Aborder la question du rapport aux financements des «cheffes» d’entreprise et notamment celle de l’ouverture du capital de leur société requiert de s’interroger d’abord sur un éventuel rapport «genré» à l’argent, puis de revenir sur quelques données sur l’Entrepreneuriat au féminin avant de tenter de comprendre pourquoi et comment il y a en effet parfois chez les créatrices une certaine ambivalence dans la manière d’envisager le développement de leur entreprise.
Femmes et argent : quel est le problème ?
Chez les femmes, même éduquées et occupant des postes de managers, le rapport à l’argent reste un sujet complexe. D’après l’étude d’European PWN-Paris – Think Tank Women & Money: «Femmes et argent, entre maîtrise et complexité», menée en Europe et sortie en Novembre 2013 (1), les femmes globalement s’engagent peu dans les questions liées à leur rémunération, alors même que les deux-tiers des interviewées sont insatisfaites de celle-ci.
Quelques chiffres :
– 38% des interviewées ne savent pas si leur salaire est équivalent à celui des hommes occupant cette fonction ;
– 66% ne demandent pas d’augmentation ;
– 60% éprouvent des difficultés à une augmentation ;
– 49% ne se sentent pas armées pour négocier leur salaire ;
– 44% attendent que la structure reconnaisse les efforts fournis.
C’est un sujet sur lequel elles sont peu à l’aise: 54% ont du mal à parler d’argent en rapport avec leurs finances personnelles, et le taux monte à 74% en France. Elles ne parlent pas même pas de leur salaire avec leurs ami(e)s pour 69% d’entre elles.
Enfin, l’argent c’est la sécurité plus que la capacité de faire : pour 85% des répondantes. Un tiers seulement des répondantes lient l’argent à des valeurs telles que la reconnaissance (39%), le pouvoir (29%) ou l’énergie et le développement (23%). En conséquence, 72% gèrent leur argent avec attention et prudence. Sachant que l’éducation familiale semble avoir une incidence : 59% des répondantes citent qu’on leur a appris une bonne gestion (versus une gestion prudente) de l’argent : épargner, planifier 19% et éviter les dettes. Il apparaît que les familles plus libérales, plus rares, transmettent davantage des notions d’indépendance et de liberté (16%) par rapport à l’argent.
Une montée des femmes dans l’entrepreneuriat et récemment dans des secteurs réservés aux hommes (2)
Les études réalisées jusqu’ici, à échelle européenne ou en France, faisaient état d’un taux de création en moyenne de l’ordre de 28 à 30% (contre 48% aux USA) selon les années et d’une tendance récurrente à s’orienter vers des secteurs peu rentables («care») (3).
Or, ces temps-ci, on constate des changements quant à l’orientation : dans la plupart des activités, les femmes sont plus jeunes que les hommes, ce qui évoque leur montée en puissance notamment dans les secteurs traditionnellement masculins : activités finance et assurance, services aux entreprises, transports, immobilier. Cela coïncide avec une progression du niveau d’éducation supérieure chez les femmes et une certaine réorientation encore peu marquée des types d’études.
Y a-t-il une approche « genrée » du financement ?
Les études (4) récentes corroborent les différents travaux réalisés, et notamment ceux de l’auteure : la mise de fond initiale des créatrices est plus modeste que celle des hommes.
Comment l’expliquer ? Les femmes disposent de moins d’actifs financiers que les hommes : 43% des créatrices démarrent leur activité avec moins de 4.000 euros contre 35% des hommes (5) (versus 33% contre 22 % dans l’étude Insee 2013 en Bourgogne). Or, il est acquis que l’importance des moyens financiers investis la création constitue un facteur de pérennité. De fait, 5 ans après leur création, la moitié des entreprises initiées par les femmes sont actives, contre 57% pour les hommes.
Pire, les femmes ayant un accès moindre au capital vont retenir des opportunités moins porteuses Toutefois, lorsque l’investissement initial est supérieur à 160.000 euros, les 3/4 des entreprises sont encore actives 5 ans après leur création. Et au-delà d’un investissement de 80.000 euros, les dirigeantes réussissent mieux.
L’accès au financement demeure donc un point bloquant : 49,7% des femmes entrepreneurs européennes considèrent qu’elles butent dans leur projet sur l’aspect financier. Seules 28% des femmes font appel au crédit bancaire et elles disent percevoir une attitude négative des financeurs. Le baromètre de la BPCE (2012) établit que les créatrices appréhendent des difficultés potentielles de financement et craignent de moins bien faire en gestion financière.
Mais le baromètre de 2013 indique que les créatrices ayant passé le cap des 3 ans viennent à bout de ces blocages : la question de l’accès aux financements ne semble plus discriminante, les femmes recourent pratiquement autant que les hommes au crédit, tant pour financer leur équipement (29% vs 24%) ou leur développement (86% vs 81%), que leurs besoins de trésorerie (47% vs 45%). S’agit-il davantage d’un phantasme qui s’évanouit avec la pratique ? Pas seulement.
Femmes et aversion au risque
Le fait que les femmes sont moins nombreuses que les hommes à effectuer des investissements (43% vs 56%) est tout aussi frappant. Or, le baromètre de la BPCE 2012 établit que les principales craintes des femmes sont le risque de banqueroute (27,9%) et celui de perdre sa propriété (17,8 %) et ça n’est pas sans lien. On peut supposer que, par aversion au risque, elles investissent moins dans le développement de leur entreprise, empruntent à minima et rechignent à ouvrir le capital, à chercher des investisseurs.
Faire appel à un business angels ; puis à un fonds d’investissement est donc une opportunité qui se heurte à un réflexe de contrôle Les busines angels attestent du fait que trop peu de porteuses de projets leur présentent leurs dossiers. Equity Partners (6) témoigne «devoir aller chercher les cheffes d’entreprise pour investir dans leurs sociétés. Celles-ci ne se mettent pas spontanément dans les circuits d’affaires traditionnels ; se méfient des fonds (on demeure souvent dans l’imagerie traditionnelle de fonds prédateur), ne les intègrent donc pas dans une réflexion sur leur développement et en conséquence, ne sont pas structurées pour accueillir des investisseurs à leur capital».
Ainsi, adresser la question des éventuels blocages relatifs à l’argent et au risque dans les formations, le mentoring, les réseaux d’accompagnement doit aider à une a prise de conscience précoce qui pourrait permettre un développement plus important de projets portés par des femmes.
Mais les investisseurs aussi doivent se poser la question quant aux conséquences du biais de genre qu’ils pratiquent en reproduisant les modèles de succès déjà expérimentés quant aux secteurs, profils de dirigeants, stades de développement des entreprises…Et accepter peut être d’accompagner ces créatrices dans leur montée en gamme.
La dernière question à poser est le biais de génération ? Les quelques spécimens de la génération dite «Y» que j’accompagne comme mentor, semblent dénoter par rapport à ces réalités. Ces jeunes créatrices n’ont peur de rien, voient grand, frappent aux portes des financeurs avec leurs dossiers à peine ficelés. A suivre donc…
(1) Co-auteurs autour du Think Tank Women & Money: C. Hirsch, U.Lehmann, G.Feger-Gunge, C.Albert,D. Allen. EuropeanPWN est une fédération de réseaux de femmes, basés dans 17 pays européens rassemblant plus de 1200 femmes dans la branche parisienne.
(2) Exploitation par André Letowski de l’enquête emploi INSEE.
(3) (De) Beaufort Viviane, La création d’entreprise au féminin en Europe 2008 –Actu 2011-Elements comparatifs- ESSEC WP 1105-May 2011.
(4) INSEE, enquête sur la Bourgogne, octobre 2013 ?
(5) L’égalité entre les hommes et les femmes ( Chiffres clé du Ministère du travail 2008)
(6) WEP est le 1er fonds dédié à l’investissement dans des entreprises européennes dirigées par des femmes.
Par Viviane de Beaufort
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