On le sait peu, mais le travail des personnes âgées est aujourd’hui un phénomène massif à l’échelle internationale, y compris dans les pays développés. Au Canada, près de la moitié des hommes retournent sur le marché du travail à un moment ou un autre dans les dix ans qui suivent leur départ en retraite (autour de 65 ans). Aux Etats-Unis, le nombre des actifs âgés de plus de 75 ans a quasiment doublé dans les dix dernières années (« Do aging baby boomers work more than earlier generations? », de Yuqian Lu et Feng Hou, Economic and Social Reports – Statistics Canada, 2022).
Le départ à la retraite impliquait autrefois une sortie définitive du monde du travail. Il signale aujourd’hui fréquemment le début d’une période mixte, mêlant moments pour soi et activités rémunérées.
Pourquoi les retraités continuent à travailler
Une nécessité liée à des retraites insuffisantes ? Le montant des pensions joue un rôle, bien sûr, dans la décision de continuer ou non à travailler. Mais les questions financières n’expliquent pas tout. Une personne sur quatre, à l’âge de 65 ans, a encore plus de 25 ans à vivre et certains ont du mal à se projeter dans une vie oisive, consacrée à leur famille, à des passe-temps personnels ou à des activités associatives qui ne conviennent pas à tous.
Beaucoup de salariés, alors qu’ils disposent d’assez de revenus pour s’arrêter, veulent garder un pied dans la vie professionnelle parce que celle-ci leur apporte aussi des contacts humains, des possibilités de continuer à apprendre, une reconnaissance sociale, parce qu’elle constitue une part importante de leur identité, parce que le travail a une valeur centrale dans leur vie.
De fait, la retraite active décrit une courbe en U : les retraités qui continuent à travailler sont particulièrement nombreux à la fois chez les bas salaires et parmi les plus qualifiés, les cadres et les professions intellectuelles (« Retirement Patterns and the Macroeconomy », de Kevin E. Cahill, Michael D. Giandrea et Joseph F. Quinn, The Gerontologist, 2015).
Pour les dirigeants d’organisations, fréquemment confrontés aujourd’hui à des pénuries de main d’œuvre, peinant à garder en leur sein des jeunes devenus moins nombreux et faisant parfois monter les enchères, séduire ces seniors pour qu’ils restent un peu plus longtemps ou pour qu’ils reviennent travailler après leur retraite devient dès lors un véritable enjeu.
Des multinationales comme Orange, Pepsico, Goldman Sachs ou UPS ont créé des programmes de recrutement et de fidélisation orientés vers cette nouvelle cible. Dans certains pays comme la Finlande, l’Australie ou le Royaume-Uni, les pouvoirs publics incitent les employeurs à s’orienter aussi vers ces pratiques pour faire face aux pénuries de main d’œuvre. Le sujet ne peut pas laisser indifférent en France : en 2024, malgré la conjoncture morose, pas moins de six employeurs français sur dix font état de difficultés à recruter.
Comment attirer et fidéliser les seniors ?
Comment, dès lors, inciter les retraités à poursuivre leur vie professionnelle ? Nos recherches montrent que la question mobilise de plus en plus les experts des RH depuis une dizaine d’années (« Employment After Retirement: A Review and Framework for Future Research », de Sherry E. Sullivan et Akram Al Ariss, Journal of Management, 2018).
Il s’agit d’abord de convaincre en interne, au sein même de l’entreprise, du potentiel de ces retraités, car voilà peu encore, on avait l’habitude de pousser précocement vers la sortie les plus âgés, en mettant en cause, selon les cas, leur coût plus élevé que celui des jeunes, leur manque de dynamisme ou leur insuffisante capacité à s’adapter à l’évolution des technologies.
En raison de l’évolution démographique, les responsables des ressources humaines sont de plus en plus incités à lutter contre ces stéréotypes négatifs traditionnels et à mettre en avant auprès des managers la valeur de l’expérience. Fidéliser les seniors reconnus pour leur sérieux et leur engagement, pour leur connaissance de l’histoire des entreprises, contribue à la pérennité de celles-ci, il s’agit de le faire entendre dans les services.
Mais si le propos commence peu à peu à être entendu, encore faut-il savoir s’y prendre pour conserver des retraités au sein de la structure, voire pour séduire des seniors venus de l’extérieur. Ceux-ci, en effet, n’ont pas exactement les mêmes demandes, les mêmes attentes, que les salariés classiques.
Leur proposer un emploi du temps flexible est un critère déterminant. En 2019, au sein de l’Union Européenne, parmi la population de plus de 65 ans qui est restée active, 60% des femmes et 48% des hommes travaillaient à temps partiel.
Même si les retraités actifs ont en moyenne une meilleure santé que les autres, comme le montre notamment une étude danoise, on a besoin, à 65 ans passés, d’avoir des journées moins longues et des temps de pause plus importants pour pouvoir récupérer (« Who continues to work after retirement age? », de Sarah Zaccagni, Anna Munk Sigsgaard, Karsten Vrangbaek et Laura Pirhonen Noermark, BMC Public Health, 2024).
Le temps partiel est souvent privilégié ainsi que le travail hybride. Pouvoir travailler en partie de chez soi est important pour limiter les heures de transport. Ces besoins restent aujourd’hui insuffisamment pris en compte par la majorité des organisations.
La plupart des retraités aiment par ailleurs servir de mentors, coacher des plus jeunes pour leur transmettre leurs compétences. Des recherches menées aux Etats-Unis ont ainsi montré l’attrait des offres d’emploi qui mettent en avant la volonté de favoriser la transmission des savoirs.
Repenser les conditions de travail des seniors
Il ne s’agit pas de s’adresser explicitement aux seuls retraités, ce type de démarche pourrait être mal perçu. Mais ces recherches américaines mettent en évidence l’accueil positif des annonces qui affirment un attachement à la diversité des profils. L’enjeu est de montrer que l’organisation sait faire preuve de souplesse et s’adapter à des besoins diversifiés (« Attracting retirees to apply: desired organizational characteristics of bridge employment », de Barbara L. Rau et Gary A. Adams, Journal of Organizational Behavior, 2005).
Pour les DRH, comprendre ces attentes est fondamental. Au moment où la chute drastique des naissances annonce le début d’un hiver démographique occidental, il s’agit de décrypter le fonctionnement d’un marché de l’emploi secondaire qui risque d’être amené à croître rapidement.
Les bons candidats extérieurs se révèlent souvent des salariés qui ont changé de travail à de multiples reprises au cours de leur vie professionnelle et qui cherchent à rebondir à nouveau, après leur retraite. Il n’est pas rare que ceux qui ont connu des périodes de stress professionnel se tournent vers des activités complètement différentes de celles qu’ils connaissaient. Accueillir une telle démarche venant de personnes de plus de 60 ans n’est pas intuitif. Ces transitions professionnelles devront bénéficier d’un accompagnement qui n’existe pas ou très peu aujourd’hui en France.
Les conditions de travail au cours de la vie active devront également être repensées pour permettre ces carrières continues. Il s’agit de préserver la santé des salariés. Il s’agit aussi de préserver l’image d’eux-mêmes de ceux qui approchent de la retraite. Certains pays ont à cet égard une vraie longueur d’avance. Ce n’est pas un hasard si en Suisse ou en Suède par exemple, 20% des individus continuent à travailler après leur retraite tandis qu’en Slovénie ou en Pologne, ils ne sont que 2 à 4% dans ce cas.
Ces questions ont été peu et mal traitées en France, lors de la réforme des retraites en 2023. Ce peut être aujourd’hui le moment d’y revenir.
Par Harvard Business Review France
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