Vous pensiez que nous avions déjà suffisamment à faire à lutter contre le réchauffement climatique et la perte de la biodiversité ? Eh bien, voici que les scientifiques entrevoient une autre crise majeure que nous allons devoir apprendre à gérer. Une crise qui pourrait toucher quelque 5 milliards de personnes d’ici la fin du siècle !
La question de la désertification n’est sans doute pas de celles que nous nous posons tous les jours. Elle devrait pourtant nous inquiéter, nous assurent aujourd’hui des scientifiques, auteurs d’un rapport appelé à faire date. Intitulé « The Global threat of drying lands », comprenez « La menace mondiale de l’assèchement des terres », il est publié alors même que les représentants de quelque 200 pays sont réunis à Riyad (Arabie saoudite) pour la 16e Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD, COP16). Et il livre effectivement un chiffre alarmant : ces 30 dernières années, plus des trois quarts des terres de la planète – très exactement 77,6 % – sont devenues durablement plus sèches par rapport à la période de 30 ans précédente !
Selon le rapport « The Global threat of drying lands », la tendance à l’assèchement touche la quasi-totalité de l’Europe. Le chiffre étourdissant de 95,9 % des terres est avancé. Un « avenir sombre » est même annoncé à l’Europe méditerranéenne et méridionale, autrefois considérée comme des greniers agricoles.
Documenter la question a longtemps constitué un défi pour les scientifiques. Car l’aridité se mesure sur le long terme. Et elle fait intervenir des interactions complexes entre les précipitations, l’évaporation et la transpiration des plantes. Ce rapport, qui s’appuie sur des modèles climatiques avancés et des méthodologies standardisées, marque donc un tournant dans le domaine. Non seulement parce qu’il dévoile des tendances, mais aussi parce qu’il révèle des informations sur les facteurs sous-jacents.
L’aridité progresse à une vitesse affolante
Pour ce qui est du constat, d’abord, les scientifiques estiment que ces 30 dernières années, les terres arides se sont étendues d’environ 4,3 millions de kilomètres carrés. C’est près d’un tiers de plus que la superficie de l’Inde. Et environ 7,6 % des terres du monde ont franchi des seuils d’aridité. Cela peut sembler raisonnable. Mais cela représente tout de même une superficie plus grande que celle du Canada ! Résultat, 2,3 milliards de personnes vivaient, en 2020, dans des régions arides. C’est plus d’un quart de la population mondiale et deux fois plus qu’en 1990.
Les scientifiques préviennent qu’un cinquième de toutes les terres pourrait subir des transformations brutales de l’écosystème en raison de l’aridité croissante d’ici la fin du siècle. Avec des conséquences dramatiques. Une perte d’habitats pour plus de la moitié des espèces. Des feux de forêt plus intenses. Des tempêtes de sable plus nombreuses dans certaines régions. Mais aussi une pénurie d’eau et une dégradation des terres. Et une insuffisance de production alimentaire qui fait grimper les taux de maladies et de mortalité à l’échelle mondiale, qui pousse aussi les populations à migrer, entraînant des défis sociaux et politiques dans le monde entier.
« Contrairement aux sécheresses – qui correspondent à des périodes temporaires de faibles précipitations -, l’aridité représente une transformation permanente et implacable, insiste Ibrahim Thiaw, secrétaire exécutif de la CNULCD. Les sécheresses prennent fin. Mais lorsque le climat d’une région devient plus sec, sa capacité à revenir aux conditions antérieures est perdue. Les climats plus secs qui affectent actuellement de vastes terres à travers le monde ne reviendront pas à ce qu’ils étaient et ce changement redéfinit la vie sur Terre. »
Les gaz à effet de serre aussi responsables de l’aridité
Et le rapport pointe un principal responsable. « Depuis des décennies, les scientifiques du monde entier signalent que nos émissions croissantes de gaz à effet de serre sont à l’origine du réchauffement climatique. Aujourd’hui, pour la première fois, un organisme scientifique de l’Organisation des Nations unies avertit que brûler des combustibles fossiles provoque également un assèchement permanent dans une grande partie du monde, avec des conséquences potentiellement catastrophiques sur l’accès à l’eau qui pourraient pousser les populations et la nature encore plus près de points de basculement désastreux. Alors que de vastes étendues de terres du monde deviennent plus arides, les conséquences de l’inaction deviennent de plus en plus graves et l’adaptation n’est plus une option, elle est impérative », souligne Barron Orr, scientifique en chef de la CNULCD.
Parce que dans un scénario de fortes émissions de gaz à effet de serre, les chercheurs annoncent, pour la fin de notre siècle, une expansion des terres arides dans le Midwest des États-Unis, le centre du Mexique, le nord du Venezuela, le nord-est du Brésil, le sud-est de l’Argentine, toute la région méditerranéenne, la côte de la mer Noire, une grande partie de l’Afrique australe et le sud de l’Australie. Jusqu’à 5 milliards de personnes vivraient alors dans des zones arides, aux prises avec des sols épuisés, des ressources en eau en diminution et le recul ou l’effondrement d’écosystèmes autrefois florissants.
Le tableau semble noir. Mais les experts assurent que nous pouvons encore éviter le pire. En ramenant au zéro net nos émissions de gaz à effet de serre d’abord. Et en combinant les connaissances scientifiques de pointe avec les connaissances autochtones. « Nous pourrions ainsi élaborer des stratégies plus solides et plus intelligentes pour ralentir la progression de l’aridité et atténuer ses impacts », estime Sergio Vicente-Serrano, co-auteur principal du rapport et chercheur à l’Institut pyrénéen d’écologie (Espagne). « Sans efforts concertés, des milliards de personnes seront confrontées à un avenir marqué par la faim, les déplacements et le déclin économique. Pourtant, en adoptant des solutions innovantes et en encourageant la solidarité mondiale, l’humanité peut relever ce défi. La question n’est pas de savoir si nous avons les outils pour répondre, mais si nous avons la volonté d’agir », assure Nichole Barger, présidente de l’interface science-politique de la CNULCD.
« L’aridité croissante va remodeler le paysage mondial, remettre en cause les modes de vie traditionnels et forcer les sociétés à repenser leur relation avec la terre et l’eau », ajoute Andrea Toreti, également co-auteur principal du rapport et scientifique principal au Centre commun de recherche de la Commission européenne. Ainsi, les chercheurs appellent à une transition vers une utilisation plus durable des terres. Ils présentent également des technologies telles que la collecte des eaux de pluie, l’irrigation au goutte-à-goutte et le recyclage des eaux usées comme de bonnes solutions pour gérer des ressources devenues rares dans les régions sèches
Par FUTURA
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