Dans un contexte de pérennisation du travail hybride, une étude intitulée « Parcours Urbains » vient faire un état des lieux à l’échelle européenne des nouvelles modalités de travail des travailleurs de bureau. Avec 1200 répondants à un questionnaire en ligne répartis dans 5 pays (France, Espagne, Royaume-Uni, Pays Bas, Allemagne), l’idée est de mieux comprendre en quoi les parcours spatiaux dans leur globalité influencent le confort au bureau et la Qualité de Vie au Travail.
Commençons par deux chiffres centraux de cette étude. Les scores de confort au bureau des répondants sont moyens, avec 5,6 sur 10 de moyenne européenne. En outre, alors que l’on n’a peut-être jamais autant parlé de Qualité de Vie au Travail (QVT), seulement 39 % des répondants en sont très satisfaits. Nous avons questionné trois types de confort, conformément au modèle pyramidal de Jacqueline Vischer (« The Concept of Workplace Performance and Its Value to Managers », California Management Review, 2007).
Le confort physique est un préalable indispensable pour les travailleurs de bureau. On parle ici de lumière, d’assise, de température ou d’acoustique afin de savoir si les conditions de travail sont satisfaisantes. Dans notre enquête, esthétique et ergonomie des postes influencent significativement les scores. Le confort fonctionnel s’attache aux ressources spatiales dont on dispose pour faire du bon travail (« L’aspiration au travail bien fait », de Y. Clot, Le journal de l’école de Paris du management, 2013).
Les sentiments de privacité et d’intimité influencent significativement ces scores. Le confort psychologique interroge le rapport au lieu de travail à travers l’attachement, le sens ou l’appropriation, lesquels influencent significativement les scores. Avec des scores maximaux qui n’excèdent pas 6,5 sur 10, le confort des salariés de bureaux reste à améliorer et ce, malgré des disparités entre pays, relatives mais présentes. Mais ces scores de confort sont influencés par plusieurs dimensions.
Notons que la QVCT fait l’objet de négociations régulières avec les partenaires sociaux (Article L2242-1 du code du travail).
Le type de bureau influence le confort perçu
La typologie d’aménagement que nous avons retenue permet de constater la préférence des répondants pour le bureau individuel fermé par rapport aux espaces de travail ouverts de type openspace. Cet enseignement, sans grande surprise, nous rappelle que dans un contexte de travail hybride, le bureau individuel fermé reste idéal pour de nombreux travailleurs. La plupart des études disponibles confirment cette préférence, en dépit d’une tendance discursive qui promeut les espaces ouverts et/ou partagés comme plus adaptés aux nouveaux modes de travail.
Ceci révèle l’importance du bureau comme outil d’identité au travail et projection statutaire. Toutefois, préférence n’est pas rejet et dans un contexte de télétravail, les salariés comprennent plus facilement qu’avant le non-sens économique que peut être un poste de travail attribué mais occupé qu’une faible partie du temps. Les postes de travail partagés de type flex office influencent pourtant négativement le confort global. 21 % seulement des répondants sont dans un environnement de travail flex office, ce qui indique qu’il faut rester prudent face à sa supposée généralisation.
Le flex office concerne surtout les grandes entreprises des grandes métropoles, ce qui ne constitue pas la majorité des travailleurs de bureau. Pour autant, le flex office est une réponse pertinente à la baisse des taux d’occupation avec le télétravail. D’importantes disparités existent entre pays, avec par exemple 16 % de répondants français en flex office contre 29 % des Britanniques ou 41 % des Néerlandais, ces derniers étant précurseurs en la matière (« The Activity-Based Working Practice Guide », de J. van Meel, 2020).
La présence au bureau favorise le sentiment de confort
Le développement massif du télétravail a nourri de nombreuses réflexions relatives au retour au bureau, avec le débat non tranché, car certainement stérile, de la meilleure performance au bureau ou chez soi. Toujours est-il que les scores de confort et de QVT sont influencés par la présence au bureau et lorsqu’elle est faible, les répondants révèlent de moindres scores. Les scores maximaux de confort augmentent avec la fréquentation du lieu de travail et c’est un enseignement intéressant.
Dans un contexte où le bureau est en quelque sorte concurrencé par le travail à distance, un cercle vertueux se met en place avec la fréquentation des lieux de travail, l’inverse étant également valable. On comprend en effet assez facilement la difficulté à ce que les processus de confort psychologique qui permettent l’appropriation, la territorialisation ou l’attachement soient plus difficiles à structurer avec une faible présence sur le lieu de travail. Si l’on reprend la définition que les sciences humaines donnent d’un lieu, à savoir un espace investi d’éléments symboliques et discursifs propres, issus d’une appropriation, on comprend que la faible fréquentation d’un espace de travail nuit à ce qu’il fasse lieu.
Ceci peut également contribuer à renforcer les promesses de l’employeur dans le cadre du contrat psychologique.
Le flex office diminue le stress des transports
Le stress dans les transports conditionne l’ensemble du parcours des travailleurs, les mettant dans des dispositions plus ou moins favorables en fonction de l’expérience mobilitaire vécue. A ce sujet, les répondants français indiquent être davantage stressés que leurs homologues européens. Nous avons mesuré le stress à travers quatre variables que sont l’inefficacité, la congestion, la tension ressentie et la sécurité.
Concernant les moyens de transport utilisés, les chiffres sont sans équivoque : les Européens utilisent avant tout leur voiture personnelle pour se rendre au bureau. 55 % des répondants français utilisent leur voiture, contre 68 % des Allemands ou 66 % des Espagnols par exemple. Les temps de transport indiqués se situent en moyenne tous entre 33 et 37 minutes pour l’aller pour une distance entre 9 et 12 kilomètres. Précisons que notre échantillon n’incluait que des répondants travaillant dans des villes de plus de 100 000 habitants, ce qui implique logiquement des mobilités spécifiques aux grandes villes, notamment du fait d’importantes mobilités pendulaires centre/périphéries.
Le stress dans les transports diminue d’ailleurs en fonction du nombre de jours de venue sur site. Si l’on prend le seul critère ‘‘sécurité’’, les répondants qui ne viennent qu’une seule journée indique un score de 2/10 d’insécurité contre 3,6/10 pour ceux qui viennent 5 jours par semaine.
Un des résultats les plus intéressants réside dans le fait que les répondants en bureau non attribués, de type flex office, ressentent moins de stress dans l’ensemble sur chacune des dimensions. Ceci s’expliquerait par le fait que le flex office est associé à une flexibilité des horaires plus importante que pour les travailleurs en bureau attribué, dont les retards éventuels sont plus visibles et sans doute plus contrôlés par les managers mais aussi les collègues.
Le stress d’arriver en retard est donc moindre en flex office. On mesure ici une dimension importante du flex office, qui, en tant que concept englobant, ne se limite pas à un projet de m2 mais entend revêtir une logique culturelle. Le flex office n’est pas seulement un partage de postes, il est aussi une promesse d’empowerment du salarié sur son parcours spatial, sur son lieu de travail et en dehors (« The mindset of activity-based working », de MA. Skogland, Journal of Facilities Management, 2017).
A travers le moindre stress des transports en flex office par rapport aux salariés en bureau attribué, on mesure la différence dans le cadre général du travail.
La comparaison entre les quartiers de résidence et les quartiers de travail
Les stratégies de localisation des entreprises ne se résument pas à l’accessibilité puisque le contexte urbain dans lequel se trouve le lieu de travail, autrement dit le quartier, importe également. L’étude met en évidence l’importance d’une forme de similitude entre les deux. Plus l’écart de satisfaction augmente entre le quartier de résidence et de travail, plus la QVT perçue baisse. Ceci est particulièrement significatif pour la sécurité.
Les logiques de localisation des entreprises sont traditionnellement dépendantes de l’offre disponible sur le marché et des quartiers périphériques ont été investis par de nombreux travailleurs de bureau mais ceux qui se sentent en insécurité dans leur quartier de travail, où qui considèrent que ces aménités ne les satisfont pas, ont tendance à ne pas l’apprécier.
Les conséquences sur la satisfaction globale de l’environnement de travail seront négatives. Autrement dit et en caricaturant un peu, un beau bureau confortable mal situé sera moins apprécié qu’un bureau vieillissant mais bien situé.
Penser les lieux de travail à travers l’expérience quotidienne
Avec le développement du travail hybride, penser les immeubles de bureau ne peut plus se faire comme auparavant. Il semble que les travailleurs de bureau soient devenus encore plus exigeants concernant leur parcours spatial. Avec la concurrence du travail à distance, le moindre obstacle à la fluidité des parcours constitue un argument potentiel pour la préférence à rester chez soi.
Entre ‘‘j’aurais pu rester chez moi’’ et ‘‘j’ai bien fait de venir’’, la fluidité du parcours devient un impératif. D’ailleurs, de nombreuses études montrent que dans un monde du travail devenu hybride, les localisations centrales sont encore plus prisées qu’elles ne l’étaient. Le parcours spatial doit alors inviter les décideurs à penser leur stratégie immobilière aussi en dehors des immeubles de bureaux, en considérant que l’expérience externe influence l’expérience interne.
Penser les lieux de travail aujourd’hui se fonde sur l’idée que le travail de bureau peut techniquement se faire partout ou presque, c’est le fameux acronyme ATAWAD (Anytime, Anywhere, Any Device) et qu’il faut donc que la fréquentation des lieux de travail de l’entreprise soit fluide.
Quel est le parcours spatial idéal des travailleurs de bureau ?
L’étude permet de dresser le parcours idéal des travailleurs de bureau européens. On trouve d’abord une similitude entre les quartiers de résidence et les quartiers de travail. Ensuite, une fluidité dans ses mobilités importe beaucoup, avec notamment peu de changements de moyens de transport. Une fréquentation régulière et majoritaire du lieu de travail semble être bénéfique au confort et à la QVT. Dans l’immeuble de bureaux, un poste attribué reste préféré, idéalement cloisonné.
Ce portrait idéal se heurte bien sûr aux nombreuses contraintes auxquelles les entreprises doivent faire face en matière de stratégie immobilière.
Cependant, cette étude met en évidence le fait que de mauvaises décisions peuvent impacter lourdement le parcours urbain des travailleurs et donc la performance globale des organisations.
Par Harvard Business Review France
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