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Engagement au travail : Et si on revenait aux choses simples ?

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Businesspeople sitting in a small cubicle in hybrid office. Man and woman working on laptop in a box cubicle.

Chaque année, les études de l’institut Gallup sur l’engagement au travail tirent la sonnette d’alarme, et bien que ce sujet soit devenu une priorité dans les organisations, l’étude réalisée en 2024 continue de montrer des résultats déplorables, puisque 23 % seulement des employés dans le monde se déclarent engagés (chiffre qui tombe à 21 % en Europe et 19 % en France). Commence alors une valse frénétique de réunions, d’analyses sophistiquées et de théories managériales pour tenter d’expliquer ce manque d’investissement.

Le problème est que, tout comme l’homme sous son réverbère, les entreprises cherchent souvent au mauvais endroit.

L’impuissance du bonheur au travail et de la raison d’être

Les récentes réflexions autour de l’engagement des collaborateurs ont vu naître des mouvements où l’on met en avant la quête de sens et le bonheur au travail comme solutions miracles. Ces dernières années, un mouvement de balancier s’est opéré entre l’avènement des années start-ups, où l’installation du baby-foot semblait être la réponse à tous les problèmes du monde, et un nouveau paradigme où des concepts philosophiques et sociétaux ont remplacé ces solutions simplistes. Ainsi, le bonheur au travail, la raison d’être et la quête de sens sont devenus une sorte de boussole aspirationnelle pour booster l’engagement des collaborateurs. C’est un peu comme si Nietzsche, Platon et le Dalaï-Lama étaient devenus la principale source d’inspiration pour soigner le désintérêt des collaborateurs et améliorer la santé des entreprises.

Mais cette approche est résolument erronée. Prenons le bonheur au travail, par exemple : la définition du bonheur n’est pas universelle mais personnelle. Et parce qu’elle est également contextuelle, aucune entreprise au monde, quelles que soient ses bonnes intentions, ne peut prétendre générer du Bonheur pour ses collaborateurs. Éliminer la maltraitance et les environnements toxiques, oui. Espérer découvrir et implémenter la recette universelle du Bonheur au travail, non.

C’est la même chose pour la raison d’être ou le sentiment d’utilité. Envisager la contribution des collaborateurs sous l’angle philosophique ou sociétal est une erreur. Oui, les salariés veulent se sentir utiles, mais cela ne signifie pas nécessairement qu’ils veulent changer le monde ou trouver un sens profond à chaque tâche quotidienne. La contribution s’écrit aussi avec un « c » minuscule. Ce que beaucoup d’entreprises ignorent, c’est que les raisons derrière le désengagement sont souvent beaucoup plus pragmatiques. Les concepts tels que la grande démission ou le quiet quitting attirent l’attention des médias, mais en réalité, ce qui peut vraiment ré-engager les collaborateurs est souvent beaucoup plus simple et se conjugue au niveau de l’individu.

Comment renforcer le sentiment d’utilité ?

Un bon manager doit d’abord s’assurer que chaque membre de son équipe se sent utile. Il s’agit d’une responsabilité clé dans la gestion des équipes. Voici comment cela peut se traduire concrètement :

  • Relier les actions individuelles aux objectifs stratégiques : Chaque collaborateur doit comprendre comment ses efforts quotidiens contribuent directement aux objectifs globaux de l’entreprise. Cela va bien au-delà du simple énoncé des missions. Il faut montrer clairement à quel point chaque rôle a un impact direct sur le succès de l’entreprise. Si un employé se demande à quoi sert son travail, c’est un signal d’alarme ! On ne peut pas se sentir utile si on ne comprend pas l’impact de ce qu’on fait.
  • Identifier et valoriser « le truc » de chacun : Les Anglo-Saxons demandent souvent « what’s your thing ? ». Ce « truc », élément constitutif de l’identité personnelle de tout un chacun, est l’essence de la contribution unique de chaque collaborateur. Ce que Nick Craig, président du Core Leadership Institut, appelle sa « vocation » personnelle (« Leading from Purpose: Clarity and the Confidence to Act When It Matters Most », de Nick Craig, Hachette Books, 2018).

Attention, on ne parle pas de grande cause humanitaire ou de sauver les baleines – même si c’est une cause noble – mais plutôt des motivations intrinsèques de chaque individu, qui sont le fruit de son parcours de vie personnel. Un bon manager doit savoir identifier cet élément chez ses collaborateurs et veiller à l’exploiter et le valoriser pour que ces derniers se sentent reconnus pour leur contribution. Si vous gérez une équipe comme un entraîneur gère une équipe de football, vous ne ferez pas jouer tous vos attaquants au même poste. Chaque joueur a son rôle, que ce soit gardien de but ou attaquant, et l’équilibre des compétences est la clé du succès.

  • Comprendre à quoi on sert : Une étude menée par le professeur Ryan Buell à la Harvard Business School illustre l’impact du sentiment d’utilité sur l’engagement et la satisfaction des employés. Dans cette expérience, des cuisiniers d’une cafétéria pouvaient voir les clients du restaurant via un écran pendant qu’ils préparaient les repas. Cette connexion visuelle leur permettait de percevoir directement le plaisir et la satisfaction des clients dégustant les plats qu’ils avaient cuisinés, ce qui a eu pour effet de non seulement améliorer la qualité des plats, mais aussi d’accélérer le service. Cette étude met en lumière le fait que le sentiment d’utilité des employés n’a pas besoin d’être lié à une « grande cause » pour être significatif. La simple prise de conscience de l’impact immédiat et tangible de son travail sur autrui renforce l’engagement et la motivation. Lorsqu’un employé voit l’effet positif de ses actions, cela nourrit son sentiment d’accomplissement, le poussant à s’investir davantage dans son travail.

L’université de Wharton rappelle que le développement professionnel, qu’il s’agisse de formations formelles, de mentorat ou simplement d’apprentissage au quotidien, améliore le moral des équipes et renforce leur lien avec leur travail. En effet, selon une autre étude réalisée par Gallup, 68 % des employés placent la formation et l’évolution des compétences comme des critères prioritaires lorsqu’ils évaluent de nouvelles opportunités professionnelles, et près de 48% envisagent de changer d’emploi pour accéder à des programmes de formation plus complets. Les employés qui perçoivent des possibilités de développement et d’acquisition de nouvelles compétences affichent un engagement plus fort envers leur entreprise.

Il est possible de tirer de ces enseignements des conseils très pratiques à destination des entreprises et de leurs managers :

  • Faire de la progression une priorité managériale : Beaucoup trop souvent, les managers se concentrent sur des aspects purement transactionnels de leur rôle, tels que la réalisation des objectifs à court terme. Pourtant, un manager doit également être un « coach» pour ses collaborateurs et savoir les faire grandir. S’il est simplement là pour relever les compteurs, sa contribution est au mieux marginale, au pire inutile. Il doit investir dans leur développement à long terme, non seulement pour augmenter leur engagement, mais aussi pour obtenir de meilleurs résultats.
  • Multiplier les discussions sur le développement : Une simple évaluation annuelle n’est pas suffisante pour aborder les opportunités de progression de ses collaborateurs. En réalité, il faudrait y consacrer une discussion tous les 2 mois. Ces échanges privilégiés doivent impérativement être dédiés aux objectifs personnels et non devenir des réunions de suivi de la performance.
  • Créer des plans de développement concrets et personnels : Les mots, c’est bien, l’action c’est encore mieux. Parce que le leadership n’existe que dans l’action, le manager devrait co-construire avec chacun des membres de son équipe un plan de développement personnel. Ce plan doit être limité à deux ou trois objectifs clairs et mesurables (et pas une liste de course de 10 « priorités » comme c’est malheureusement trop souvent le cas). Et il doit être précis et ciblé. Dire que l’on veut « améliorer ses compétences en communication » est trop vague. Il faut définir précisément si cela concerne la prise de parole en public, la structuration d’un discours, ou encore la maîtrise du storytelling.

L’incohérence, ennemie publique n°1 de l’engagement

Quels que soient les efforts décrits ci-dessus, ces derniers seront voués à l’échec et anéantis si les entreprises ne font pas preuve de cohérence et d’authenticité.
Les contradictions entre les paroles et les actes agissent en effet comme une érosion insidieuse de la motivation. Elles sapent peu à peu les fondations de l’engagement des collaborateurs. Au fil du temps, ce décalage entre ce qui est dit et ce qui est fait fragilise leur confiance, jusqu’à ce que l’engagement se volatilise complètement.

Par exemple, les entreprises qui prônent le bien-être ou la bienveillance mais tolèrent un management toxique tombent dans ce que Gregory Bateson a appelé le double bind, ou injonction paradoxale. Cet anthropologue, connu pour ses contributions à la théorie des systèmes et à la communication, notamment dans la sphère familiale, affirme qu’un individu (qu’il soit un enfant ou un employé) confronté à des messages contradictoires provenant d’une figure d’autorité (qu’il s’agisse des parents ou d’un employeur) éprouvera non seulement de la frustration et du stress, mais avant tout une perte totale de confiance (« A Reflection on Paradoxes and Double Binds in the Workplace in the Era of Super-Diversity », de Daniel Côté, Humans, 2024).

Il ne s’agit pas pour les organisations d’être parfaites, mais elles se doivent d’être irréprochables dans leur comportement en général – et pas seulement vis-à-vis des employés. Une entreprise qui aurait des pratiques commerciales douteuses avec ses clients ou serait adepte du « social washing » ruinerait sa crédibilité et serait incapable de générer de la confiance et encore moins de l’engagement.

Les collaborateurs n’attendent pas nécessairement d’être les acteurs de révolutions sociétales pour se sentir engagés. Ce qu’ils recherchent, c’est un environnement qui valorise leurs contributions, les aide à progresser, et surtout, reste cohérent. Le besoin de recréer de l’engagement nécessite de repenser en profondeur le rôle du leadership et des managers. Ces derniers ne peuvent plus se contenter d’être simplement une extension opérationnelle de leurs équipes. Leur rôle doit être central et déterminant.

Les entreprises doivent être capables d’investir dans une culture managériale digne de ce nom pour des résultats durables. Si cela manque dans votre organisation, il est grand temps de l’intégrer.

Par Harvard Business Review France 

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