Nos modèles internes d’autorité, formés dans notre enfance, nous influencent dans nos relations avec les leaders. En prendre conscience peut nous aider à développer un leadership plus efficace.
En tant que « follower », quels sont les mécanismes qui nous font reconnaître de l’autorité à l’autre, et comment cela peut-il nous renseigner sur notre manière d’exercer le leadership à notre tour ?
Nous avons vu que les « followership studies » s’intéressent aux raisons pour lesquelles nous suivons les leaders. Parmi toutes ces raisons, il y a notre façon toute personnelle d’autoriser l’autre à exercer son pouvoir ou son autorité sur nous, sur base de motifs subjectifs que sont nos « modèles internes d’autorité » (« Authority at Work : Internal Models and Their Organizational Consequences », de William A. Kahn et Kathy E. Kram, The Academy of Management Review, 1994).
Cette grille de lecture provient de la théorie de l’attachement, appliquée au monde managérial par William A. Kahn et Kathy E. Kram en 1994. Elle part de l’idée que nous vivons nos relations d’autorité à partir de dimensions personnelles profondes, bien souvent inconscientes, issues de la manière dont nous avons vécu nos premières relations d’autorité.
Par conséquent nous abordons le monde organisationnel avec un ensemble de repères déjà fortement constitués qui nous fait aborder l’autorité et ceux qui l’incarnent :
- soit comme source de sécurité, de développement et d’autonomie ; c’est le cas du modèle dit « interdépendant » ;
- soit comme source d’anxiété ou d’insécurité, avec ici deux modèles, le dépendant ou le contre-dépendant.
Comment fonctionnent ces fameux modèles internes d’autorité ?
Comme souvent en leadership, il est question de croyances ou croyances. Chacun des 3 modèles internes en combine deux :
- L’image que j’ai de moi ;
- La représentation que je me fais de la relation ; ce à quoi je m’attends comme comportement de réponse de la part de l’autre.
Commençons par décrire les personnes insécurisées par l’autorité avec les modèles dépendant et contre-dépendant.
Followers et leaders dépendants
Les dépendants ont tendance à idéaliser l’autorité. Avec un attachement dit « anxieux ambivalent », ils ne sont jamais certains que les autres vont être disponibles, qu’ils vont répondre et être aidants. Pour se rassurer, ils ont tendance à s’agripper au leader en sollicitant de lui une forte proximité ; ce qui peut parfois provoquer le rejet qu’ils redoutent.
Le conflit est également impensable pour eux : « Je ne suis pas quelqu’un qui cherche les conflits, donc je respecte l’autorité même si j’ai un ressenti négatif vis-à-vis de la personne, vis-à-vis de ce qu’elle me dit ; si elle a un « titre » ou un statut supérieur au mien, je m’exécute ou je me tais selon les cas ».
En résumé, un collaborateur qui est dans une position de dépendance donne d’emblée du crédit à la personne dépositaire de l’autorité. « Je pense que j’ai toujours eu une certaine peur ou au moins un gros sentiment d’infériorité par rapport à l’autorité. J’ai des modèles, que j’ai eu l’impression de ne jamais pouvoir atteindre. C’est peut-être ma façon de voir le système scolaire, ou les professeurs, je leur donnais un crédit total » (« Les clés de l’autorité », de Sylvie Deffayet Davrout, Eyrolles, 2010).
La personne dépendante est un collaborateur facile et obéissant. Il fait du reporting de manière proactive, et vérifie régulièrement qu’il répond aux attentes de son manager. Il est donc un rêve pour ce dernier ; même s’il peut manquer de réflexe critique, en tant que follower.
Ces modèles d’autorité sont activés, quel que soit notre rôle, follower ou leader. Examinons maintenant comment ce modèle s’exprime dans une position de leadership.
Un manager dépendant est quelqu’un de très arrangeant au sein de l’entreprise. Lui aussi accorde d’emblée de l’importance à l’autorité statutaire, aux titres, voire aux diplômes (de ses N+1 ou N-1). Son principal problème : adopter par moments un style de leadership directif. Il craint que cette directivité soit perçue comme une agression par son interlocuteur, ce qui pourrait remettre en cause sa légitimité et la qualité de la relation avec son collaborateur. Au fond, le dépendant a très peur de perdre le lien avec l’autre. Il fera tout pour l’éviter.
Outre cette préoccupation pour la relation, on trouve un fort besoin d’approbation chez la personne dépendante. Recadrer voire sanctionner les comportements hors-jeu lui paraît comme une montagne impossible à gravir.
Le leader dépendant a une faible confiance en ses capacités de leadership. Il est plus enclin à se critiquer lui-même qu’à se trouver des qualités. Cependant, ce modèle de leadership présente des talents associés, tels qu’une grande capacité à identifier et répondre aux besoins des autres de manière empathique. Le dépendant est heureux de répondre aux besoins des autres, de manière maternante, car cela lui permet de rester proche d’eux. À condition de ne pas vouloir les maintenir dans une forme de dépendance…
Les personnes dépendantes adoptent un modèle de croyances où les autres sont généralement considérés comme plus importants qu’elles-mêmes. Cette posture d’infériorité s’active particulièrement en situation inconnue ou de stress.
Followers et leaders contre-dépendants
Pour le contre-dépendant, l’autorité en soi n’a qu’une importance minime. Son type d’attachement est dit « anxieux évitant » ; parce qu’il n’a aucune confiance dans l’aide des autres. En fait, il s’attend à du rejet. Par conséquent, il cherche à être autonome sur le plan émotionnel et se retire assez systématiquement des relations d’autorité.
À l’opposé du dépendant, la stratégie de ce follower consiste à rejeter les différences de statut et nier l’importance de la hiérarchie. Il passe ainsi son temps à se rebeller contre l’autorité avec deux variantes : la confrontation ou le retrait.
Un collaborateur contre-dépendant a une vision de l’autorité qui est teintée de suspicion. Il a tendance à se méfier des personnes en position d’autorité, à les défier ou à les ignorer. « J’ai effectivement un manager qui manage, je ne sais pas trop comment dire ; en fait je ne parle pas spécialement avec lui ; ce n’est pas qu’on ne s’entend pas ; c’est juste que je n’ai rien de spécial à lui dire ».
Le collaborateur contre-dépendant est souvent critique envers les personnes d’autorité, le management de l’organisation, les moyens mis à disposition et la prise de décision. Il considère que s’appuyer sur les autres est une faiblesse et qu’il est lui-même son propre référent. Il apparaît plus difficile à manager que son collègue dépendant, sauf si l’on comprend que son objectif est de ne surtout pas s’attacher.
Gêne à la proximité et la relation vue comme secondaire : tels sont les mécanismes qui résument ce qui se passe affectivement chez les contre-dépendants. Dans ces cas-là, il n’est pas nécessaire pour le leader d’investir à outrance la relation mais plutôt de se centrer sur le pilotage de la tâche.
Et le leader contre-dépendant ?
Le manager contre-dépendant, quant à lui, « dérange » parfois l’organisation avec sa manière de vivre l’autorité comme un combat, comme l’illustre ce directeur de magasin qui raconte en se frottant les mains : « ils ont dû venir à 3 personnes du siège pour me recadrer ». Il lui arrive aussi de projeter sur le collaborateur cette défiance d’un lien constructif, en disant par exemple : « Il n’a qu’à comprendre », ou « Il n’est pas équipé pour comprendre ».
Souvent perçue comme de l’arrogance, cette posture haute n’est que la traduction psychologique d’une vision du monde dans laquelle la position de l’autre est moins importante. Les leaders contre-dépendants peuvent faire peur à certains interlocuteurs qui les perçoivent comme inaccessibles. Il n’est pas surprenant que ces profils soient plus souvent écartés que les autres, étant donné qu’ils ne s’intègrent pas bien à la structure hiérarchique de l’entreprise.
Côté compétences, le grand talent des personnes avec ce modèle interne est certainement leur méfiance « naturelle » de ce qui est dit par l’autre. Cette attitude, qui peut être perçue comme négative, peut être un atout dans de nombreux métiers, notamment ceux de la sécurité.
Followers et leaders inter-dépendants
Dans la représentation de l’inter-dépendant, l’autorité est un processus d’échange. L’attachement est dit « sécurisé » quand la personne est naturellement confiante dans le cadre des relations d’autorité. Pour elle, les autres seront forcément disponibles pour apporter des réponses et de l’aide quand elle en demandera.
Le collaborateur interdépendant considère son manager et ses collègues comme des partenaires. « Seul au travail, je n’arriverai sûrement à rien. En cas de blocage, faut pas hésiter à le dire : c’est pas mal vu de pas savoir faire quelque chose, de bloquer sur un point de développement. C’est toujours bien d’aller voir quelqu’un de plus expérimenté ou même n’importe qui ; ça permet de ne pas perdre de temps. Et inversement c’est pareil, quand on sent quelqu’un dans un blocage, on peut l’aider de cette manière. Tout le monde écoute et restitue. On échange tout le temps ».
Les personnes interdépendantes sont naturellement tournées vers les autres, car elles considèrent leur contribution comme une source de richesse pour elles-mêmes. Elles sont ouvertes à l’apprentissage et partagent ouvertement leurs doutes ou leurs craintes, sans crainte d’être jugées.
Cette posture, qui place à position égale les deux parties de la relation, challenge positivement le manager.
Le manager inter-dépendant, par son positionnement juste, fait quant à lui progresser toute l’organisation. Ni trop proche, ni trop éloigné, il accorde aux collaborateurs une considération et une écoute sans faille. Il est aussi capable de mettre des limites aux demandes qui lui sont formulées, qu’elles proviennent de ses collaborateurs, de son supérieur hiérarchique ou de ses clients.
Le manager inter-dépendant, en tant que soutien et source d’autonomie pour ses interlocuteurs, réalise in fine la promesse de l’autorité : soutenir pour faire croître.
Cette posture est très enviable, mais existe-t-elle vraiment ? Dans les entreprises d’aujourd’hui, qui est vraiment dans une relation de confiance avec l’autorité, au point de partager ses sentiments et ses besoins sans crainte ? Le débat est ouvert.
Quand les modèles s’entrechoquent
Lorsque les deux parties d’une relation managériale partagent les mêmes représentations et les mêmes attitudes face à l’autorité, la relation se déroule de manière harmonieuse.
En revanche, lorsque le manager (leader) et le collaborateur (follower) adoptent des postures opposées, la relation est source de frustration voire d’échec pour les deux parties. Par exemple, un follower contre-dépendant peut mettre en échec un leader dépendant. Ce dernier, se sentant incapable de construire une relation de proximité avec un collaborateur qui se retire de plus en plus, se blâmera lui-même. C’est un cercle vicieux (« Parental images as a guide to leadership sensemaking : An attachment perspective on implicit leadership theories », de Tiffany Keller, The Leadership Quarterly, 2003).
L’exercice du leadership, en tant que follower ou leader, est une relation d’influence qui est influencée par nos croyances. Prendre conscience de ces croyances, en particulier celles qui nous limitent et nous freinent, est essentiel pour pouvoir les dépasser. Par conséquent, il est urgent d’inscrire l’enseignement du followership à l’agenda des formations des leaders.
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