Organisation

La stratégie ouverte, pour mieux se réinventer

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En 2024, et plus que jamais, les entreprises ont besoin de se réinventer. Qu’il s’agisse de répondre aux enjeux environnementaux, de développer de nouveaux usages autour de l’IA générative ou de s’adapter aux différentes tendances du marché telles que l’immédiateté, la sécurité et la création de communautés, les organisations doivent repousser les limites de leur créativité et de leur innovation, au nom de la création de valeur.

Cependant, cette tâche s’avère complexe, notamment en raison des pressions concurrentielles du marché et du contexte économique actuel. Pour parvenir à ce renouveau, les entreprises se tournent de plus en plus vers la « stratégie ouverte », également connue sous le terme anglais « open strategy ».

La stratégie ouverte et la notion d’ouverture / fermeture

La stratégie ouverte se définit comme un moyen inclusif et transparent d’élaborer et de mettre en œuvre une stratégie. Elle implique une plus grande transparence sur la stratégie de l’entreprise auprès de publics internes et externes, et une plus grande inclusion des parties prenantes dans l’élaboration de celle-ci. Le top management donne ainsi la parole à tout l’écosystème de l’entreprise, et notamment aux collaborateurs de tous niveaux hiérarchiques, pour aller chercher les meilleures idées (« Opening Strategy: Evolution of a Precarious Profession », de R. Whittington, Ludovic Cailluet et B. Yakis-Douglas, British Journal of Management, 2011).

Des entreprises comme Leroy Merlin (Groupe Adeo) et Kiabi ont réussi à transformer leur stratégie en adoptant l’approche « open strategy ». Cette approche offre plusieurs avantages, tels que l’émergence de nouvelles idées, une plus grande responsabilisation des équipes, le lancement de nouveaux projets et une accélération des progrès. Cependant, la stratégie ouverte présente également son lot de défis ; comme le manque de mécanismes de sélection et d’intégration des idées, la diversité dans la qualité des idées, le manque de coordination des équipes, et une mobilisation considérable des ressources (« Open Strategy: Dimensions, Dilemmas, Dynamics », de Julia Hautz, David Seidl et Richard Whittington, Long Range Planning, 2017).

Cette complexité découle en partie d’une croyance erronée, répandue dans les entreprises et dans le monde universitaire, selon laquelle une ouverture quasi-totale est souhaitable (« Cambridge Handbook of Open Strategy », édité par David Seidl, Georg von Krogh et Richard Whittington, Cambridge University Press, 2019).

En effet, bien que les écrits scientifiques et les pratiques managériales considèrent généralement l’inclusion et la transparence comme des éléments positifs dans le cadre de la stratégie, il faut bien comprendre que l’ouverture implique nécessairement des enjeux de fermeture.

Les deux aspects sont indissociables. Si une entreprise ouvre sa stratégie sans tenir compte des enjeux de fermeture, elle risque de faire face aux problèmes mentionnés plus haut.

Le dilemme des voix

Il serait avisé de considérer la stratégie ouverte en relation avec les processus de fermeture de la stratégie. Les dirigeants peuvent ainsi répondre au « dilemme des voix » — un dilemme qui porte non seulement sur l’inclusion et la transparence comme piliers de la stratégie ouverte, mais aussi sur l’idée d’ouverture et de fermeture de la stratégie (« Speaking in Unison: The Voice Dilemma in Open Strategy », de Catherine Archambault-Janvier, François Cooren et Consuelo Vásquez, Management Communication Quarterly, 2024).

Deux questions centrales émergent de ce dilemme :

  1. Comment faire parler plusieurs voix (ouverture) au nom d’une seule voix stratégique (fermeture) ?
  2. Comment choisir parmi une myriade d’idées stratégiques et, parfois, y renoncer (fermeture) tout en maintenant l’engagement des collaborateurs ?

Zoom sur le modus operandi de la stratégie ouverte, où ouverture et fermeture cohabitent.

Faire parler plusieurs voix, au nom d’une seule stratégie

Le premier défi pour mettre en œuvre une stratégie ouverte consiste à susciter l’engagement et l’adhésion des collaborateurs au processus stratégique.

Des résistances et incompréhensions peuvent survenir :

« Pourquoi me demandez-vous soudainement mon avis ? »

« Pourquoi cette charge de travail supplémentaire ? »

« Pourquoi l’opinion des nouveaux venus aurait-elle plus de poids que la mienne ? »

Les dirigeants devront démontrer l’intérêt de faire entendre diverses voix au service de la stratégie, et bien entendu, rassurer les équipes. Il leur faudra expliquer clairement en quoi l’ouverture est bénéfique, et réaffirmer que chacun peut proposer des idées et des actions, pour créer une vraie stratégie d’impact.

Cependant, cette stratégie d’impact doit être commune, partagée : tous doivent s’exprimer d’une seule et même voix stratégique. Une certaine fermeture est donc nécessaire dans les phases d’ouverture.

Le cas concret de Kiabi

En 2015, l’entreprise Kiabi a initié une démarche d’ouverture permettant à l’ensemble de ses collaborateurs de s’exprimer sur les enjeux perçus comme stratégiques. En s’appuyant sur une mission et une vision co-construites, chaque département a pu élaborer sa propre stratégie et feuille de route annuelle, via des séminaires, des ateliers et la co-rédaction de livres blancs.

Dans cet exemple, le projet commun de définition de la stratégie sert à la fois de contexte pour faire entendre diverses voix, et d’occasion de s’accorder pour parler d’une seule voix – avec pour objectif de produire une stratégie écrite. Cette approche a rassuré les collaborateurs, car toute l’entreprise était mobilisée et la direction affichait clairement sa volonté pérenne d’inclusion stratégique. Certes, certains salariés n’ont pas adhéré à cette philosophie et ont quitté l’entreprise, mais cela fait partie de la vie des organisations.

Chez Kiabi, l’ouverture représente un véritable changement culturel, avec la convergence pour objectif. Les voix stratégiques sont celles des collaborateurs, exprimées par écrit d’une seule et même voix

Une seule stratégie décidée par plusieurs voix

Le deuxième défi pour pérenniser une stratégie ouverte est de sélectionner les actions stratégiques à mener au fur et à mesure que la stratégie est définie et validée.

Même si une entreprise parvient à s’exprimer d’une seule voix stratégique pendant une période prolongée, la mise en œuvre des actions stratégiques offrira aux collaborateurs de multiples occasions de créer de nouvelles ambitions et de nouveaux projets porteurs de sens, mais pas nécessairement stratégiques.

Il sera nécessaire de prioriser et de choisir les projets à retenir. Le plus difficile pourrait être d’accepter collectivement de ne plus être dans une phase de création, mais dans une phase d’exécution, peut-être moins stimulante.

Ces décisions doivent être prises en commun : si elles sont imposées par la direction, l’engagement des collaborateurs et l’ouverture stratégique qui en résulte risquent d’être perdus. Une certaine ouverture est donc indispensable dans les phases de fermeture.

Le cas concret de Kiabi

En 2019, Kiabi a réalisé un bilan approfondi de l’avancement de sa stratégie ouverte avec ses collaborateurs. Constatant que trop de projets étaient devenus « stratégiques» (plus de 70 sur la feuille de route), la direction a jugé nécessaire de réduire de moitié ce qui avait été écrit.

En effet, au fil des années, depuis 2015, de nouveaux projets s’ajoutaient sans pour autant mériter une mobilisation importante de ressources. Les dirigeants de Kiabi ont donc réuni un échantillon de plus de 50 collaborateurs, issus de tous les pays et niveaux hiérarchiques, pour décider collectivement des projets à clôturer, mais surtout de la manière de mener à bien les projets retenus.

Dans cet exemple, la fermeture reste l’objectif, la tâche à réaliser. Mais elle s’inscrit toujours dans cette culture d’ouverture. Les collaborateurs consentent à mettre en sourdine leurs voix stratégiques individuelles, au profit d’un consensus autour de la prochaine orientation stratégique

Finalement, mener à bien un processus d’open strategy exige des dirigeants qu’ils deviennent de véritables équilibristes. Ils doivent se défaire de la fausse croyance qu’une ouverture absolue est souhaitable, et réfléchir à la manière dont ouverture et fermeture peuvent cohabiter.

Concrètement, le top management doit organiser des occasions de rencontre entre les collaborateurs de différents niveaux hiérarchiques pour leur faire vivre cette dualité. C’est en effet le degré d’inclusion – illustré ici par le dilemme des voix – qui permettra la pérennité de la stratégie ouverte et la récolte de ses fruits.

L’exemple de Kiabi illustre de manière éloquente les retombées positives d’une stratégie ouverte bien menée, tant sur le plan commercial que sur celui de l’attractivité et de la qualité de vie au travail.

Non seulement l’entreprise a réussi à monter en gamme, mais elle a également pu dépasser ses concurrents pour le segment femmes en 2018, grâce à sa stratégie ouverte. De plus, Kiabi a remporté le prix Great Place to Work à plusieurs reprises, témoignant de la satisfaction de ses collaborateurs. Enfin, depuis son virage vers l’ouverture, l’entreprise a vu affluer un nombre croissant de CV de qualité, renforçant ainsi son attractivité en tant qu’employeur.

Ainsi, la stratégie ouverte apparaît comme un outil puissant pour créer de la valeur en entreprise. La direction devra donc accepter d’endosser pleinement ce nouveau rôle, qui exige une bonne dose de lâcher-prise, d’humanisme et de confiance. Il s’agit, finalement, d’emprunter cette nouvelle voie porteuse… au nom de plusieurs voix.

Par Harvard Business Review France

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