Par Rémy de Lavergne,Hugues Poissonnier
Les achats responsables sont un levier puissant pour améliorer la performance RSE de votre entreprise, tout en réduisant vos coûts. Voici comment les mettre en place efficacement.
De nombreux dirigeants de grandes entreprises ont pris conscience des bénéfices qu’ils pouvaient tirer d’une politique RSE ambitieuse et efficace : accroissement de la motivation des collaborateurs, augmentation de la satisfaction des clients, réduction des risques et meilleur accès aux marchés financiers notamment.
Ces intérêts économiques de mieux en mieux compris par les parties prenantes les plus diverses, notamment les actionnaires, incitent les dirigeants à conduire des politiques en plus grande cohérence avec leurs valeurs. Des valeurs déjà préexistantes, mais trop souvent mises de côté au profit de décisions essentiellement guidées par la recherche de rentabilité à court terme lorsque celle-ci est appréhendée comme la seule véritable finalité.
Aussi survalorisée que nécessaire, la rentabilité mérite d’être remise à sa juste place, celle d’un moyen (permettre à l’entreprise d’être encore là demain) au profit de finalités qui la dépassent (contribution au bien commun, au lien social, à la préservation de la vie).
Il est instructif de constater que les organisations qui adhèrent à cette vision des choses, impliquant une forte contribution des achats, s’avèrent être au final les organisations en meilleure santé, que cette dernière soit mesurée en termes commerciaux, financiers ou économiques. C’est notamment ce qu’expriment bien, à travers des approches complémentaires, les dirigeants rencontrés en amont de l’écriture de cette chronique.
Pour une « RSE augmentée » s’appuyant sur les achats responsables
Si de réels progrès sont mesurables, comme en témoigne la récente étude réalisée par Le Médiateur des entreprises et la plateforme Ecovadis sur les performances RSE des entreprises françaises et européennes, des marges de progrès non négligeables demeurent (« Performances RSE des entreprises françaises et européennes – comparatif OCDE et BICS », de Sylvain Guyoton et Pierre Pelouzet, 2023).
Il est possible de s’appuyer tout particulièrement sur les achats responsables, une dimension encore relativement peu mature de la RSE, pour impulser des changements bienvenus. Pour Jean-Pierre Laherre, élu de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Seine-Saint-Denis : « Les achats responsables sont entre les mains de chacun et démarrent par la connaissance de toutes les possibilités d’achats locaux ».
À l’heure où les achats représentent plus de 60 % en moyenne du chiffre d’affaires des entreprises, il n’est plus possible de faire de la RSE sérieuse ou ambitieuse sans y associer des progrès souhaitables en matière d’achats responsables. Pour cela, Jehanne Portefaix, Directrice Générale de Digitanie (SCOP solidaire et sociale dans le domaine du numérique) donne une piste possible touchant aux critères retenus dans les appels d’offres : « Une politique achats RSE ne peut être efficiente que s’il y a en face une offre adaptée en quantité et en qualité, à un coût acceptable. À l’instar d’Airbus, les donneurs d’ordre peuvent favoriser ces achats responsables et dynamiser l’offre des fournisseurs en intégrant des critères sociaux et environnementaux dans leurs appels d’offres. »
Plus généralement, il importe de reconnaître que l’essentiel de la responsabilité d’une entreprise, ou d’une organisation, se joue en dehors de ses frontières traditionnelles, dans ce qu’il est possible d’appeler une « entreprise étendue », ou son « écosystème économique ».
Les achats responsables peuvent donc être vus comme la prochaine (puisqu’elle n’est pas totalement nouvelle) « frontière » (au sens américain du terme) en matière de RSE, et peut-être constituer l’origine d’une « RSE augmentée ». Pour Édouard Marcus, secrétaire général de la direction des opérations du Groupe ADP, « C’est a fortiori le cas lorsqu’un groupe déploie sa politique achat à l’international. »
Les achats responsables : une grande diversité de pratiques rendant souvent les choix difficiles
Comprendre la nécessité et les intérêts des achats responsables est une condition nécessaire mais non suffisante à leur bonne mise en œuvre. En effet, de nombreux dirigeants, lorsqu’ils font face à la « jungle » des pratiques responsables, ont bien du mal à « choisir » celles qui s’avèrent les plus pertinentes compte tenu de leur activité et de leur culture.
Les principales pratiques en matière d’achats responsables révélées par la récente étude mentionnée plus haut intègrent ainsi des pratiques aussi diverses que le développement de code de conduite RSE fournisseurs, l’intégration de clauses RSE, l’analyse des risques RSE, la formation des acheteurs ou l’accompagnement des fournisseurs sur les enjeux RSE, la prise en compte des critères RSE dans la sélection des fournisseurs, cette courte liste s’avérant non exhaustive.
Bien sûr, pour qu’une politique RSE fonctionne efficacement, il est nécessaire que son top management soutienne les actions qui y sont déployées (« Sur la voie des Achats Responsables : le cas de la SNCF », de Rachel Bocquet, Elodie Gardet et Lauriane Robert, Finance Contrôle Stratégie, 2017).
Selon Sylvie Noel, présidente de l’ADRA (Association des Directeurs et Responsables Achats) : « L’implication sans faille des dirigeants fera la différence dans les entreprises. Des objectifs partagés et engageants permettront, avec une synergie des parties, de faire bouger les lignes. » Pour commencer il est possible de réunir un groupe de travail pluridisciplinaire afin de déterminer sur quels points l’entreprise peut avoir un meilleur impact social ou écologique, en incluant les achats. Ce groupe peut utiliser comme guide la liste des « 17 objectifs de développement durable pour transformer notre planète » des Nations Unies.
Une fois que les objectifs les plus appropriés à la situation de chaque entreprise auront été choisis, il faudra impérativement définir un plan d’actions comprenant des objectifs chiffrés, datés, mesurables et les moyens à mettre en œuvre. Une fois ce plan d’actions bâti, il conviendra de le proposer aux parties prenantes de l’entreprise pour validation. Il s’agira ensuite d’appliquer le plan et enfin de rédiger un rapport annuel (couvrant les actions en cours ou projetées et les résultats visés ou obtenus).
Pour Pierre Laprée, Chief Product Officer de SpendHQ (solutions de gestion des performances achats pour les entreprises) « En considérant que près de 70 % des émissions de CO2 d’une entreprise se trouvent dans ses chaînes d’approvisionnement et compte tenu du rôle d’interface entre l’entreprise et le marché, les achats se retrouvent en position centrale pour amener une contribution décisive aux objectifs RSE de leur entreprise. Cette position enviable s’accompagne d’un impératif de pilotage de cette contribution et de la performance financière comme non financière des initiatives Achats. La disponibilité et la qualité des données d’une part, l’utilisation des nouvelles solutions technologiques permettant ce pilotage sont des défis majeurs pour les acheteurs dans les 3-5 années à venir. »
Une entreprise de transport pourrait par exemple choisir une stratégie RSE basée sur deux piliers inclus dans la liste des 17 objectifs des nations unies (1) : les actions sur le climat et l’égalité des sexes, en réduisant les émissions de gaz à effet de serre et en accroissant la parité hommes femmes aux postes de direction.
En lien étroit avec la direction RSE, les directeurs des achats sont généralement chargés de définir et de mettre en œuvre un plan d’achat durable pluriannuel déclinant les objectifs RSE globaux de leur société. Or ils ne savent souvent pas comment faire. En 2015, les 500 plus grandes entreprises mondiales ont dépensé plus de 50 milliards de dollars dans des politiques RSE (selon Caroline D. Ditlev-Simonsen, professeure et codirectrice du centre de recherche sur la RSE, à la BI Norwegian Business School) ; avec des résultats pourtant relativement modestes, comme en témoigne l’étude du Médiateur des entreprises et de Ecovadis, qui pointe certes de réels progrès mais également de nettes améliorations possibles.
Selon Sophie Dixon, responsable du pôle acheteurs, charte et label au sein du Ministère de l’Economie « Les achats responsables montent en puissance. Comme le révèle la récente étude Ecovadis / Médiateur des Entreprises, 52 % des entreprises françaises évaluées ont mis en place une politique achats responsables contre 48 % , il y a 5 ans. Le nombre de labellisés RFAR (Relations Fournisseurs et Achats Responsables) a plus que doublé entre 2020 et 2023. L’achat responsable est désormais une composante majeure du processus Achats. Chaque semaine, je reçois de nouvelles demandes de signatures de charte et de nouveaux candidats au label RFAR. »
C’est en vue de fournir une grille d’analyse de la pertinence des choix possibles que nous proposons un outil très simple mettant en relation les ambitions des pratiques d’achats responsables, notamment en termes de valeur créée, et les coûts associés. La logique de cette « matrice ambition-coûts des achats responsables » est présentée dans le point suivant.
Une « matrice ambition-coûts des achats responsables » pour choisir les modalités et pratiques les plus pertinentes
Afin d’avancer avec plus d’efficacité dans les choix de leur politique achats RSE, les directeurs achats peuvent se baser sur la matrice ambition-coûts des achats responsables qui permet de cartographier et de prioriser les actions envisagées en fonction de deux critères clefs : l’impact en termes de développement responsable (positif, neutre ou négatif) et sur les coûts (augmentation, stabilité ou réduction). Ainsi grâce à cet outil une entreprise peut plus efficacement d’abord cartographier les actions qu’elle a identifiées et ensuite déterminer comment les hiérarchiser (en fonction par exemple du temps de mise en place, de l’investissement nécessaire et des bénéfices attendus). La priorité numéro un pourrait concerner les actions qui ont un impact positif à la fois sur le développement responsable et sur la réduction des coûts. À titre illustratif, dans la matrice ambition-coûts des achats responsables ci-dessous, quelques exemples d’actions possibles sont proposés.
Les achats responsables sont un levier incontournable pour les entreprises qui souhaitent améliorer leur performance RSE, performance incluant l’incontournable dimension économique. Ils permettent de réduire l’impact environnemental de l’entreprise, d’améliorer les conditions de travail des salariés et de contribuer au développement des communautés locales, ce qui constitue une source de résilience en situation de crise.
Les entreprises qui sauront s’adapter aux nouvelles exigences des consommateurs et des marchés seront les mieux placés pour réussir à l’heure où les attentes en matière de responsabilité se renforcent
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