Comment motiver ses équipes, susciter la confiance, tout en sachant prendre les décisions qu’il faut, y compris quand elles sont parfois difficiles ? Réponse avec ce cas pratique.
Son entreprise traversant une mauvaise passe, Brad avait pris la décision de se séparer de son chef des ventes, une personne certes très sympathique, mais dont les résultats laissaient à désirer. Trois mois plus tard, l’homme était toujours en poste. Quand j’en ai demandé la raison à Brad, il m’a répondu : « Je suis un dégonflé ! ». Brad (le nom et quelques détails ont été modifiés par respect de la vie privée) est le P-DG d’un cabinet de services financiers et n’a absolument rien d’un dégonflé. C’est, ni plus ni moins, un être humain qui a des scrupules à appliquer une importante décision stratégique, comme cela nous arrive à tous, vous comme moi.
Quels que soient votre âge, votre fonction, votre situation, votre titre, votre profession ou votre statut, mener à bien vos plus importantes missions exige d’avoir des discussions musclées, d’établir les responsabilités de chacun et d’inciter à l’action.
Pour cela, vous devez vous montrer fort et charismatique, afin d’amener vos collaborateurs à vous faire confiance et à investir toute leur capacité de travail dans un projet qui vous dépasse tous. Vous devez leur prouver que vous êtes à leur écoute et que vous prenez leur avis en considération. Vous devez aussi vous montrer persuasif – parler de façon claire, directe, honnête, bienveillante – tout en faisant preuve d’ouverture d’esprit, de compassion et de prévenance, y compris lorsque vous êtes contesté. Et bien sûr, vous devez assurer un suivi rapide et efficace.
Après vingt-cinq années passées à travailler auprès de dirigeants, j’ai défini un modèle que je détaille dans mon livre Leading with Emotional Courage. Il se compose de quatre éléments fondamentaux sur lesquels tous les grands dirigeants s’appuient pour obtenir l’adhésion de leurs salariés à leurs projets. Pour diriger efficacement – et en réalité, pour vivre pleinement – vous devez croire en vous, communiquer avec les autres, vous engager dans un projet et vous montrer courageux sur le plan émotionnel. La plupart d’entre nous excellent dans l’un ou l’autre de ces domaines. Mais pour être une personnalité charismatique, et donc savoir susciter l’action, vous devez maîtriser les quatre simultanément.
Si vous croyez en vous mais que vous n’écoutez pas les autres, tout reposera sur vos épaules et vous vous retrouverez isolé. Si, au contraire, vous êtes à l’écoute des autres mais que vous manquez d’assurance, vous risquerez de sacrifier vos attentes et vos projets pour satisfaire quelqu’un d’autre. Si vous ne vous engagez pas dans un projet avec un objectif ambitieux, vous piétinerez et perdrez la considération de votre entourage, pendant que vous vous débattrez sans but précis et échouerez à avoir un impact sur ce qui est véritablement important. Enfin, si vous ne parvenez pas à vous montrer fort, déterminé et audacieux, à faire preuve de courage émotionnel, vos idées resteront de vaines pensées, et vos buts, des fantasmes de doux rêveur.
Appliquons cette analyse au cas de Brad, et observons de quelle façon il s’est retrouvé pris au piège.
La confiance en soi
Curieusement, alors qu’il a mené sa carrière avec succès, Brad a dû lutter sur ce point. C’est pourtant assez courant. Sa motivation à se démener au travail vient en réalité d’une certaine anxiété – il voulait faire ses preuves et satisfaire son entourage. La perspective d’un échec potentiel le rendait nerveux, et il a toujours été très peu indulgent envers lui-même lorsqu’il a effectivement échoué. Il disposait pourtant de certains atouts : il avait une idée précise de la personne qu’il voulait devenir, il a donc travaillé dur pour y arriver, délaissant les distractions et investissant son énergie avec sagesse et stratégie.
La relation à l’autre
C’est le meilleur atout de Brad. Il prend toujours grand soin de son équipe et il est apprécié. Ses collaborateurs savent parfaitement qu’il leur fait confiance, même quand il est en désaccord avec eux. Ils apprécient l’ouverture d’esprit dont il fait preuve – autant à l’égard des personnes que des situations problématiques – et ils lui sont reconnaissants de ne pas tirer de conclusions hâtives à leur sujet. Pourtant, même sur ce point, Brad a encore une marge de progression : il n’est pas toujours très direct avec ses interlocuteurs et a tendance à remettre au lendemain les conversations désagréables.
L’engagement au profit d’un objectif
Sur ce point, les résultats de Brad étaient en demi-teinte. D’un côté, il a su définir clairement les actions nécessaires à la croissance de l’entreprise, impliquer les salariés dès les premières phases de travail et il n’a pas hésité pas à demander de l’aide. Mais parallèlement, il s’est un peu dispersé. Il n’a pas été assez précis sur les quelques éléments pouvant faire bouger le curseur et il a manqué de méthode pour rester concentré sur l’essentiel, déterminer les responsabilités de chacun et piloter le suivi. En renonçant à se séparer de son chef des ventes, il a également envoyé un message ambigu à son équipe : était-il réellement capable de faire le maximum pour assurer la réussite de l’entreprise ?
Le courage émotionnel
C’est sur ce point que Brad avait la plus grande marge de progression. D’ailleurs, développer son courage émotionnel était essentiel pour renforcer les trois autres éléments cités précédemment. Par définition, la prise de risques nous rend vulnérables, un sentiment que Brad s’appliquait à éviter. Il refusait l’inconnu et esquivait soigneusement les situations délicates. Agir ainsi lui compliquait lourdement la tâche, notamment lorsqu’il devait dire des choses déplaisantes ou prendre rapidement des décisions difficiles, et cela retardait la mise en œuvre de ses actions.
Ainsi, les points forts de Brad étaient sa « relation à l’autre » et son « engagement au profit d’un objectif ». Il avait, en revanche, des difficultés dans les domaines de la « confiance en soi » et du « courage émotionnel ». Ce constat a permis de comprendre les enjeux liés à sa situation : son lien avec son chef des ventes est entré en conflit avec l’objectif de réussite qu’il s’était fixé pour l’équipe et l’entreprise. Son manque de confiance en lui et de courage émotionnel l’a empêché de rompre le lien. C’est la recette parfaite pour engendrer à la fois inaction et frustration.
Prendre simplement conscience de ces mécanismes l’a aidé instantanément. Nous avons travaillé ensemble pour renforcer son courage émotionnel en prenant de petits risques, expérimentant en même temps les émotions qu’il tentait de tenir à distance. Chaque action menée à son terme, qu’elle soit réussie ou non, lui a démontré que, à l’évidence, il y survivrait et lui a donné la satisfaction d’avoir affronté le risque, ce qui a bien entendu renforcé sa confiance en lui et l’a aidé à prendre des risques plus grands.
Très vite, il s’est senti armé (bien qu’il ne se soit sans doute jamais senti « prêt ») pour accomplir ce qu’il avait à faire depuis trois mois. S’appuyant sur sa nature prévenante, sa compassion et son humanité, il a renvoyé son chef des ventes (qui, accessoirement et sans surprise, savait ce qui l’attendait et s’est dit « soulagé »). Brad a eu énormément de difficultés à lancer la conversation – c’est un sentiment quasiment inévitable lorsque vous devez mener une action qui demande du courage émotionnel. Mais c’est en faisant appel à son courage émotionnel qu’on le construit peu à peu. Brad est ressorti de cet échange avec le sentiment de s’être renforcé sur les quatre aspects : il avait gagné en assurance, il avait resserré les liens avec son équipe (et même, croyez-le ou non, avec son chef des ventes), il s’était recentré sur son objectif et avait développé son courage émotionnel.
Par Peter Bregman
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