Pour ceux qui sont déjà en poste, alors que les évaluations annuelles approchent, cette fin d’année pourrait être le moment idéal pour renégocier leur package salarial. Cependant, l’appréhension générale persiste. Au-delà des conseils classiques, certains principes fondamentaux, bien que parfois surprenants, méritent une attention particulière.
1. Clarifiez vos priorités
Avant de se demander comment négocier son salaire, une question préalable s’impose : le salaire est-il vraiment l’élément que l’on souhaite négocier ?
Dans « Never Eat Alone » (Crown Currency, 2014), Keith Ferrazzi, PDG de Ferrazzi Greenlight, une société de recherche et de conseil basée à Los Angeles, raconte une anecdote marquante de son premier entretien d’embauche. Lors de cet entretien, il a négocié la possibilité de dîner une fois par an avec le PDG de l’entreprise. L’objectif principal de ce spécialiste du networking était d’établir une relation directe avec la direction et à bénéficier de conseils précieux pour sa carrière.
Au-delà des considérations financières, il faut ainsi se demander ce qui représente une réelle valeur dans ce genre de négociation. Si le salaire est une composante déterminante, d’autres éléments peuvent entrer en ligne de compte : le télétravail, l’investissement en formation, ou encore l’implication d’un projet à l’étranger pour ceux qui ont des aspirations internationales. Cette réflexion ne peut être que personnelle et il n’existe pas de réponse unique.
Par ailleurs, mieux vaut s’assurer de l’absence de biais dans le fait de vouloir négocier son salaire. Cela répond-il à une volonté réelle ? Est-ce le fruit d’une rivalité réelle ou fantasmée vis-à-vis d’autres collègues ? L’influence – même bien intentionnée – d’un conjoint qui n’aurait qu’une vision partielle de la situation ? En d’autres termes, il est indispensable de faire un peu d’introspection avant de se lancer tête baissée dans une négociation dont l’issue serait déconnectée de ses enjeux réels.
2. Maîtrisez l’art du MESO
Aussi contre-intuitif que cela puisse paraitre, le risque lorsqu’on négocie son salaire consiste à se focaliser exclusivement sur le salaire. A la place de cette négociation monodimensionnelle, il peut être intéressant d’adopter la technique du MESO (Multiple Equivalent Simultaneous Offers).*
Développée par les chercheurs en management Victoria Medvec (Northwestern university) et Adam Galinsky (Columbia university), cette méthode consiste à proposer plusieurs scénarios simultanés de valeur équivalente, chacun incluant des combinaisons variées d’éléments (salaire fixe, bonus, télétravail, avantages, formations etc…). Cela permet de faire respirer la discussion, d’élargir les options et de mieux répondre aux besoins des deux parties.
Cette méthode fonctionne bien et est intéressante pour trois raisons :
- Elle crée un environnement relationnel propice à l’échange et la discussion. Le fait de proposer plusieurs options crée les conditions du dialogue et favorise un univers de choix possibles. C’est une approche qui, si elle est bien présentée, favorise la co-construction et la collaboration.
- Elle permet par ailleurs de comprendre les contraintes réelles de l’autre partie. Un employeur pourrait par exemple préférer un scénario où les coûts fixes (comme le salaire) sont plus faibles, mais accepter volontiers une rémunération variable plus conséquente accompagnée d’avantages annexes. Cela transforme la négociation en un échange constructif plutôt qu’en un bras de fer stérile.
- Enfin, cette approche est une véritable invitation à la créativité et la réciprocité. Lorsqu’une partie se lance dans la technique du MESO, il n’est pas rare que l’autre partie, à son tour, propose des éléments constitutifs du package auxquels on n’aurait pas pensé initialement.
3. Surmontez l’appréhension de la négociation
La peur de négocier provient souvent de l’inconnu. Dans « Disrupt Yourself » (Harvard Business Review Press, 2019), Whitney Johnson, PDG du cabinet Disruption Advisors et experte en leadership, explique comment l’apprentissage de nouvelles compétences active des réseaux neuronaux jusque-là en sommeil. Elle décrit ce phénomène comme une activation cérébrale liée à la plasticité neuronale, qui nous aide à gérer la nouveauté avec plus d’aisance. Ainsi, simuler des négociations permet de développer ces circuits neuronaux, créant un “sillon de déjà-vu” qui réduit l’anxiété et les doutes.
Ce que cet apport en neurosciences signifie, c’est qu’une pratique répétée et régulière de la négociation aura tendance à effacer l’appréhension naturelle qui en découle.
Partant du principe que plus on négocie, mieux on négocie, il est indispensable d’apprivoiser quotidiennement des réflexes de négociation. La négociation ne concerne pas exclusivement des fusions-acquisitions, des deals commerciaux hautement sophistiqués ou des situations diplomatiques délicates.
La négociation est en fait présente partout dans notre quotidien, et se cache dans des discussions informelles avec des collègues à la machine à café, avec ses amis, son conjoint ou ses enfants. En apprenant à la reconnaître derrière des situations banales du quotidien, on apprend à formuler ses envies, on apprend à dire non, on apprend à s’affirmer tout en maintenant un dialogue ouvert afin de trouver une solution mutuelle. En d’autres termes, on apprend à négocier.
4. Collectez des informations clés avant la négociation
Il est généralement admis qu’une préparation efficace de toute négociation passe par une compréhension approfondie de l’organisation avec laquelle vous négociez. Dans une négociation d’affaires par exemple l’importance de recueillir des informations sur les antécédents, les comportements et les préférences de l’autre partie n’est plus à prouver.
Mais ces principes ne s’appliquent pas qu’au business et concernent également une négociation de salaire. Alors que certaines entreprises ont des règles très strictes ou très normées concernant les salaires, d’autres ont des pratiques plus flexibles voire opportunistes. Cette collecte d’informations peut notamment se faire en contactant d’anciens employés pour comprendre les pratiques de négociation en matière de salaire – dans le respect des règles de confidentialité. Est-ce un sujet tabou ? Y a-t-il une façon spécifique de négocier ? Y a-t-il des sujets à ne pas aborder ?
5. Suscitez l’adhésion de votre interlocuteur
« On n’est pas responsable de la gueule qu’on a, mais on est responsable de la gueule qu’on fait. » Cette citation, généralement attribuée à Coluche, nous rappelle que nous négocions avec des êtres humains. Et que si nous nous embarquons dans une négociation de salaire, il va falloir donner une bonne raison à l’autre partie d’aller « vendre » cette demande à qui de droit en interne, au sein de sa hiérarchie. Ici les compétences ne suffisent plus, il faut donner envie. C’est là qu’intervient l’humain, le relationnel, la sympathie.
Amy Cuddy, spécialiste en psychologie sociale, s’appuie sur des recherches en économie comportementale et en psychologie sociale pour démontrer que, bien que la compétence soit essentielle, établir d’abord la confiance par la chaleur et le relationnel facilite l’acceptation des idées et renforce la coopération.
6. Sachez parler de vous avec clarté et conviction
Votre positionnement est clair, vous avez travaillé votre proposition de valeur personnelle, vous savez ce que vous pouvez apporter, et votre contribution est clairement identifiée. Il vous faut désormais mettre en musique votre discours, et parler de vous. Communiquer vos messages et votre histoire afin de convaincre l’autre partie que vous êtes l’heureux élu. Tout cela afin que votre requête autour du salaire soit légitimement et naturellement acceptée.
Non, négocier son salaire n’est pas un exercice d’art oratoire : il s’agit d’un effort de clarté, qui permet de mettre en scène son unicité et sa valeur. Il faut avoir la capacité de rendre intelligible ce qui ne l’est pas, à un interlocuteur qui ne saisit à priori pas la portée de vos réalisations, et qui ne vous connaît pas.
L’idée n’est certainement pas de briller mais de mettre en valeur vos réalisations et votre potentiel afin d’augmenter votre valeur perçue. Un prérequis nécessaire à votre négociation de salaire. Pour ce faire :
➤ Redéfinissez votre rôle au-delà des titres afin de vous différencier et de mettre en avant votre contribution spécifique. Par exemple, au lieu de dire que vous êtes directeur financier, expliquez que vous excellez dans l’optimisation des budgets et des coûts.
➤ Articulez une mission personnelle qui reflète une vision unique de votre métier. Présentez-vous par exemple comme un médecin urgentiste des entreprises en crise qui intervient pour restaurer leur santé financière et rétablir leur cash-flow.
➤ Simplifiez votre langage pour le rendre clair et impactant. Bannissez les acronymes et oubliez le langage sophistiqué ou ampoulé. L’idée est de rendre votre univers lisible et intelligible.
➤ Apportez du contexte en évitant une description « catalogue » de votre parcours. Il est toujours plus efficace de raconter une histoire, partager une trajectoire que d’assommer son interlocuteur avec des arguments « bullet points ».
Négocier son salaire peut sembler hasardeux, mais le véritable danger se trouve dans l’inaction. En préparant minutieusement votre démarche, en cernant vos priorités, en rassemblant des informations cruciales et en articulant vos arguments, vous optimisez vos chances de réussite.
Et si l’entente espérée ne se matérialise pas ? Vous aurez prouvé votre valeur, jeté les bases d’une future discussion et affirmé votre leadership. Alors, pourquoi tergiverser ? Avec une préparation méticuleuse et une approche respectueuse, vous n’avez rien à perdre… et tout à gagner.
Par Harvard Business Review France
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