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Immobilier de bureau : pourquoi il faut revoir nos modèles

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Dans un monde où les révolutions sociétales et technologiques rendent le futur imprédictible, la rigidité de l’immobilier de bureau est devenu un véritable non-sens.

Il y a 20 ans, une entreprise n’avait qu’une option : souscrire un bail rigide en 3/6/9, l’offre la moins chère sur le marché. Il était donc courant que les entreprises manquent de surface ou paient des mètres carrés vacants car le 3/6/9 ne permet pas de s’ajuster en temps réel. Mais l’avantage tarifaire vaut-il cette prise de risque ?

La donne a progressivement évolué lorsque l’offre d’hôtels d’entreprise et de coworking s’est développée en France. Offrant des postes de travail tout équipés et des services simples, ces nouveaux acteurs ont permis aux entreprises d’assouplir leur approche. Elles ont donc pu tester leur développement et identifier leurs besoins réels avant de se lancer dans un 3/6/9 traditionnel. Si le prix est plus élevé, la souplesse gagnée et leur simplicité d’usage ont une valeur effective et en font alors une alternative compétitive.

Rigidité versus flexibilité. Il s’agissait alors d’un choix binaire, que les bouleversements récents de l’économie ont profondément remis en cause. Depuis les années 1960 et les Trente Glorieuses, la durée de vie des entreprises n’a cessé de se raccourcir (INSEE, 2021, et Statista, 2023). Et les nouveaux modèles de croissance agile plébiscités par les start-ups ont rendu la prévision presque impossible. Dès lors, penser qu’une entreprise peut s’engager sur une durée contractuelle 3/6/9 relève de l’hérésie.

Le siège de l’entreprise n’est plus l’alpha et l’oméga

L’immobilier de bureau est un secteur qui fonctionne comme une obligation en bourse : un produit financier de rendement à long terme pour les investisseurs. Ces derniers cherchent des flux de loyer sécurisés à travers la rétention des locataires sur des durées longues. La flexibilité introduit donc du risque.

C’est le frein principal à la transformation du secteur. Apporter de la flexibilité aux entreprises locataires est aujourd’hui considéré comme destructeur de valeur pour ceux qui détiennent la pierre. Mais la révolution des usages et la nouvelle donne économique appellent à la flexibilité à tous les niveaux et les surfaces de bureau n’y échappent pas.

Fortes des enseignements de la pandémie et de l’arrivée tonitruante du travail à distance dans les usages, les entreprises répondent maintenant aussi aux attentes d’une génération Z exigeante. Pour ces usagers, le siège de l’entreprise n’est en effet plus le seul lieu où les équipes sociabilisent et coopèrent. Le “néo-collaborateur” travaille désormais sans carcan et avec flexibilité. Semaine de quatre jours et un minimum de travail à distance de deux jours par semaine figurent en tête des exigences des salariés en 2024 (MySeetImmo / Xerfi Observatoire, 2023). Si l’immobilisme de l’immobilier pouvait s’entendre lorsque les changements d’emploi et d’entreprise étaient rares, comment y croire encore avec des générations ayant désormais prévu de changer tous les deux à trois ans d’organisation ?

Faut-il pour autant renoncer à la rentabilité en acceptant que le poste de coût bureau s’envole ? Au contraire, pour proposer de la flexibilité en limitant les risques, il est vital de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Diversifier ses activités pour répartir les risques et obtenir, à terme, un lissage des revenus et même une augmentation de la valeur de ses actifs.

Après le 3/6/9 et le coworking, le futur est à une troisième phase de l’évolution de l’immobilier de bureau : la combinaison des typologies de contrat pour disposer de la bonne surface et de la bonne configuration, au bon moment, selon l’activité et le flux de collaborateurs.

Un nouveau triptyque et un nouveau modèle de contrat entre propriétaires bailleurs et locataires

Face à ces constats, tout porte à croire que l’innovation réside dans un triptyque nouveau. Il ne s’agit plus de trouver des alternatives aux modèles existants mais de les rassembler pour obtenir une véritable souplesse.

Au premier niveau, l’idéal est de réserver le 3/6/9 à la surface que l’on est certain de conserver, et ce quelle que soit la durée de vie de l’entreprise, pour y bénéficier d’un prix plus bas. À chacun de définir cette part de rigidité assumée, à la lumière de la visibilité sur son activité et son appétence au risque.

Au deuxième niveau, afin d’anticiper les fluctuations des besoins, une couche contractuelle souple permettra de disposer de bureaux équipés à la demande dans des espaces proches et parfaitement conçus : propices à la production, la coopération et la sociabilisation, assortis d’équipements et de services étudiés pour favoriser qualité de vie au travail et productivité.

Enfin, au troisième niveau, pour satisfaire des besoins très ponctuels, une dernière brique contractuelle de nature événementielle sera dédiée à la location d’espaces équipés à la journée ou à la demi-journée, avec une gamme de services inspirés de l’hôtellerie.

Ces trois niveaux contractuels sont la préfiguration d’un nouvel immeuble de bureaux et d’un nouveau modèle de contrat qui pourrait lier propriétaires bailleurs et locataires. Compte tenu des investissements engagés – adaptation des surfaces, mises aux normes ERP,… – on peut comprendre que cette transformation ne soit ni facile, ni rassurante. D’autant plus qu’elle peut sembler risquée lorsqu’un investisseur immobilier regarde les baux de long terme signés ces dernières années. Mais cette transformation est inéluctable, et il vaut parfois mieux coudre son parachute alors qu’on est encore sur sa branche plutôt que d’attendre qu’elle tombe avec fracas.

Une décroissance de l’immobilier de bureaux en marche

Le taux d’occupation des immeubles pourrait constituer une première réponse à ce frein transformationnel. Fin 2023, le taux d’occupation d’actifs loués en 3/6/9 en Ile-de-France peinait à dépasser les 60%, signe d’une désaffection réelle et profonde. Par ailleurs, dans le Grand Paris, le flex-office est désormais la donne pour plus d’un tiers des entreprises qui se voient contraintes de dessiner elles-mêmes les conditions de la flexibilité recherchée. La décroissance de l’immobilier de bureaux est bel et bien en marche.

La combinaison de ces trois modèles est décisive pour adapter notre approche à la plasticité des entreprises du XXIe siècle. Et le bureau de demain devra les réunir tous les trois. Une unité de lieu pour n’engendrer aucun frein à l’adoption pour les entreprises locataires, pouvant conserver l’impression d’être toujours chez elles tout en naviguant entre des surfaces aux modalités contractuelles différentes et complémentaires. Ces entreprises dégageraient ainsi des flux financiers à réallouer aux hommes et aux projets. Reste à imaginer comment amener les investisseurs à se lancer dans cette opportunité de progrès et de transformation de leur modèle.

Leur principal enjeu étant de préserver la rentabilité de leurs investissements, la solution reste aussi la combinaison de ces trois types d’offres au sein d’un même immeuble. Un investisseur pourra, en effet, faire en sorte de maintenir, voire d’augmenter, la rentabilité de son actif en y combinant différents taux de rendement des surfaces, entre coworking, bureaux à la demande et lieux dédiés à l’événementiel.

La transformation de l’immobilier de bureau est inéluctable. Les besoins réels des entreprises sont tournés vers un impératif de flexibilité guidé par des enjeux liés au contexte économique et aux usages, tandis que le monde du bureau a toujours créé de la valeur au travers de la rigidité des baux long terme. Suivant les mêmes principes que dans le secteur banque-assurance, qui a vu les néobanques aiguillonner ses acteurs historiques, la transformation de l’immobilier de bureaux doit passer par une coopération renforcée entre les acteurs traditionnels et les meilleurs nouveaux opérateurs afin d’enrichir leurs modèles, en limitant les freins.

Une mue passionnante et historique commence tout juste. Elle devra s’opérer vite et s’appuyer sur les meilleures expertises traditionnelles et nouvelle génération pour saisir les opportunités que présente l’avenir. Car, au fond, qui veut être le prochain Kodak, si assuré de sa supériorité qu’il n’en a pas vu le monde changer autour de lui…

Par Victor Carreau

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