Carrières

Les soft skills et leur évaluation en question

0

Par Frédéric Faure

Les compétences comportementales sont de plus en plus valorisées dans le monde du travail. Mais qu’entend-on par soft skills ? Et surtout, comment les évaluer ?

Les soft skills ont largement colonisé les champs de la gestion des ressources humaines, du management et de l’insertion professionnelle. Ces compétences comportementales sont devenues l’alpha et l’oméga du recrutement, de la gestion de carrière, du développement professionnel comme de l’employabilité.

Les soft skills, un concept complexe et multiforme

Le succès des soft skills s’explique par plusieurs raisons. Certaines sont évidentes, car elles sont positives et valorisées. Dans un monde VUCA (volatile, incertain, complexe et ambigu), elles seraient ainsi devenues essentielles pour s’adapter, créer et collaborer (« Soft skills. Développer vos compétences comportementales », de Julien Bouret, Jérôme Hoarau, Fabrice Mauléon, Dunod, 2018).

Dans une économie qui se tertiarise, avec des consommateurs de plus en plus exigeants, les softs skills doivent également faciliter la relation de service. Moins sujettes à l’obsolescence que les compétences purement techniques, elles représenteraient un investissement plus durable. En outre, elles sont souvent considérées comme plus inclusives, car elles permettraient à chacun de se valoriser sur le marché de l’emploi, quel que soit son diplôme ou son expérience.

Mais d’autres raisons, un peu moins avouables, peuvent expliquer la place prise par les compétences comportementales. De la même manière que Guy Le Boterf, expert de la gestion et du développement des compétences, et professeur associé à l’université de Sherbrooke (Canada), expliquait le succès du triptyque savoir, savoir-faire, savoir-être par sa simplicité (« simple à énoncer, simple à retenir, simple à expliquer »)les softs skills revêtent également cette apparente simplicité (« Repenser la compétence. Pour dépasser les idées reçues : 15 propositions », Éditions d’Organisation, 2008).

Il y aurait d’un côté les hard skills, relevant de la technique, et de l’autre, les soft skills, fondées sur des aptitudes humaines. D’un côté, ce qui est rationnel, maîtrisable, prévisible ; de l’autre, ce qui relève du fameux facteur humain, par nature difficilement saisissable, et donc ouvert à tout type d’interprétation.

Il est également pratique de privilégier les compétences personnelles, les soft skills, car cela permet de minimiser l’importance de la situation de travail, qui relève de la responsabilité de l’employeur. En effet, lorsque la situation de travail devient un simple cadre, il est moins utile de la décrire précisément en termes d’attendus, de conditions de travail ou de possibilités de développement des compétences.

Les compétences comportementales dédouanent d’une analyse de poste sérieuse. En outre, elles permettent d’envisager une transférabilité aisée d’un employeur à un autre, d’un métier à un autre, voire d’un contexte extraprofessionnel à une situation de travail. Les soft skills doivent faciliter la mobilité des travailleurs et fluidifier le marché du travail.

Les compétences douces sont donc omniprésentes. Pourtant, si l’on y regarde de plus près, il est difficile de trouver une définition unique et universellement acceptée. Tout le monde en parle, mais chacun y met sa propre interprétation. Malgré les nombreux travaux scientifiques qui y ont été consacrés, les soft skills souffrent encore d’une faiblesse conceptuelle assez problématique lorsque l’on souhaite les prendre pour support dans le cadre d’une démarche éclairée. De fait, les savoir-être peuvent être abordés sous de multiples angles (« Quelle caractérisation du savoir-être ? », de Frédéric Faure et Alain Cucchi, Revue Interdisciplinaire Management, 2020).

L’analyse qualimétrique de 484 occurrences de soft skills relevées au sein d’un corpus composé de 39 références bibliographiques nous a permis d’en dresser une grille de lecture, qui a ensuite été mise à l’épreuve de données terrain (« Le savoir-être dans l’insertion professionnelle des publics éloignés de l’emploi : entre employabilité et employeurabilité », de Frédéric Faure, thèse de doctorat de l’Université de la Réunion, 2023).

Le schéma ci-dessous représente, sous une forme simplifiée, le résultat obtenu.

Suivant cette grille, les soft skills peuvent être abordées selon deux axes.

  1. L’axe vertical comprend, d’une part, des ressources personnelles intériorisées et, d’autre part, des comportements observables en situation.
  2. L’axe horizontal représente deux façons de percevoir les soft skills dans le monde du travail. D’un côté, on peut les considérer comme des prérequis, c’est-à-dire comme un stockde compétences innées ou acquises en amont, qui correspondent à des attentes normatives très fortes. De l’autre côté, on peut les considérer comme un flux de compétences en construction, qui se développent au fil du temps et dans une perspective développementale.

Quatre quadrants se dessinent ainsi ; permettant d’aborder les soft skills de manière différenciée (« Four ways five factors are basic », de Paul T. Costa et Robert R. McCrae, Personality and Individual Difference, 1992).

Du côté des ressources personnelles, on trouve les traits de personnalités tels qu’envisagés dans le fameux modèle des Big Five (la franchise, la recherche de réussite, l’autodiscipline), mais aussi des capacités cognitives permettant l’analyse des situations, des moteurs de l’action, tels que les valeurs ou les intérêts, ou encore des ressources émotionnelles relevant de l’image de soi et de l’intelligence émotionnelle.

Pour ce qui est des soft skills envisagées sous l’angle des comportements en situation, trois catégories peuvent être distinguées.

  1. Du côté normatif, on trouve les comportements d’implication,qui visent à renvoyer une image valorisante correspondant aux attendus du milieu en termes d’engagement dans le travail, d’autonomie, d’adaptabilité ou de dynamisme.
  2. On trouve aussi les comportements de conformité, qui sont relatifs au respect de règles tacites de vie en collectivité dans le monde professionnel relevant du savoir-vivre, de la tenue de soi et du respect des temps et des lieux.
  3. Du côté développemental se trouvent les comportements d’efficacité qui ont, quant à eux, une visée directement utilitaire, aussi bien en termes de production effective que de gestion de la relation avec autrui. Notons au passage que cette dernière catégorie de softs skills repose sur des techniques ou des savoir-faire relationnels, ce qui permet de relativiser la distinction nette entre soft et hard skills.

L’évaluation des soft skills, un défi méthodologique

Cette grille de lecture, qui est à la fois originale et exhaustive, permet aux professionnels de se questionner sur leur manière de concevoir les compétences douces, et sur les conséquences de cette conception en termes d’évaluation. En effet, les méthodes d’évaluation ne seront pas les mêmes si l’on aborde les soft skills comme des ressources personnelles, ou comme des comportements en situation.

Les ressources personnelles peuvent être évaluées, voire mesurées, à partir d’outils psychométriques, de tests ou de questionnaires plus ou moins scientifiquement validés. Les résultats obtenus permettent de classer les individus les uns par rapport aux autres (outils nomothétiques) ou d’identifier des modes de fonctionnement individuels spécifiques (outils idiosyncrasiques). Mais les ressources individuelles ne sont que des potentialités de comportement.

Quelle que soit la qualité de l’outil utilisé, le pouvoir de prédire comment l’individu se comportera dans une situation et un contexte de travail particulier est forcément limité (« L’approche des variables composites de personnalité pour prédire les compétences en emploi », de Philippe Longpré, Jean-Sébastien Boudrias, André Durivage, Claude Guindon, et André Savoie, L’Harmattan, 2014)

D’autant que la fiabilité des résultats des tests de personnalité, généralement basés sur des autoévaluations déclaratives, peut être largement affectée par un biais de désirabilité qui pousse les répondants à vouloir se présenter sous le jour le plus favorable. Ce biais est encore plus fort dans le cadre d’un entretien classique, où il se cumule avec d’autres (« Juger et estimer la valeur d’autrui : des biais de jugement aux compétences sociales », d’Éric Dépret et Laurence Filisetti, L’orientation scolaire et professionnelle, vol. 3, n° 30, 2001).

Dans ce cas, la seule chose qui peut être évaluée de manière fiable est la capacité d’un individu à se présenter sous un jour favorable. Plus subtilement, il s’agit de la capacité à comprendre ce qui sera perçu comme valorisant par l’évaluateur et à lui donner ce qu’il veut entendre, même si ce n’est pas l’authenticité du discours. Cette capacité est appelée clairvoyance normative. Elle peut être très utile dans certains contextes, mais elle n’est pas la clé universelle de l’efficacité en situation professionnelle.

L’évaluation des soft skills par le biais des comportements en situation peut pallier certaines limites de cette approche. En effet, le comportement est observable et donc censément objectivable. Cependant, cela n’est pas toujours possible, en particulier pour les comportements normatifs, tels que l’implication ou la conformité. Dans ces cas, la subjectivité de l’évaluateur joue un rôle important. En effet, ce dernier s’appuie sur les quelques signaux faibles qu’il repère, et se retrouve influencé par son propre référentiel normatif – un référentiel issu de son histoire, de son expérience et de ses valeurs.

Rappelons enfin que la motivation, en soi, n’existe pas, que les individus sont motivés par quelque chose et que chacun d’entre nous peut être motivé par des choses très différentes.

Les soft skills, des compétences essentielles à développer

Finalement le type de soft skills dont l’évaluation semble potentiellement la plus fiable est celle des comportements d’efficacité. Ici, seule la réussite de l’action compte. Est-ce que l’individu a réussi à se faire comprendre ou à convaincre ses interlocuteurs ? Est-ce que l’organisation qu’il a mise en place lui a permis de réaliser les tâches qui lui ont été confiées ? Est-ce que son mode de collaboration avec ses collègues lui a permis d’obtenir les résultats attendus ? Est-ce que, placé dans une situation relationnelle tendue, il a pu à la fois maintenir le lien et avancer vers une résolution ? Est-ce que son mode managérial a permis à son équipe d’atteindre ses objectifs ?

Les principales difficultés liées à l’évaluation des comportements en situation sont, d’une part, d’identifier la ou les situations critiques qui vont être le théâtre de l’observation et, d’autre part, de mettre en place une modalité d’observation qui permette d’en tirer des conclusions suffisamment fiables.

Trois types de modalités peuvent être mis en œuvre : la mise en situation réelle, la mise en situation simulée et le rappel de situations passées.

– La première option est évidemment la plus fiable, car elle permet une évaluation des comportements parfaitement contextualisée. Un stage ou une immersion réalisés dans de bonnes conditions peuvent fournir ce type d’évaluation.

– Une situation de travail peut être reproduite avec plus ou moins de réalisme à l’aide de divers outils, tels que les centres d’évaluation, les serious games, la méthode de recrutement par simulation (MRS) de Pôle emploi, ou encore la pratique d’activités sportives ou artistiques, en groupe et sous supervision.

– L’évaluation des compétences comportementales en se basant sur le récit d’expériences passées est plus facile à mettre en place, mais elle nécessite d’être appliquée avec rigueur dans le cadre d’un entretien structuré. La méthode de description des comportements en situations passées, popularisée par l’acronyme STAR, fournit en cela un support très utile pour la description et l’évaluation des comportements de soft skills, en les ancrant dans un contexte de travail bien réel (« Initial comparisons of patterned behavior description interviews versus unstructured interviews », de Tom Janz, Journal of Applied Psychology, 1982).

STAR

STAR est une méthode consistant à décrire une compétence en décrivant successivement la Situation de travail dans laquelle elle a été mobilisée, les Tâches prescrites, les Actions réalisées (ou comportements adoptés) ainsi que les Résultats obtenus.

Finalement, sur la base de la grille de lecture des soft skills fournie, chaque praticien pourra se positionner de manière éclairée et opter pour l’approche qui lui semble la plus pertinente — pourvu que la conception des soft skills retenue soit en cohérence avec la méthode d’évaluation appliquée.

admin
Soutenez votre média indépendant de management : abonnez-vous à Afrik Management au service des individus et des organisations ! À 15 €/An A compter de février 2024, accédez à des contenus exclusifs sur et naviguez pour 15 € par an seulement ! Notre mission en tant que média de management ? Rendre le savoir accessible au plus grand monde. Nous produisons chaque jour nos propres articles, enquêtes et reportages, le tout à taille humaine. Soutenez-nous dans cette démarche et cette ambition.

Les incroyables pouvoirs du biochar pour améliorer la fertilité des sols

Previous article

Quels sont les cinq types d’énergies renouvelables ?

Next article

Comments

Leave a reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

You may also like

More in Carrières