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Entrepreneurs, jonglez avec les différentes horloges du temps

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L’entrepreneur est devenu un athlète de haut niveau conditionné à la vitesse. Il crée une « startup » dont le mot a quand même plus d’allant et d’ambition qu’une « entreprise de croissance ». Il vit à l’ère du Scrum et du TimeBoxing – une méthode de gestion de projet en temps limité – qui découpent les projets en sous-projets appelés « sprints ». L’anglais est devenu le langage d’un entrepreneur de son temps, celui de l’urgence qui se prononce pourtant dans toutes les langues.

Mais si vitesse et réactivité gouvernent le quotidien de l’entrepreneur, elles sont rarement partagées par ses interlocuteurs. « Reprenons contact vite », c’est un message unique à perception variable : dans deux jours dans l’esprit de l’entrepreneur, un mois peut-être dans celui de son client grand compte, 3 mois sans doute dans une administration. « Votre facture est au règlement » ? Des fonds demain sur le compte pour l’entrepreneur, un accord pour règlement pas encore transmis au service comptabilité chez son interlocuteur.

La création d’entreprise consacre donc la théorie du temps relatif. Plusieurs raisons l’expliquent.

En créant une entreprise, l’entrepreneur fait de la trésorerie la nouvelle unité de mesure de son temps, et des euros les secondes de ses journées. Car le temps qui s’écoule, c’est une trésorerie qui se consomme et des interrogations croissantes sur la pérennité de l’activité, la perspective de devoir réduire l’investissement et les dépenses au risque de freiner le développement, la nécessité de trouver des solutions de financement et donc d’y consacrer du temps. Autant de considérations qui bien souvent échappent aux interlocuteurs de l’entrepreneur, à la fois concentrés sur les sujets opérationnels et préservés des enjeux de trésorerie de leur entreprise. Elément de survie et de développement pour le jeune entrepreneur, sujet lointain et géré par une direction financière pour les autres.

Par ailleurs, le rapport au temps dépend évidemment de l’importance d’un projet. Chaque nouveau projet pour l’entrepreneur est une promesse, celle de voir plus grand, plus loin ou différemment. L’obtention d’une subvention ou d’un prêt, la commande d’un client ou la signature d’un nouveau contrat, une possibilité de communiquer dans un média… Un événement évidemment singulier dans les premiers temps du démarrage, un projet au goût d’anecdote pour les partenaires de l’entreprise. Un sujet d’actualité par exemple pour Julien Delon et son entreprise sejourning.fr. Ce leader français de l’hébergement de courte durée qui a obtenu un accord pour un prêt à l’innovation en juin 2013, attend toujours le versement des fonds. Et parfois la lourdeur administrative rajoute du temps au temps. La demande d’un RIB original, et non pas photocopié ou numérisé, aura décalé de quelques jours encore, le versement des fonds…

Enfin, le caractère relatif du temps puise aussi ses différences dans le rapport à la curiosité. Être curieux, c’est s’accorder du temps, rencontrer, collecter de l’information, sans obligation de transformation à court terme, ni exigence de profit immédiat. C’est là l’une des difficultés de la jeune entreprise : obtenir de ses prospects les faveurs d’un temps disponible pour la découverte, les nouvelles idées, l’innovation. Car la surcharge et le manque de temps de managers débordés sont survalorisés, aux dépens du temps pour l’ouverture et le recul. Osons le trait culturel aussi. Le manager français vous rencontrera plus tard quand il aura un peu de temps. Le manager américain veut vous voir demain pour ne pas risquer de rater une belle opportunité…

Mais la pression du temps est aussi celle de la comparaison. La fulgurance de la réussite est aujourd’hui devenue une valeur étalon. Il faut non seulement avoir réussi – concept par essence très subjectif – mais avoir réussi en un temps record. Prenez Airbnb ou encore Uber, deux entreprises stars qui présentent des chiffres à donner le vertige : une valorisation de plus de 10 milliards de dollars pour la première, une dernière levée de fonds d’1,2 milliard de dollars récemment bouclée pour la seconde. Et tout cela en cinq ans… Un tourbillon de chiffres prompt à électriser toutes les vocations et rendre le risque accessoire.

Parce que c’est aussi dans son rapport au risque, que l’entrepreneur puise l’énergie de la vitesse. Prenons-nous le temps pour limiter le risque ? Un point évidemment sans fondement puisqu’il a logiquement intégré le risque comme partie prenante de l’aventure. Si pour la jeune entreprise forcément vulnérable, la mort autrement dit la fin de l’activité, est perçue comme une possibilité, il en est cependant tout autre pour l’entreprise plus mature avec laquelle elle échange. Potentiellement fatal dans un cas, la lenteur ou le risque de défaillance relèveront davantage de l’incident de parcours dans le second. Deux visions qui donnent à l’exigence du rythme un sens bien différent.

Et puis ne pas aller vite, c’est aussi perdre son temps, et risquer de ne pas être « Time To Market », de se faire rattraper ou distancer par les concurrents, de se voir reprocher par les investisseurs la non réponse au calendrier vendu et aux engagements pris, de rater cette « prime au premier entrant » dont les premiers pionniers du web avaient fait une vertu. Une condition devenue aujourd’hui obsolète dans une économie qui se différencie moins par la technologie que par la capacité à créer l’expérience et l’usage.

Mais en se laissant envahir par l’impatience, le plus grand risque de l’entrepreneur est de tendre la fragile relation qu’il a su nouer avec ses interlocuteurs et de faire de tous les sujets du quotidien un état de frustration permanente. Entreprendre, c’est donc savoir avancer vite, mais en ayant la sagesse de jongler avec les horloges du temps.

Par Harvard Business review France

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