Organisation

L’entreprise libérée post-Covid : un concept dépassé ou un modèle à réinventer ?

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Alors que les organisations font face à de grands défis, l’entreprise libérée est-elle un phénomène de mode passé, ou un modèle à repenser pour s’adapter aux incertitudes et réengager les collaborateurs ?

Alors que la crise sanitaire a freiné les expérimentations managériales autour de l’entreprise libérée, ce concept novateur des années 2010 pourrait bien constituer aujourd’hui une réponse aux nouveaux défis internes et externes auxquels font face les entreprises.

Théorisée par Isaac Getz et Brian M. Carney dans leur ouvrage « Liberté & Cie : Quand la liberté des salariés fait le succès des entreprises » (Flammarion, 2016), et popularisée par des chercheurs comme Frédéric Laloux (« Reinventing organizations », Diateino, 2014), l’entreprise libérée se caractérise par une volonté de décentraliser le pouvoir et de conférer une plus grande autonomie aux collaborateurs. L’objectif est de créer des organisations plus agiles, plus créatives et plus responsables.

Ce concept organisationnel a connu un fort engouement à la fin des années 2010, dépassant le cadre académique traditionnel pour susciter un vif intérêt auprès des dirigeants d’entreprises et du grand public. En 2020, l’arrivée de la pandémie de Covid-19 a toutefois marqué un tournant, incitant les organisations à privilégier des approches managériales plus traditionnelles.

Face à cette crise sans précédent, les entreprises ont en effet dû revoir leurs priorités en se concentrant sur la résilience opérationnelle et la gestion d’une succession de crises à court terme. La popularité croissante de l’entreprise libérée avant la pandémie a cédé le pas à des méthodes managériales plus classiques, notamment centrées sur la gestion de crise, afin d’assurer la continuité des activités.

L’entreprise libérée, phénomène de mode ou aspiration souhaitable ?

Les défis liés à la généralisation du télétravail, aux perturbations des chaînes d’approvisionnement et à la protection de la santé des collaborateurs semblent donc avoir relégué temporairement au second plan les modèles organisationnels innovants. Pourtant, à l’heure où l’IA et les technologies de rupture irriguent de plus en plus le champ du travail et l’ensemble des activités économiques, où les enjeux de responsabilité et de durabilité poussent les entreprises à avoir un impact positif sur l’environnement ainsi que la société, et où la pénurie des talents menace la performance globale des entreprises, l’agilité organisationnelle et l’engagement des collaborateurs revêtent une importance significative.

L’entreprise libérée incarne ainsi une réponse possible au contexte économique incertain, à l’environnement de plus en plus concurrentiel et au désengagement des collaborateurs. Le rapport Gallup 2023, « State of the Global Workplace », rappelle que 15% des collaborateurs européens sont activement désengagés et que 72% des salariés européens seraient en « démission silencieuse », c’est-à-dire qu’ils n’effectuent que le strict minimum de leur travail.

Cette crise de la reconnaissance et du sens du travail doit pousser les cadres supérieurs à rechercher de formes alternatives d’organisation qui permettent aux entreprises de devenir agiles, ouvertes et collaboratives (« La grande transformation du travail : crise de la reconnaissance et du sens du travail », Haut-Commissariat au Plan, 2023).

Chantiers prioritaires de la libération des organisations

L’entreprise libérée n’est pas un modèle figé, mais plutôt une philosophie à adapter à chaque organisation. Quelle que soit sa taille ou son secteur d’activité, une entreprise peut s’inspirer de ce concept pour bâtir un mode de fonctionnement fondé sur la responsabilité, la liberté et la confiance dans l’intelligence collective. Pour les dirigeants, il s’agit d’adopter une posture ouverte et audacieuse.

Concrètement, libérer une entreprise implique de s’attaquer à quatre chantiers prioritaires :

  1. Décentraliser les responsabilités, afin de favoriser la prise de décision au plus proche du terrain. Selon Carlos Verkaeren, ex-PDG du Groupe Poult, il s’agit de « démocratiser l’exercice du pouvoir »,
  2. Simplifier l’organisation de l’entrepriseen supprimant les « structures trop complexes et les règles étouffantes » (« L’entreprise libérée – par le petit patron naïf et paresseux », de Jean-François Zobrist, Cherche Midi, 2020).
  3. Repenser le management :les dirigeants se transforment en coordinateurs/facilitateurs, le management par les résultats cède sa place au management par les moyens et le leader devient un catalyseur du potentiel de l’équipe. Le manager libérateur doit aussi être inspiré et inspirant.
  4. Adopter des approches itérativesbasées sur les principes du « Test and Learn » et de l’amélioration continue.

Deux cas de figure principaux semblent motiver la transition vers un modèle d’entreprise libérée :

  1. Une conviction profonde : Certains dirigeants, animés par une vision forte, font le choix d’engager leur entreprise dans une transformation profonde vers le modèle libéré. C’est le cas de Frédéric Amariutei chez Gore-Tex ou encore de Vineet Nayar chez HCL Technologies. Ces dirigeants sont guidés par une conviction intime que ce modèle d’organisation est porteur de sens et d’une performance durable (« Les employés d’abord, les clients ensuite : Comment renverser les règles du management», de Vineet Nayar, Diateino, 2011)
  2. Un contexte de crise: Certaines entreprises se tournent vers l’entreprise libérée après avoir traversé des périodes de difficultés financières importantes. Face à des méthodes classiques inefficaces, elles décident de tenter l’expérience de la libération comme ultime recours pour se redresser. L’exemple d’Harley Davidson à la fin des années 1980 illustre bien ce cas de figure.

Quels impacts sur la performance ?

La transition vers un modèle d’entreprise libérée, caractérisée par une structure de gouvernance et une culture d’entreprise remaniées, s’avère exigeante et complexe.

Ce changement radical remet en question les normes établies et peut susciter des résistances naturelles. Néanmoins, lorsqu’elle est menée avec pragmatisme et qu’elle est co-construite par toutes les parties prenantes de l’entreprise, cette transformation organisationnelle peut engendrer des impacts significatifs :

  1. Sur le volet financier, l’entreprise libérée permet de réduire les centres de coûts, c’est-à-dire les dépenses relatives aux fonctions supports, en supprimant notamment les frais de recrutement liés au manque d’attractivité des métiers et à l’absentéisme des collaborateurs, et aussi une partie des coûts liés aux systèmes de contrôle.
  2. La transition vers un modèle d’entreprise libérée conduit à un plus grand engagement des collaborateurs, ce qui se traduit par une diminution de l’absentéisme, une plus forte implication au travail, une meilleure rétention des talents et une marque employeur plus attractive.
  3. L’entreprise libérée construit sa stratégie autour du tandem collaborateur-client, ce qui permet aux collaborateurs de répondre avec rapidité et efficacité aux attentes des clients, mais également de convertir les clients insatisfaits en clients satisfaits voire promoteurs. « Le pouvoir doit être redonné au local et au plus près du client », affirme Isabelle Kupecek, Directrice de l’Expérience Client et de la Qualité à la Banque Postale.
  4. En étudiant la satisfaction des collaborateurs et celle des clients, l’entreprise libérée identifie avec pragmatisme les leviers pour s’adapter aux mutations du marché de manière plus adaptée.

Dans un environnement économique incertain et complexe, l’entreprise libérée se présente ainsi comme une alternative managériale prometteuse. Elle met l’accent sur l’innovation, la responsabilisation des collaborateurs et l’agilité organisationnelle. Cette philosophie, si elle est mise en œuvre efficacement, peut devenir une stratégie organisationnelle performante, améliorant la performance globale de l’entreprise sur les plans financiers, humains et opérationnels.

Il reste toutefois important de noter que la réussite d’une telle transformation n’est pas garantie et dépend de plusieurs facteurs, dont la capacité à gérer les résistances au changement, à instaurer un climat de confiance et à co-construire une vision partagée avec l’ensemble des parties prenantes. En conclusion, l’entreprise libérée présente un modèle organisationnel innovant avec des potentialités prometteuses. Cependant, sa mise en place nécessite une approche pragmatique, rigoureuse et inclusive pour en maximiser les chances de succès.

Par Bernard Coulaty,Emmanuel Dauphiné,Léonard Joffre

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