des « tisseurs » de relations.
Faut-il être un cueilleur ou un tisseur pour être un bon recruteur ? Un candidat est-il « bon » pour ses caractéristiques ou pour le consensus qui se dégage autour de lui ? Les deux, évidement. La performance peut être prédite par des critères, dont certains sont rédhibitoires. Identifier ces critères et mesurer leur présence chez les candidats est un des fondamentaux du métier de recruteur. Mais réussir un recrutement, c’est aussi accompagner les candidats vers les managers, pour veiller à l’acculturation ou pour gérer les inévitables difficultés de l’intégration. Or les résultats montrent que les recruteurs sont cueilleurs ou tisseurs, rarement les deux. La cause est peut-être à chercher du côté de la formation reçue ou des pratiques observées chez les pairs. Elle est probablement à trouver du côté des contraintes économiques. Entre cueillir et tisser, il faut choisir. Or il ne faut pas. Il faut donc revoir l’allocation du temps des recruteurs aux étapes du process : à l’humain ce qui requiert négociation et consensus ; au digital ce qui demande données et objectivation.
Par Jean Pralong
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