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Comment Huawei se positionne pour la prochaine révolution tech en Afrique

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DECRYPTAGE – Fort d’une nouvelle stratégie africaine à coups de centaines de millions de dollars, Huawei visualise déjà un futur (nouveau) saut technologique sur le continent. Depuis sa Chine natale, le géant de la Tech – qui se bat contre les sanctions américaines – prépare son « retour dans la course », notamment par l’Afrique.

Immersion. Mégapole bouillonnante de ses 27 millions d’habitants, Shanghai est la ville la plus peuplée de Chine, mais aussi le fleuron de sa modernité. C’est d’ailleurs ici que s’est tenu fin septembre le Tech4All Global Summit 2023, un rendez-vous annuel signé Huawei qui promeut la construction d’un monde numérique plus inclusif et plus respectueux de l’environnement avec, cette année, un zoom sur l’Afrique. Le Kenyan Martin Kungania y a présenté quelques avancées et les ambitions technologiques de son pays, lequel a propulsé le continent au-devant de la scène internationale il y a dix-sept ans avec l’apparition du mobile money. Ce pays d’Afrique de l’Est développe désormais le concept d’écoles connectées où les technologies de l’information et de la communication (TICs) sont intégrées à l’enseignement, à l’apprentissage et au management éducatif. L’accent est donc mis sur la formation des talents numériques. « L’ambition du Kenya est de faire en sorte que les Kenyans, demain, puissent naviguer au sein de n’importe quel environnement dans le monde », a-t-il déclaré, rappelant la Vision 2030 qui vise à faire du pays un terreau de compétences technologiques les plus pointues et ce, dès le plus jeune âge. Une vision dont l’implémentation est accompagnée par Huawei, tout comme c’est le cas en Egypte, en Afrique du Sud ou au Ghana.

En Ethiopie, le géant de la tech qui travaille notamment avec la compagnie nationale Ethio Telecom, a également déployé des solutions d’intelligence artificielle (IA) dans l’agriculture, permettant de déterminer la capacité des sols ou le coût des cultures, mais aussi dans le domaine de la justice dans le cadre d’un partenariat avec la Haute Cour de justice. Selon la firme, une IA a permis de décortiquer les textes de loi, favorisant l’amélioration des audiences et des sentences dans les tribunaux, ainsi que le coût de certaines procédures.

« Notre vraie force est l’investissement dans la R&D »

Qu’elles soient basées sur l’IA, sur le Cloud ou sur le Big Data … et qu’elles concernent divers domaines comme la connectivité au moyen de la 5G, la cybersécurité, les énergies renouvelables, la finance, la gestion portuaire, l’exploitation minière et pétrolière, la télémédecine ou le sport, toutes les innovations déployées par Huawei – qui nourrit donc un appétit grandissant pour l’Afrique – émanent de ses centres de recherche et développement (R&D). Ici, les équipes – dominées par des profils d’ingénieurs – représentent 54% des 207.000 employés de l’équipementier chinois dans 170 pays à travers le monde. Ces centres constituent aujourd’hui un gros poste d’investissements qui a avalé environ 23,2 milliards de dollars en 2022 (soit 25% des revenus du groupe), contre 8,3 milliards de dollars en 2015. Shanghai est justement l’une des quelques villes dans le monde qui abritent un centre de recherche Huawei. « Notre vraie force est l’investissement dans la recherche et développement », affirme lors d’une visite guidée Adnane Ben Halima, vice-président en charge des relations publiques de Huawei Northern Africa (HNA), l’entité basée à Casablanca au Maroc et qui couvre 28 des 44 pays africains dans lesquels la firme est présente sur le continent.

Le centre de R&D Huawei à Shanghai. © LTA

Comme toutes les multinationales étrangères qui s’intéressent à l’Afrique, le leader mondial des équipements de télécoms est séduit par le potentiel de croissance économique – sept sur dix des économies à la croissance la plus rapide au monde étant africaines avant la Covid-19 -, mais aussi par le potentiel en matière d’infrastructures boosté par l’urbanisation galopante et par le marché de consommation que constitue le continent fort de sa jeunesse, laquelle représentera 35% des jeunes de la planète d’ici 2050, selon les Nations Unies. « Donc, les futurs consommateurs, la population active et les leaders de demain seront africains. De surcroit, les Africains ont une culture de l’entrepreneuriat », énumère Edison Xie, vice-président en charge des relations publiques du groupe. « Avec toutes ces données, ajoute Ben Halima, l’Afrique représente un challenge énorme. Dans ce contexte, les TICs sont une opportunité, mais aussi un must ».

Face aux sanctions américaines, la piste africaine

En réalité, l’Afrique est une cible stratégique pour cette multinationale qui n’est pas cotée en Bourse, mais dont le business global a considérablement pâti des sanctions américaines entre 2020 et 2021. Selon Xie, « la campagne contre » le mastodonte chinois a entrainé la première année une chute de 40% de son chiffre d’affaires sur le segment des smartphones. Mais les stratégies déployées par la firme, dit-il, lui ont permis de ramener ces données à 11% en 2022, tandis que la croissance des revenus mondiaux est timidement revenue au vert, affichant une hausse 1%. « Nous espérons revenir dans la course très bientôt », confie ce porte-parole lors d’une rencontre shanghaienne avec la presse.

Pour consolider ses perspectives d’avenir, la plus grande entreprise privée de Chine a annoncé, le 20 septembre dernier, sa nouvelle stratégie africaine sur les cinq prochaines années baptisée : « Accélérer l’intelligence pour une nouvelle Afrique ». Cette nouvelle feuille de route est déclinée en trois axes à savoir : l’inclusion technologique avec un accent sur la santé et l’éducation; l’amélioration de l’environnement business, du trafic urbain et de la résilience économique des Etats ; et enfin, la transformation des industries clés pour le continent comme l’agriculture et les hydrocarbures (pétrole et gaz).

430 millions de dollars d’investissements sur cinq ans

Ainsi d’ici 2028, Huawei investira 430 millions de dollars, à raison de 200 millions pour établir le premier nœud de Cloud public d’Afrique, offrant plus de 200 services Cloud ; 200 millions de dollars dans le développement de l’écosystème Tech et 30 millions de dollars dans la culture des talents. « Il s’agit de former 10.000 développeurs locaux et 100.000 talents du numérique d’ici cinq ans », a déclaré Colin Hu, Président Entreprise et Cloud Business de HNA. Edison Xie explique cet engouement du fleuron chinois : « habituellement, l’innovation vient d’Europe ou d’Amérique, de la Chine ou du Japon. Mais alors que nous avons vu comment la technologie M-Pesa, cette dernière décennie, est partie de l’Afrique – le Kenya plus précisément – vers le monde, nous considérons que l’Afrique est le futur centre mondial de l’innovation ».

Colin Hu et Adnane Ben Halima. ©LTA

Dans le chiffre d’affaires du groupe, les revenus sur l’Afrique sont comptabilisés sous la structure Europe, Afrique et Moyen-Orient (EMEA), laquelle représente 23% des revenus globaux. Mais Huawei compte sur ses investissements à venir et sur les promesses des marchés africains en termes de croissance pour gonfler ses revenus sur la région. « Nous devons tous continuer à alimenter le feu de l’intelligence en Afrique, afin que les rêves en matière d’intelligence deviennent plus rapidement une réalité », a pour sa part déclaré Terry He, président de HNA lors de la Huawei Northern Africa Night où une IA assurait la maitrise de cérémonie.

Quand les présidents africains vont toucher du doigt les innovations

En Chine, l’accélération technologique est palpable à travers le pays où on parle déjà notamment de 5.5G, une amélioration de certaines fonctionnalités de la 5G développée par Huawei. Shenzhen, considérée comme la « Sillicon Valley » chinoise est la ville de résidence du fondateur, l’influent et discret milliardaire Ren Zhengfei et celle des quartiers généraux de la multinationale qui abrite à la fois les bureaux, des lieux de vie et des résidences destinées aux employés désireux de se loger à proximité de leur lieu de travail. Cet immense complexe qui abrite notamment le fameux Darwin Hall – la salle d’exposition de toutes les innovations de Huawei -, reçoit quelques fois des présidents africains qui viennent voir de près les solutions qu’ils veulent lancer dans leur pays. Cette année, le président Abdelmadjid Tebboune d’Algérie et le président Félix Tshisekedi de la République démocratique du Congo (RDC) y étaient. Chacune de ces visites très haut de gamme débouche sur des accords autour de la transformation numérique des industries, la connectivité universelle avec des projets 5G d’ici 2024, la formation des talents et le développement durable. Ce dernier sur lequel l’équipementier chinois se veut avant-gardiste, alors que le débat international sur la décarbonisation des industries fait rage.

Ce Green dans lequel le géant chinois s’engage

A 62 km au nord-est de Shenzhen se trouve Dongguan, hub ferroviaire de la région de Guangdong et historiquement l’une des premières villes chinoises à accueillir des industries à capitaux étrangers. Il s’agit aussi de celle qui accueille le Campus Ox Horn de Huawei, étendue sur 1,4 million de m2, construite à l’européenne entre 2015 et 2018. Véritable ville dans la ville, le campus héberge notamment la direction financière du groupe où se prennent les décisions d’investissement comme celui prévu en Afrique au cours des cinq prochaines années. S’y trouve également le laboratoire de santé et des sports où sont matérialisées les innovations liées à ces deux secteurs et déployées dans le monde, mais aussi des bureaux de R&D, des résidences de salariés, des lieux de vie, une bibliothèque de 110.000 livres à l’architecture inspirée de la Bibliothèque Nationale Française, et de grands espaces verts parsemés de panneaux solaires. « L’électricité devient un fort enjeu et l’aspect green est très important dans notre stratégie », explique Adnane Ben Halima, rappelant la panoplie d’innovations de l’équipementier liées aux énergies renouvelables ou à l’hydrogène vert.

Le campus Ox Horn à Dongguan. ©Huawei

La question d’espionnage présumé, un « mythe » selon Huawei

Régulièrement accusé d’espionnage par l’Occident, la question revient souvent au sujet du continent africain où Huawei étend sans cesse son influence. L’on se souvient d’ailleurs des accusations concernant le siège de l’Union africaine en 2018, balayées d’un revers de la main par l’équipementier chinois et le président de la commission de l’UA Moussa Faki Mahamat, évoquant des « accusations mensongères ». Aujourd’hui encore, la question fait presque sourire le top management de ce mastodonte, dont le capital est principalement détenu par ses salariés à travers un système de stock-options.  « Huawei est l’entreprise la plus auditée au monde et les résultats de ces audits sont disponibles en ligne. Nous avons démontré la conformité de nos systèmes par rapport à tous les standards. Nous disposons de sept centres de transparence dans le monde auxquels ont accès les 1.500 opérateurs avec lesquels nous travaillons via leurs équipes d’environ un million de techniciens de très haut niveau », défend Edison XieEt Adnane Ben Halima d’ajouter : « nous faisons des opérations clés en main et n’avons plus aucun accès sur les réseaux une fois livrésEn fait, la logique selon laquelle les abonnés sont surveillés est un mythe ».

Rendez-vous pour le bilan ?

Alors que la technologie s’impose dans toutes les sociétés et dans toutes industries, et que la fièvre d’innovation va en s’intensifiant du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest du continent africain – avec des startups dont les levées de fonds échappent souvent aux crises, des gouvernements qui mesurent plus ou moins l’urgence de prendre le train en marche et des Africains friands de High Tech – l’offensive africaine n’est pas l’apanage de Huawei. En 2020 à titre d’exemple, l’américain Apple est revenue en force sur ces marchés avec une stratégie assumée, pour ne citer que celui-là. Cette ruée vers le continent aura certainement son rendez-vous avec le temps pour mesurer l’impact – sur les économies africaines, notamment en termes de transfert technologique – des ambitions affichées aujourd’hui.

 

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