Revenons plusieurs années en arrière et rappelons-nous l’émergence des réseaux sociaux publics comme Facebook dans nos vies. À l’époque, les managers ne voyaient pas d’un bon œil ces nouveaux environnements numériques, accusés d’avoir des effets potentiellement néfastes sur la productivité et la performance des collaborateurs sur leur lieu de travail (« Users of the world, unite! The challenges and opportunities of Social Media », d’Andreas M. Kaplan et Michael Haenlein, Business Horizons, 2010).
Depuis, la donne a changé. Les entreprises se sont massivement approprié les réseaux sociaux grâce à des plateformes collaboratives destinées exclusivement à l’usage de leurs salariés. Similaires aux réseaux sociaux publics, ces réseaux sociaux d’entreprise sont des plateformes numériques permettant à chaque employé de créer, diffuser, partager et échanger des informations dans une variété de formats et avec de multiples communautés (« Social media and their affordances for organizing: A review and agenda for research », de Paul M. Leonardi et Emmanuelle Vaast, Academy of Management Annals, 2017).
Une adoption massive mais des bénéfices mitigés
Ainsi, plusieurs réseaux sociaux d’entreprise ont émergé, tels que Slack, Teams, Chatter de Salesforce, et Jive. Les statistiques d’utilisation sont impressionnantes, avec des records atteignant 42,7 millions d’utilisateurs pour Slack et 300 millions pour Microsoft Teams.
Toutefois, l’utilisation du réseau social d’entreprise ne rime pas nécessairement avec tous les mots « jargons » qui font plaisir à entendre comme le partage de la connaissance, la collaboration entre salariés dispersés géographiquement ou encore le décloisonnement des barrières hiérarchiques, métiers et fonctionnelles. Une étude de McKinsey Global Institute en 2012 prédisait que l’utilisation des réseaux sociaux d’entreprise au sein des grandes entreprises pourrait contribuer jusqu’à 1,3 billion de dollars par an rien que pour l’économie américaine, et mettait en avant que l’essentiel de ce potentiel provient de la collaboration au sein de l’organisation à travers des utilisateurs qui partagent leurs connaissances métiers avec leurs collègues.
Toutefois, ceci est loin d’être une réalité pour plusieurs entreprises dont les réseaux sociaux d’entreprise sont désertés, peu utilisés ou ne génèrent pas les bénéfices prévus (« The social media revolution: Sharing and learning in the age of leaky knowledge », de Paul M. Leonardi, Information and Organization, 2017).
L’engagement des collaborateurs sur les réseaux sociaux d’entreprise, un défi managérial
La question de l’engagement des collaborateurs sur les réseaux sociaux d’entreprise se pose aux managers. L’idée serait de faire du réseau social d’entreprise un environnement où les salariés partagent leurs connaissances et expériences sur des thèmes qui les passionnent personnellement, indépendamment de leur travail (« Bridging the gap between work- and nonwork-related knowledge contributions on enterprise social media: The role of the employee–employer relationship », de Nabila Boukef, Mohamed-Hédi Charki et Myriam Cheikh-Ammar, Information Systems Journal, 2024).
Par exemple, le réseau social d’entreprise deviendrait un terrain de jeu où les salariés partageraient des conseils sur la récupération après un semi-marathon, les bienfaits d’une alimentation anti-inflammatoire ou la préparation physique et mentale à un triathlon.
Vers une approche culturelle des réseaux sociaux d’entreprise
Le fait que les collaborateurs utilisent le réseau social d’entreprise pour jouer pendant les heures de travail est paradoxal, car c’est précisément ce que le management souhaitait éviter en introduisant cet outil. Des études ont d’ailleurs montré que l’utilisation du réseau social d’entreprise à des fins non professionnelles peut perturber le travail, être perçue comme une socialisation excessive par la direction et favoriser le développement de rumeurs (« Enacting knowledge strategy through social media: Passable trust and the paradox of nonwork interactions », de Tsedal B. Neeley et Paul M. Leonardi, Strategic Management Journal, 2018).
Toutefois, il existe une autre approche du réseau social d’entreprise qui peut mener à des résultats spectaculaires : le considérer comme une plateforme où les collaborateurs expriment leurs passions (« The search for purpose at work », de Naina Dhingra et Bill Schaninger, McKinsey Podcast, 2021).
À l’ère du travail à distance, le réseau social d’entreprise est le lieu idéal pour permettre aux salariés de partager leurs centres d’intérêt. Toutefois, cela ne doit pas se faire de manière aléatoire. Les entreprises doivent créer un contexte propice, caractérisé par la sécurité psychologique et le soutien organisationnel perçu. Ces paramètres favorisent le passage du partage de connaissances extra-professionnelles au partage de connaissances professionnelles sur le réseau social d’entreprise. Il est finalement crucial de le considérer non seulement comme un changement technologique, mais aussi comme un changement culturel.
Pour résumer, l’adoption réussie des réseaux sociaux d’entreprise nécessite donc une vision qui transcende les considérations purement technologiques. Il s’agit d’opérer un véritable changement culturel en créant un environnement sécurisant et stimulant où les collaborateurs peuvent exprimer leurs passions, partager leurs connaissances et tisser des liens authentiques. En permettant aux salariés de « jouer » sur ces plateformes, les entreprises ouvrent la voie à un engagement accru, une collaboration renforcée et une performance collective optimisée.
Par Harvard Business Review France
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