ChatGPT suscite autant de craintes que d’interrogations notamment dans le domaine des ressources humaines.
ChatGPT, l’agent conversationnel d’OpenAI, provoque un émoi individuel et collectif sans précédent, en nous ouvrant les yeux sur la puissance et les capacités des modèles d’IA. Une étude des tweets des premiers utilisateurs du service montre, par exemple, des réactions largement positives, allant jusqu’à évoquer une disruption technologique majeure. Néanmoins, si ChatGPT fascine et crée une effervescence publique, il ne faut pas idéaliser ses capacités au regard de réactions passionnées et soutenues par un anthropomorphisme toujours plus marqué : par la qualité et le naturel de ses réponses, nombre d’entre nous lui attribuent ainsi des caractéristiques humaines, au risque d’une confusion entre réel et virtuel. Aussi, si ChatGPT marque pour sûr une étape majeure dans le perfectionnement, l’accessibilité et l’utilité des modèles d’IA, plusieurs pontes sont là pour nous rappeler que : (1) si l’éclat médiatique est pénétrant, ChatGPT n’est technologiquement pas révolutionnaire, et repose sur des techniques connues et optimisées de manière incrémentale depuis des années, (2) les modèles de langage – LLMs, sont des perroquets stochastiques qui se basent sur des probabilités, et n’ont pas de capacité de planification ou de conscience, (3) ChatGPT est un beau parleur qui cherche surtout à nous plaire.
Sans chercher à limiter les capacités de ChatGPT, qui se révèlent ô combien précieuses dans de nombreux domaines, notamment les RH – en permettant notamment de prendre en charge des tâches de production de contenus répétitives, ces remarques ont vocation à corriger la perception publique, et à mettre en lumière la révolution, humaine plus que technologique, qui se joue : les technologies ne changent pas les sociétés – c’est leur réappropriation par l’Homme qui permet d’en faire des évolutions. Continuer à nous focaliser sur des menaces potentielles pourrait ainsi nous faire manquer une incroyable opportunité d’évoluer, individuellement et collectivement. Des recherches démontrent en effet que ceux qui tirent une valeur individuelle des modèles d’IA améliorent leur sentiment de compétence et d’autonomie, et que les synergies Homme-Algorithme sont plus performantes que les meilleurs algorithmes et experts laissés à leur seul jugement, notamment en raison d’un enrichissement mutuel. En ce sens, ChatGPT met en lumière notre propre capacité à corriger les réponses proposées, et à contribuer à son amélioration par un jeu d’interactions séquencées. Ces constats appellent dès lors à s’éloigner des débats autour de la question d’une compétition entre Homme et machines, souvent trompés par le réalisme de fictions qui confondent intelligence et domination, pour nous recentrer sur les contours d’une cognition distribuée qui s’intéresse à l’évolution et à la nécessité de l’expertise humaine dans un monde augmenté.
Savoir poser les bonnes questions
Les modèles d’IA génératifs (comme ChatGPT) sont uniquement réactifs. Si les conversations s’attardent à analyser l’effet Whaou et l’émerveillement des réponses proposées en sortie de ChatGPT, un meilleur prisme d’étude concerne les éléments fournis en entrée. Autrement dit : la réponse est générée à partir du contexte de la question, et la réponse est aussi précise et informative que l’est la question. Malheureusement, nous avons, en général, une capacité limitée à poser les meilleures questions, ou à poser les questions qui nous donneront la meilleure réponse. Alors que l’expertise a longtemps été définie comme la somme des connaissances d’un individu, les modèles d’IA qui se popularisent dessinent ainsi un monde où ce que l’on sait est moins important que ce que l’on veut savoir. Aujourd’hui comme à l’avenir, l’expertise humaine prend ainsi source et forme de notre esprit critique et de notre capacité à structurer les problèmes : il nous est, en effet, impossible de résoudre un problème sans savoir l’articuler, ou de trouver une solution utile sans comprendre ce qui ne l’est pas. La curiosité épistémique, au sens du désir de connaissances qui motive les individus à apprendre de nouvelles idées, à surmonter leur manque d’informations et à résoudre des problèmes intellectuels, devient ainsi un prérequis à notre adaptation et à notre performance, et la clé de notre expertise. C’est grâce à notre capacité à faire preuve d’humilité intellectuelle et de métacognition (être conscient de ce que l’on sait mais aussi de ce que l’on ne sait pas, de nos propres limites), et à poser les bonnes questions tout en gardant une lucidité critique et réfléchie sur les réponses, que chacun d’entre nous sera en mesure de grandir en utilisant les modèles d’IA de manière éclairée. En somme : s’il est impossible de savoir si un modèle d’IA vous remplacera à l’avenir, une personne sachant l’utiliser le fera à coup sûr. De nouvelles marketplaces voient d’ailleurs le jour, où chacun peut acheter et vendre des « prompts » efficaces : c’est-à-dire la question ou la demande que l’utilisateur doit formuler pour que ChatGPT puisse générer une réponse utile. Certains y voient d’ailleurs un métier d’avenir, avec l’émergence des « ingénieur(e)s prompts », chargés de concevoir et d’écrire des prompts pour un modèle de langage IA, comme ChatGPT.
Des applications déjà concrètes
Dans le domaine des ressources humaines, ChatGPT aura aussi un rôle indéniable. La technologie est déjà en mesure d’intervenir au cours des différentes étapes du recrutement, et peut même traiter des tâches banales et chronophages d’écriture, en produisant des contenus du niveau d’un professionnel aguerri : rédaction des offres d’emploi, des messages dans le but de contacter des candidats, de réponses plus personnalisées, ou encore identification des questions à poser en entretien. Pour autant, la pertinence des productions de ChatGPT dépend directement du contexte qui lui sera donné. Par exemple, lui demander de « rédiger une offre d’emploi pour un poste de directeur financier » conduit à une description somme toute générique et dont l’impact en termes d’expérience candidat est questionnable. Une utilisation plus pertinente de ce modèle d’IA consisterait, dans un premier temps, à lui donner des références. Ici, l’idée serait alors de : (1) commercer par copier-coller des annonces de poste de directeur financier parmi les plus populaires et attractives, puis, (2) préciser le domaine d’activité, les valeurs de l’entreprise, et le ton ou le style du texte à générer (professionnel, fun, etc.), afin d’assurer un résultat aussi efficace qu’unique en son genre. ChatGPT peut aussi être utile dans le domaine de la gestion des ressources humaines, en apportant, par exemple, des idées sur la structuration d’un programme de formation. Dans ces différents cas, ChatGPT se veut toutefois un outil d’assistance, qui permet de faire gagner un temps considérable : en ce sens, chacun doit avoir le recul nécessaire pour compléter et enrichir les contenus générés, plutôt que de céder à la nonchalance d’un unique “copier-coller”.
Au-delà de la production de contenu, ChatGPT est encore attendu et discuté quant à sa capacité d’analyse sur des problématiques RH. L’outil est-il en mesure d’analyser des candidatures ? De départager des candidats ? D’identifier quel collaborateur devrait obtenir une promotion ? Si la loi interdit toute prise de décision automatisée à l’aide d’algorithmes, elle laisse la place à l’usage de recommandations issues de ces mêmes algorithmes. Sur ce point, ChatGPT reste à ce jour au stade précoce d’une comparaison entre une attente (des compétences requises) et une réalité (les compétences renseignées dans un CV). L’intérêt se résume alors simplement à celui de rationaliser une prise de position. Encore une fois, ChatGPT nous permet de tester notre intuition, de générer des scénarios alternatifs de compréhension, ou de plus facilement mettre en exergue certains éléments qui auraient pu nous échapper : notre expertise métier en est alors augmentée, plutôt que remplacée.
Un outil utile aussi pour les candidats
L’usage de ChatGPT dans le domaine des ressources humaines fonctionne d’ailleurs à double sens, car il peut aussi être un outil utile aux candidats. Il peut leur permettre de créer des CV qui répondent parfaitement aux attentes d’une offre d’emploi, de préparer un entretien en valorisant leur parcours et leur profil au regard du poste visé, ou d’améliorer une lettre de motivation. La transformation des RH ne s’opère donc pas simplement sous le prisme des professionnels, mais aussi à travers la façon dont candidats et employés vont s’approprier cette technologie, et en découvrir de nouveaux usages. Si certaines dérives sont inévitables, elles ne doivent toutefois pas faire l’objet d’une généralisation abusive, et nous empêcher d’envisager ChatGPT comme un outil source de progrès, plutôt que de paresse. Pour le moment, l’usage de ChatGPT reste d’ailleurs artisanal : tant que son API n’est pas disponible, il n’est pas possible de tirer parti de la pleine puissance de ce modèle de langage. L’API permettra aux entreprises d’intégrer facilement ChatGPT à leurs propres applications et services.
ChatGPT a ébranlé nos pratiques, et bousculé nos frontières intellectuelles et créatives. Si cette évolution peut paraître rude aux yeux d’un public non expert, elle ne doit pas engendrer de peurs dues à une méconnaissance scientifique, ou à une désinformation médiatique. Plutôt que de se comparer à la machine, ou de l’interdire à tort, chacun devrait faire preuve de curiosité et se construire un modèle mental utile de ses capacités : comment les modèles d’IA peuvent-ils compléter ma pratique ? Comment peuvent-ils m’aider au quotidien ? Comment puis-je les enrichir ? Quels en sont leurs biais et limites ? ChatGPT a ouvert à tous des possibilités extraordinaires d’accès à la “connaissance”, et se veut un levier d’apprentissage exceptionnel. Charge à nous de transformer ces atouts en actions concrètes et bénéfiques : c’est là notre part d’humanité et d’expertise.
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