Parmi elles, une grande oubliée, la flexibilité cognitive, cette capacité mentale à adapter des stratégies cognitives en réponse à des conditions nouvelles et inattendues, à réorienter son attention entre différentes tâches et à contrôler ses pensées. Rappelons que la cognition est l’ensemble des processus psychiques liés à l’esprit (langage, mémoire, raisonnement, coordination des mouvements, jugement, planification).
La flexibilité cognitive se compose de trois dimensions :
- La conscience que dans n’importe quelle situation, il existe des options ou des alternatives possibles (nous avons souvent le choix).
- La volonté d’être flexible et de s’adapter à la situation.
- Le sentiment d’efficacité personnelle à être flexible (la conviction que cela peut fonctionner).
La flexibilité cognitive est donc une compétence clé pour accélérer les transformations, innover en profondeur et collaborer efficacement avec des profils variés. Elle favorise la résilience face aux difficultés et au stress, stimule la créativité et améliore la qualité de vie (« Flexible control in processing affective and non-affective material predicts individual differences in trait resilience », de Jessica J Genet et Matthias Siemer, Cogn Emot, 2011).
Une compétence clé du Leadership positif
Depuis 12 ans, notre Institut cherche à valider le modèle du Leadership Positif par des recherches scientifiques rigoureuses. Dans notre dernière étude, menée avec le laboratoire d’économie expérimentale du CNRS à Lyon et l’Université de Californie à Santa Barbara, nous avons voulu savoir notamment, si et comment développer de manière durable la flexibilité cognitive chez les managers et les collaborateurs. Nous plaçons cette compétence au cœur du leadership positif.
La flexibilité cognitive a été mesurée à l’aide du test à 12 items des chercheurs en communication Matthew Martin et Rebecca Rubin. Ce test évalue la prise de conscience par l’individu de solutions alternatives, sa volonté de s’adapter à une nouvelle situation et son auto-efficacité à être flexible (par exemple, « Je peux trouver des solutions viables à des problèmes apparemment insolubles ») (« A New Measure of Cognitive Flexibility », de Matthew Martin et Rebecca Rubin, Psychological Reports, 1995).
Nous avons inclus cette dimension car la plupart des tâches managériales nécessitent une telle flexibilité. Sur la base de certaines études qui ont suggéré que l’entrainement à la méditation de pleine conscience pouvait améliorer cette capacité, nous avons conçu et animé un programme de formation au leadership positif (Lead for good), basé sur la combinaison des meilleurs outils de psychologie positive, neuroscience et entrainement mental (« Meditation, mindfulness and cognitive flexibility », de Adam Moore et Peter Malinowski, Consciousness and Cognition, 2009).
Notre étude est la première en économie comportementale et en psychologie à analyser l’impact d’un tel programme en entreprises sur les performances dans un ensemble de tâches nécessitant de l’attention et du contrôle cognitif.
Vers une intelligence combinatoire pour mieux faire face à l’incertitude
Nos résultats montrent qu’avec un entraînement combinant outils de psychologie positive et des pratiques d’entraînement mental, les participants des sociétés Sanofi, Engie, BioMérieux ont déclaré une plus grande flexibilité cognitive après le programme. Cet effet bénéfique a persisté jusque trois mois après la formation.
Alors que la résistance au changement, le rejet de la nouveauté et des idées divergentes sont fréquents en entreprise, cette étude ouvre des perspectives intéressantes. Elle suggère ainsi qu’il est possible de développer une « intelligence combinatoire », une pensée capable d’embrasser la complexité et les contradictions, inspirée du philosophe Paul Ricoeur, pour mieux appréhender l’incertitude.
L’étude a notamment proposé aux participants d’identifier et de neutraliser leurs biais cognitifs à l’aide d’un jeu de cartes, “chasseurs de biais”. Parmi ces biais, la dissonance cognitive, qui crée un conflit interne entre nos croyances et la réalité, peut nous enfermer dans la rigidité. Pour l’atténuer, nous avons parfois tendance à déformer la réalité pour la rendre conforme à nos idées préconçues.
Face à des changements importants, certains dirigeants peuvent ainsi s’accrocher à leurs certitudes et refuser de les remettre en question, malgré les faits. C’est là que la flexibilité cognitive intervient.
Fort de l’expérience acquise auprès de centaines de managers, voici quelques pistes pour développer cette compétence, individuellement et collectivement.
Programmez des temps de régénération mentale
Clarté mentale, réflexion approfondie et ouverture à de nouvelles perspectives sont les maîtres-mots. Alain Dinin, PDG de Nexity, s’accorde 30 minutes d’isolement quotidien pour « respirer et laisser vagabonder son esprit ». Jeff Weiner, ancien PDG de LinkedIn, consacrait chaque jour 90 minutes à la réflexion personnelle, dont 3 minutes centrées sur sa respiration, un acte managérial qu’il juge essentiel.
Encouragez la pensée divergente
Il est crucial d’encourager l’esprit critique en se questionnant régulièrement : « Et si nous faisions autrement ? ». Solliciter le regard neuf des nouveaux collaborateurs est également précieux. Favoriser l’expression de points de vue divergents permet d’éviter de se conforter dans ses propres opinions. Le flux d’informations a décuplé en 15 ans et nous consultons nos emails toutes les 2 minutes en moyenne. Cette surcharge informationnelle nuit aux organisations et entrave la prise de décision.
Face à la surinformation, la désinformation (fake news) et la complexité des situations, le leader peut utilement se nourrir de la diversité des points du vue en prenant les avis aussi en dehors de son premier cercle. Contrairement à un ordinateur, nous n’enregistrons pas les informations de façon factuelle et indépendante. Nous interprétons beaucoup en fonction de nos émotions et de nos expériences antérieures. Ainsi, les événements les plus récents, plus facilement accessibles à notre mémoire, prennent plus de poids que des événements plus anciens, en partie oubliés, minimisés ou transformés.
Le leader est ainsi beaucoup plus sensible au dernier conseiller reçu. D’où l’importance de prendre des notes écrites et de s’y référer ou bien d’encourager la pensée divergente et les évaluations collectives pour éviter ces biais émotionnels et de disponibilité.
Découvrez les vertus de la présence attentive sur le discernement
Nos recherches de 2017 ont démontré que 5 minutes quotidiennes d’entraînement à la pleine conscience (mindfulness) suffisent à aider les managers à sortir du « pilotage automatique » et à améliorer leur attention. Mieux encore, après 8 semaines d’entraînement, ils constataient une acceptation des changements et une réactivité émotionnelle nettement améliorées.
La présence attentive permet de prendre en compte tous les facteurs qui influencent les comportements individuels. Nous avons naturellement tendance à attribuer les actions des autres à des traits de personnalité plutôt qu’à des facteurs externes. Ce biais, appelé « biais de correspondance », nous conduit à ignorer le contexte. Pratiquer la pleine conscience permettrait ainsi de lutter contre cette tendance et nous rendrait plus empathiques, capables de dissiper les malentendus qui surgissent dans nos interactions sociales.
Encouragez les évaluations collectives plutôt qu’individuelles pour éviter les biais émotionnels
Instaurer des temps de réflexion écrite en fin de journée ou de projet permet de limiter les risques de pensée unique. Lors d’une réunion décisionnelle, le leader peut commencer par observer le silence pour ne pas influencer les opinions, encourager la libre expression et permettre l’émergence de points de vue divergents.
En fin de compte, l’enjeu de la diversité de pensée et de la flexibilité cognitive est crucial : il en va de notre libre arbitre et de la sauvegarde de la démocratie face aux dangers de la pensée unique, amplifiés par l’intelligence artificielle générative, la désinformation et le recul de la démocratie dans le monde.
Par Harvard Business Review France
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