Alerte verte à Brazzaville… La République du Congo accueillait, du 26 au 28 octobre, la seconde édition du Sommet des trois Bassins qui a réuni plusieurs milliers de représentants venus des quatre coins d’un « Sud Global » en pleine préparation d’une stratégie climatique commune, à la veille de la COP28 de Dubaï.
En ce matin du 26 octobre, Kintelé est en effervescence, au premier jour du Sommet des trois Bassins qui marque un nouveau chapitre de l’offensive verte des pays du Sud, après le « Sommet africain pour le Climat » de Nairobi. Le président kényan, William Ruto, a d’ailleurs fait le déplacement en personne à Brazzaville, pour soutenir les efforts « des pays du Sud » qui entendent désormais porter haut et fort, leurs revendications climatiques.
Née en 2011, cette initiative portée par le président Denis Sassou Nguesso a réuni plusieurs milliers de participants autour des enjeux relatifs aux trois bassins forestiers (Congo, Amazonie et Mékong-Asie du Sud-Est), qui représentent près de 80 % du couvert forestier tropical mondial.
Malgré l’absence remarquée du président brésilien Lula, en convalescence, et des présidents asiatiques, plusieurs chefs d’État africains ont fait le déplacement dans la capitale du Congo, de Félix Tshichekédi (République démocratique du Congo) à Teodoro Obiang (Guinée équatoriale), en passant par Azali Assoumani (président des Comores et de l’Union africaine), Faustin-Archange Touadéra (Centrafrique), William Ruto (Kenya), Umaro Sissoco Embaló (Guinée Bissau) et Évariste Ndayishimiye (Burundi).
Pendant trois jours, une certaine frénésie a traversé le centre de conférences de Kintélé, qui accueillait des personnalités de haut niveau, de Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’Union africaine (UA) à Louise Mushikiwabo, Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), ou encore les représentants de fonds d’investissement, les bailleurs multilatéraux et les membres des organisations climatiques internationales et régionales.
Le bassin du Congo, première réserve mondiale de stockage CO2
Aujourd’hui, malgré une superficie moins grande que celle de l’Amazonie, le bassin du Congo est devenu le 1er poumon vert de la planète, avec un bilan net carbone de 610 millions de tonnes de CO2. « C’est le principal site de stockage de dioxyde de carbone (CO2) au monde », s’est félicité Chouaïbou Nchoutpouen, Secrétaire exécutif adjoint de la Commission des forêts d’Afrique centrale (COMIFAC), dès l’ouverture du Sommet.
En 2020, la superficie des forêts d’Afrique centrale (22 % des forêts tropicales au monde), était estimée à près de 200 millions d’hectares, dont 184,7 millions d’hectares sans signes visibles de perturbation (Vancutem et Al. 2020). Néanmoins, la tendance des dernières années révèle une augmentation du taux annuel de perturbation dans les forêts humides d’Afrique centrale et, selon Chouaïbou Nchoutpouen « 27 % des forêts pluviales non perturbées du bassin du Congo, pourraient disparaître d’ici 2050, si le rythme de déforestation continue ».
Or, en dépit des engagements relatifs à la Déclaration de Glasgow, pris par quelques 145 chefs d’État et de gouvernements, « la déforestation dans le monde a augmenté de 4 %, l’année dernière, par rapport à 2021 », a rappelé le président William Ruto.
Ce sont 6,6 millions d’hectares de forêts qui ont été perdus, essentiellement dans les forêts primaires tropicales, en une seule année, d’après le rapport d’experts Evaluation de la déclaration pour les forêts, du 23 octobre dernier. Le bilan est lourd, car il s’ajoute aux 420 millions d’hectares de forêts perdus entre 1990 et 2019 (ONU).
Contrairement aux réalités amazoniennes, l’industrie du bois n’occupe, jusqu’à présent, qu’une place marginale en termes de déforestation, dans le bassin des forêts d’Afrique centrale. Cette industrie ne représentait en effet, que 1 % de la production mondiale de bois scié (dont 6 % de la production de bois scié tropical). Néanmoins, pour protéger les ressources forestières d’Afrique centrale sur le long terme, il faudra investir beaucoup plus.
« Nous devons investir 6 milliards de dollars par an dans le » Plan de convergence 2015-2025 » de la COMIFAC, mais nous ne sommes qu’à 2 milliards, aujourd’hui », a prévenu le secrétaire général adjoint de la COMIFAC, qui appelle à « un financement équitable au niveau mondial ».
Des solutions vertes nées dans le « Sud global »
Depuis le 1er Sommet des trois Bassins organisé en 2011, les échanges Sud-Sud se sont multipliés. « C’est sur le modèle brésilien que nous avons lancé la COMIFAC grâce à laquelle la sous-région parle aujourd’hui d’une seule voix », a rappelé le secrétaire exécutif de la Commission des forêts d’Afrique centrale.
Pour Gilles Kleitz, chef de projet diversité pour l’Agence française de développement (AFD), il est essentiel que la question climatique ne relève plus seulement des institutions internationales. « On n’a pas besoin de formules magiques qui marcheraient partout dans le monde, mais de retours d’expérience politique, de gouvernance et de boîtes à outils, pour répondre à des problèmes souvent similaires, qui se gèrent de façons différentes. Au Nord, on se réjouit de cette voix forte qui émerge du Sud », a-t-il assuré.
Parmi les outils à inventer, chaque expert s’accorde à dire qu’il faut urgemment répondre au problème de diagnostic, pour élaborer une cartographie des investissements. Il aura fallu cinq ans pour élaborer un rapport sur les forêts tropicales, qui aura mobilisé plus de 800 experts, alors que le temps presse et que les réalités évoluent comme fonte des neiges au sommet du Kilimandjaro…
Pour Baudouin Michel, de l’École régionale post-universitaire de l’Aménagement et de Gestion intégrés des forêts et territoires tropicaux (ERAIIFT), il faut aussi sortir d’une « approche systémique et vintage » encore trop souvent confiée à « des militaires – car – la vérité vient du terrain. Il faut donc inclure les populations dans nos approches, sans quoi, la forêt disparaîtra inévitablement », a-t-il asséné, aux côtés des traditionnels bailleurs internationaux (Banque mondiale et AFD). Il faudra aussi s’équiper de nouveaux outils, car l’Afrique manque encore cruellement d’instruments de mesure des émissions de gaz à effet de serre (GES).
« Début 2011 (1ère édition du Sommet des trois Bassins, NDLR), le projet de créer une première tour de mesure des GES est né en Afrique centrale. Il a fallu attendre 2021 pour qu’elle soit inaugurée, alors qu’il en existe déjà une vingtaine en Amazonie ou en Asie », a-t-il poursuivi. Début 2021, Congoflux, la première tour à flux de covariance des turbulences, était inaugurée à Yangambi dans la province de la Tshopo, en République démocratique du Congo (RDC).
« Nous devons développer la télédétection, car nous n’aurons jamais assez de gardiens de chasse pour quadriller toutes les forêts ! Rares sont ceux qui sont au courant que les data sont libre de droits et gratuites. Pourtant, elles sont essentielles. Pendant les dix ans de la présidence de Lula au Brésil, les émissions de GES ont considérablement baissé grâce à la libre diffusion des data. Aujourd’hui, on voit tout ! En Europe, la politique agricole commune est entièrement visible par télédétection. Il n’y a aucune raison qu’on ne puisse pas faire de même dans les trois bassins », concluait Baudouin Michel.
De la difficulté de parler d’une seule voix
« C’est l’union qui fait la force », lançait le ministre congolais du Plan, au premier jour du Sommet, précisant que le Sud devait relever le défi climatique en fonction de ses propres réalités. « Soyons, une coalition forte et soudée. Il nous faut créer un cadre institutionnel et formaliser un véhicule commun (…) II nous faut aussi une méthode pour parler d’une seule voix », a-t-il poursuivi.
De Kinshasa à Belém, en passant par Bornéo, « malgré des réalités différentes, on partage des défis communs », estime Yustina Lina Dina Wambrauw, chercheuse de la Papua University (Papouasie-Nouvelle-Guinée). « Il est important de se rencontrer, mais il faut des actions ! Comment faire face aux multinationales qui payent des fortunes pour exploiter nos forêts. Nos communautés sont démunies. Avec le temps, il est de plus en plus difficile de résister à l’appât du gain, surtout pour les jeunes générations. Comment empêcher de céder nos terres quand on n’a même pas les moyens d’envoyer ses enfants à l’école ? », s’interroge-t-elle.
Pour le président du Kenya, c’est en Afrique qu’une issue sera trouvée. « Nous sommes le continent qui apportera les solutions au changement climatique ! », a-t-il déclaré avec emphase. Pourtant, parler d’une seule voix suppose avant tout de pouvoir se parler tout court… Or, les dissensions restent difficiles à cacher, en particulier entre la RDC et le Rwanda. C’est d’ailleurs un Félix Tshichekédi offensif et en pleine campagne présidentielle qui s’est attaqué au Rwanda, dans une salle chauffée à blanc, dans laquelle plusieurs supporters, drapeaux en main, l’ont accueilli en criant « Béton » (pour illustrer la force -comme du béton- du président congolais).
« Il se passe dans le Parc des Virunga, une des réserves naturelles les plus importantes au monde, un activisme armé qui met à mal cet écosystème. Cela n’a pas été décidé à Washington ou à Paris, mais en Afrique et plus précisément à Kigali ». Dès lors, comment trouver un consensus quand les différends politiques s’invitent dans les débats climatiques ?
Que retenir du Sommet des trois Bassins ?
L’intervention du président de la Transition du Gabon, Brice Oligui Nguema, restera l’un des moments forts du Sommet. Signant le réchauffement des relations entre Brazzaville et Libreville, le président par intérim gabonais a troqué l’uniforme militaire pour un costume marine. Acclamé par un amphithéâtre archi-comble, il a rendu hommage au président Denis Sassou Nguesso devant une assistance survoltée. L’ambiance était telle qu’il fallut plusieurs minutes à William Ruto qui lui succéda sur scène, pour capter l’attention d’une assistance, sous le coup de l’apparition du président gabonais de la Transition.
« D’ici la fin de l’année, aucun Africain n’aura plus besoin de visa pour venir au Kenya ! », a-t-il annoncé. « Nous appelons à réévaluer le PIB de l’Afrique en y intégrant les sources de carbone de nos forêts ! Travailler ensemble (pays du Sud, NDLR), n’est plus une option, mais un impératif ! Nous devons transformer nos minerais en Afrique. C’est la seule façon de créer de l’emploi ! Nous devons nous appuyer sur la ZLECAf et faire du commerce entre nous ! », a-t-il lancé. Il a plaidé enfin pour « faire du commerce dans nos monnaies locales sans recourir aux monnaies étrangères », n’hésitant pas à interpeller la banque africaine d’import-export : « Que fait l’Afreximbank ? ».
De son côté, le président Touadéra a relancé l’épineuse question des responsabilités : « Ce sommet arrive à point nommé pour rendre opérationnel le fonds pour pertes et dommages » annoncé pendant la COP de Charm-el-Cheikh, qui peine à se structurer à quelques semaines de la COP28.
On retiendra enfin l’apparition de Teodoro Obiang qui s’est surtout exprimé sur la voix de l’Afrique dans le monde, réclamant un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies et annonçant que la Guinée équatoriale réunirait bientôt une commission spéciale sur la question.
Tour à tour, les présidents africains ont remercié leur hôte, le président Denis Sassou Nguesso qui n’a pas boudé son plaisir. Du président de la transition gabonaise qui a salué le « bâtisseur », au président kényan William William Ruto qui a remercié un « père ». Le « sphinx des forêts » était à l’honneur.
À l’issue du Sommet, les dirigeants africains annonçaient avoir posé les bases d’une feuille de route pour aller vers la construction d’un cadre commun de coopération entre les trois bassins.
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