Né le 22 novembre 2000 à Diamaguène Sicap Mbao et originaire de Faoye (région de Fatick), Youssoupha Kamité est une figure montante de la littérature sénégalaise. Après l’obtention de son baccalauréat en 2021, il intègre l’Université Gaston Berger (UGB) de Saint-Louis au département de Géographie.
À l’UGB, Kamité se distingue rapidement par son leadership et son engagement. Il exerce plusieurs responsabilités clés : président de séance du Collectif des Délégués de l’UFR Lettres et Sciences Humaines (LSH), membre actif de la Coordination des Étudiants de Saint-Louis (CESL), et membre du Conseil Académique de l’UGB.
Ces années d’action et de lutte en milieu universitaire, marquées par “des deuils et des espoirs”, ont forgé l’inspiration de son premier ouvrage. Son roman, “Campus Inconnu”, est une œuvre engagée qui rend hommage à la jeunesse étudiante sénégalaise, mêlant mémoire et critique sociale.
Actuellement en master, Youssoupha Kamité poursuit ses études, affirmant une double quête : académique et de justice. Il s’impose comme le porte-étendard d’une génération qui place la parole et l’action au centre de sa lutte pour la dignité.
Entretien
Sans révéler l’intrigue, pourriez-vous nous parler des principaux thèmes que vous abordez dans Campus Inconnu ? Qu’est-ce qui a été l’élément déclencheur, la source d’inspiration principale, qui vous a poussé à explorer cet “univers de l’inconnu” dans un cadre universitaire ?
Campus Inconnu n’est pas seulement un roman sur la vie universitaire, c’est avant tout une plongée dans l’âme de la jeunesse sénégalaise, dans ce qu’elle vit, ressent, et espère derrière les murs du campus.
Les thèmes que j’aborde sont multiples :
il y a l’engagement étudiant, bien sûr, mais aussi la quête de justice, la solidarité, le deuil,
et surtout la résilience. C’est une histoire qui parle du prix de la dignité, de la force de la
mémoire collective, et de ce moment où la jeunesse se rend compte qu’elle doit elle-même
écrire son histoire.
L’élément déclencheur, c’est mon propre vécu. J’ai été acteur et témoin de beaucoup de
réalités sur le campus de Saint-Louis des moments de lutte, de douleur, mais aussi de
fraternité et d’espoir.
J’ai voulu transformer cette expérience en parole universelle, pour dire que derrière
chaque étudiant, il y a une histoire de courage, de rêve et de combat silencieux.
Le mot “inconnu” du titre renvoie à cela : à tout ce qu’on ne voit pas, à tout ce qui se vit
dans le silence des couloirs, dans les nuits d’attente, dans les cœurs blessés mais debout.
C’est une façon de donner un visage humain à la jeunesse, au-delà des clichés et des
statistiques.
Pourquoi avoir choisi le milieu universitaire, un lieu souvent associé à la connaissance et à la rationalité, comme décor pour un récit intitulé Campus Inconnu ? Le titre suggère une dichotomie entre un environnement familier et une part d’ombre ou de mystère. Comment cette opposition se traduit-elle dans l’atmosphère ou la narration du livre ?
Avant tout, je suis universitaire. J’ai vécu, ressenti et observé de l’intérieur ce que je
raconte dans Campus Inconnu. Ce n’est pas une fiction détachée de la réalité, mais une
portion de mon propre parcours, une mémoire vécue.
J’ai choisi le milieu universitaire parce qu’il représente à la fois l’espoir et la contradiction.
C’est le lieu du savoir, de la réflexion, de la rationalité mais c’est aussi un espace de lutte,
d’injustice et de désillusion. Un endroit où les étudiants, censés être le cœur battant de la
nation, se retrouvent souvent confrontés à des conditions de vie précaires, à la violence
symbolique, voire physique.
Le titre Campus Inconnu traduit ce paradoxe. Derrière le décor familier de l’université, il y a
un univers méconnu, une face cachée que j’ai voulu dévoiler.
C’est un monde de résilience, de solidarité, de sacrifices et de rêves brisés.
Dans le fond, c’est aussi un livre de transmission : montrer que derrière chaque étudiant
qu’on croise, il y a une histoire, un combat, un espoir.
Comment avez-vous abordé la construction de vos personnages principaux, notamment dans leur confrontation avec l’inconnu ou le mystère du campus ? Avez-vous puisé dans des archétypes d’étudiants ou d’enseignants, et dans quelle mesure leurs réactions face à l’étrange reflètent-elles des questionnements humains plus larges ?
La construction des personnages dans Campus Inconnu est avant tout un travail
d’humanité et de mémoire. Chaque figure, qu’il s’agisse d’un étudiant, d’un enseignant ou
d’un simple témoin des événements, a été pensée comme le reflet d’une réalité vécue sur
les campus sénégalais. J’ai voulu que chacun porte une part de vérité, une part de doute,
une part de résistance.
Bien vrai que Kathy fait référence à ma propre personne, la vraie Kathy existe bel et bien.
C’est une amie, une sœur de cœur, une étudiante que j’admire profondément. J’ai choisi
d’emprunter son nom pour m’auto-décrire, mais aussi pour donner un visage féminin à un
combat souvent dominé par les voix masculines. À travers elle, je voulais pousser les
jeunes filles à s’intéresser au militantisme universitaire, à la prise de parole, à la défense
des droits des étudiants.
Mais Campus Inconnu, ce n’est pas seulement Kathy. Toutes les autres personnes qui y
figurent ont réellement partagé ces luttes, ces nuits d’assemblée, ces moments d’espoir et
de désillusion. Ce sont des visages familiers, des camarades avec qui j’ai vécu les mêmes
combats, les mêmes colères, les mêmes rêves.
Et puis, il y a Alpha et Prospère, les deux martyrs. Ils n’ont pas été inventés. Ce sont des
camarades étudiants, des frères tombés dans la lutte, dont la mémoire habite chaque page
de ce livre. À travers eux, j’ai voulu immortaliser une génération entière qui a payé cher
pour défendre sa dignité et son droit à l’éducation.
En somme, Kathy, c’est moi à travers elle, mais aussi elles à travers moi. Et Campus
Inconnu, c’est nous tous ceux qui ont cru, qui ont tenu, qui ont souffert, mais qui ont
surtout espéré.
L’écriture d’un roman, surtout s’il touche au mystère ou à l’inexplicable, demande une gestion particulière de la tension et du rythme. Quel a été l’aspect le plus défiant du processus d’écriture de Campus Inconnu, et comment avez-vous maintenu la cohérence et le suspense tout au long du récit ?
L’écriture de Campus Inconnu a été un véritable voyage émotionnel avant d’être un
exercice littéraire. Le plus grand défi n’était pas seulement de maintenir la tension, mais de
trouver le juste équilibre entre le réalisme et l’émotion, entre le vécu et la narration. Le livre
parle d’événements profondément humains la peur, la révolte, la perte, le courage et il
fallait que chaque page garde cette intensité sans tomber dans le pathos ou la froideur
documentaire.
Ce qui a été le plus difficile, c’était de faire ressentir le mystère sans l’inventer, de suggérer
l’inexplicable à travers le silence, le deuil, ou la solitude des personnages. Le suspense ne
repose pas sur des intrigues cachées, mais sur la tension morale et psychologique :
comment continuer à croire, à espérer, à lutter, quand tout semble perdu ?
Pour maintenir la cohérence du récit, j’ai beaucoup travaillé sur le rythme intérieur du texte.
Il y a des moments de tempête les manifestations, les décisions politiques, les drames puis
des respirations : la chambre 91M, les discussions entre amis, les scènes de doute. Cette
alternance donne au lecteur le temps de sentir, de réfléchir, de respirer avec les
personnages.
Chaque chapitre a été conçu comme une onde, avec une montée, une cassure, puis un
écho. C’est ce qui permet au suspense de rester vivant jusqu’à la fin pas parce qu’on
attend un rebondissement, mais parce qu’on suit des âmes en quête de sens.
Et finalement, c’est peut-être ça, le vrai mystère de Campus Inconnu : comment des jeunes
gens ordinaires, plongés dans des circonstances extraordinaires, trouvent encore la force
d’espérer.
Quelle est, selon vous, la principale réflexion ou le sentiment dominant que vous aimeriez que le lecteur emporte avec lui après avoir refermé Campus Inconnu ? Avez-vous une attente particulière quant à la réception de ce livre par le public, notamment par ceux qui connaissent le milieu universitaire ?
Ce que j’aimerais, avant tout, c’est que le lecteur referme Campus Inconnu avec un
mélange de lucidité et d’espérance. Lucidité, parce que ce livre montre la réalité brute du
milieu universitaire sénégalais : les inégalités, les luttes, les frustrations, les drames mais
aussi cette immense humanité qui habite chaque étudiant, chaque pavillon, chaque rêve.
Et espérance, parce que malgré tout, malgré les épreuves, il y a toujours une lumière : celle
de la solidarité, de la foi en l’avenir, et du pouvoir transformateur du savoir.
Je veux que le lecteur comprenne que Campus Inconnu n’est pas seulement une histoire
d’université c’est une histoire de société, une métaphore du Sénégal jeune, en quête de
reconnaissance, de dignité et de justice.
Ceux qui connaissent le milieu universitaire y verront sans doute un miroir : des visages
familiers, des lieux, des scènes qu’ils ont vécues. Mais j’espère surtout qu’ils y verront une
mémoire partagée, un hommage à tous ceux qui ont donné un sens à la lutte étudiante
parfois au prix de leur vie, comme Alpha et Prospère.
Par Babou Landing Diallo
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