Leadership

Quand les hommes et les machines collaborent : redéfinir le leadership à l’ère de l’IA

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À l’aube d’une révolution dans le monde du travail, les managers doivent naviguer entre l’adoption de l’intelligence artificielle et la redéfinition du leadership.

Le métier de manager, autrefois défini par des normes et des pratiques établies, est aujourd’hui en pleine métamorphose à l’ère du numérique et face aux nouveaux défis sociétaux. Avec l’explosion du télétravail, l’intégration incessante de technologies innovantes et la pression constante de la transition numérique, le rôle du manager est en constante évolution. À cela s’ajoute l’arrivée de ChatGPT fin 2022, qui, en bouleversant les interactions et les modes opératoires des collaborateurs, apporte une couche supplémentaire de complexité à l’encadrement.

Dans ce contexte en perpétuelle mutation, une question se pose avec acuité pour les leaders d’aujourd’hui : comment gérer l’utilisation de ces outils d’IA ? Est-il préférable d’imposer des limites ou plutôt d’accompagner ses équipes afin d’exploiter tout le potentiel de ces nouvelles technologies pour accroître la productivité ?

L’IA au service du leadership : le manager face à de nouveaux défis

L’avènement de l’IA dans le monde professionnel n’est pas simplement une nouvelle technologie à intégrer, c’est une évolution qui transforme les fondamentaux du management. Selon Thomas H. Davenport et Rajeev Ronanki, l’IA ne fait pas que remplacer certaines tâches : elle redessine littéralement les frontières du travail en recomposant les rôles et responsabilités.

Si la gestion d’entreprise a toujours été le fruit d’un exercice d’équilibriste entre l’adaptation aux évolutions technologiques et la préservation des interactions avec et entre les collaborateurs, l’arrivée de ChatGPT en 2022, développé par OpenAI, a introduit une dimension supplémentaire à cette équation. Selon la firme, ce sont déjà 80% des entreprises du Fortune 500 qui l’utilisent, et des géants de l’industrie tels que Canva ou PwC revendiquent déjà avoir intégré la technologie dans leurs opérations. Devant cette révolution technologique, la question n’est plus de savoir si les entreprises l’adopteront, mais quand et surtout comment elles le feront.

Dans cette nouvelle dynamique, le manager ne joue alors plus uniquement le rôle de superviseur, mais également celui d’un facilitateur ou d’un intégrateur, avec un enjeu majeur pour l’entreprise, celui de savoir comment permettre à l’humain de collaborer harmonieusement avec la machine pour créer une synergie productive.

Car il s’agit bien de cela : gagner en productivité, rester compétitif, ne pas laisser ses concurrents prendre une longueur d’avance grâce à des outils qu’ils maîtriseraient plus vite et mieux. À l’ère de l’IA, le management nécessite alors une compréhension profonde des capacités et des limites de ces technologies : les managers les plus efficaces de demain seront ceux qui comprendront le potentiel de l’IA pour améliorer les processus décisionnels et les nuances émotionnelles et sociales qui caractérisent les interactions humaines.

Ce double rôle du manager, à la fois technologue et psychologue, accentue la complexité de sa mission. Alors qu’auparavant, les compétences techniques pouvaient être déléguées à des experts, aujourd’hui, une compréhension de base des capacités de l’IA devient cruciale pour tous les niveaux hiérarchiques.

Les avantages de ChatGPT sont évidents. En tant qu’outil d’intelligence artificielle générative, il peut traiter des informations à une échelle que l’homme ne peut égaler. Cela se traduit par une efficacité accrue, des analyses plus approfondies et une capacité à répondre rapidement aux demandes. De plus, avec la croissance du télétravail et la mondialisation des équipes, avoir un outil qui peut fournir des informations rapidement et de manière cohérente à travers différents fuseaux horaires et cultures est inestimable.

Cependant, cette technologie ne vient pas sans défis. L’un des principaux enjeux soulevés par les entreprises est le risque de dépendance excessive à cette technologie. Plutôt que d’utiliser ChatGPT comme un outil complémentaire, certains employés ont tendance à s’appuyer trop lourdement sur lui, remplaçant leur propre expertise et intuition. Sans formation à leur utilisation, les risques d’une utilisation contre-productive sont réels.

Des questions éthiques sont aussi soulevées : si un outil AI génère une information ou une analyse, qui en est responsable en cas d’erreur ou de faute ?

Cela nous amène au cœur du débat : comment les entreprises, et plus précisément les leaders, doivent-ils gérer l’intégration de ces outils ? Comment s’assurer que les informations fournies par ces outils sont exactes ? Quelle part de la décision doit être confiée à l’IA et quelle part doit rester entre les mains et la créativité des humains ? Lorsque les collaborateurs utilisent l’IA générative pour les aider dans l’accomplissement de leurs tâches, comment s’assurer que des données sensibles de l’entreprise ne soient pas diffusées sur la toile ?

La transformation de la relation manager-collaborateur

La relation entre managers et collaborateurs subit alors une transformation profonde. Les outils basés sur l’IA, comme ChatGPT, brouillent les lignes traditionnelles de l’autorité et du savoir. Historiquement, un manager était souvent considéré comme la principale source d’information et de direction pour une équipe. Avec l’accès immédiat à l’information et aux analyses que l’IA peut fournir, le rôle du manager évolue de celui d’un détenteur du savoir à celui d’un guide ou d’un facilitateur.

Dans un environnement professionnel enrichi par l’IA, le rôle du manager tend davantage vers le mentorat, le développement des compétences de ses collaborateurs, et la facilitation de la collaboration interdisciplinaire. Plutôt que de simplement définir et superviser les tâches, les managers sont désormais appelés à encourager l’innovation, à identifier et à combler les lacunes en matière de compétences, et à assurer l’intégrité éthique de l’utilisation de l’IA (« Human + Machine: reimagining work in the age of AI », de Paul R. Daugherty et H. James (Jim) Wilson, Harvard Business Review Press, 2018).

Avec l’IA fournissant souvent des informations en temps réel et des recommandations basées sur des données, la prise de décision devient plus collaborative. Le manager n’est plus le seul décideur, mais coordonne plutôt un processus de prise de décision où les contributions de l’IA et des collaborateurs sont toutes prises en compte. Ceci favorise une plus grande autonomie et responsabilisation des collaborateurs, car ils participent davantage au processus décisionnel.

Cependant, cette transition présente ses propres défis. Déjà, le manager lui-même doit se former et ne pas déléguer uniquement à ses collaborateurs cette nécessité. Ensuite, il est essentiel d’établir une confiance mutuelle entre le manager et les collaborateurs. Les équipes doivent avoir confiance dans les décisions et recommandations de l’IA, tout en sachant que leurs contributions humaines uniques sont valorisées. Par ailleurs, les managers doivent veiller à ce que leurs équipes naviguent avec assurance dans cet environnement technologique, tout en étant conscients des limites et des biais possibles des outils d’IA. Le potentiel d’obtenir des informations erronées ou incomplètes de la part des outils d’IA est bien réel. Ainsi, il est vital d’éduquer les collaborateurs sur l’importance de vérifier leurs sources.

En se reposant uniquement sur l’IA, les collaborateurs peuvent certes gagner du temps, mais ils risquent aussi de fournir un travail qui ne correspond pas aux attentes de l’entreprise. Le manager a alors un rôle crucial de supervision et de validation.

La clé de cette transformation réside dans la capacité des organisations à valoriser la collaboration homme-machine, tout en redéfinissant la relation entre managers et collaborateurs pour l’ère de l’IA (« The second machine age », d’Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee, W. W. Norton & Company, 2014).

Contrôle vs accompagnement : le grand dilemme

Ainsi, l’intégration de l’IA dans le paysage professionnel moderne a soulevé de nouvelles préoccupations pour les décideurs quant à la régulation de son usage. La question centrale est de déterminer s’il faut adopter une approche de contrôle strict ou préférer un accompagnement plus nuancé.

Face à la montée en puissance des technologies, l’idée d’instaurer des réglementations sévères pourrait sembler séduisante. Néanmoins, cette perspective manque de vision à long terme. Une fois qu’une technologie fait son entrée, contenir son influence devient ardu, et il est inévitable que les employés cherchent des façons de l’adopter, que ce soit en toute transparence ou en coulisses (« The risk of automation for jobs in OECD countries », de Mélanie Arntzi, Terry Gregoryi et Ulrich Zierahni, OECD Social, Employment and Migration Working Papers, 2016).

Plus préoccupant encore, en interdisant ou en limitant fortement l’accès à de tels outils, les entreprises risquent de freiner l’innovation et de décourager l’exploration technologique. Cette crainte n’est pas limitée au monde des affaires (« AI and jobs: the role of demand », de James E Bessen, National Bureau of Economic Research, 2017).

À l’échelle mondiale, de nombreux gouvernements expriment leurs inquiétudes face à une régulation trop stricte de ces technologies. Confrontés à cette nouvelle réalité, les dirigeants politiques se lancent dans une série d’initiatives pour à la fois encadrer et promouvoir ces logiciels capables de réaliser des tâches humaines, tels que ChatGPT ou Midjourney. Parmi eux, le Premier ministre britannique, Rishi Sunak, est l’un de ceux qui envisagent une régulation permettant de mieux cadrer ces intelligences artificielles, tout en mettant en avant leurs vertus, afin de favoriser leur déploiement optimal au sein de la société.

Du côté de l’entreprise, l’accompagnement et la formation des collaborateurs à une utilisation à bon escient des outils technologiques est vu par beaucoup comme une réponse constructive. Les entreprises qui investissent dans la formation et le soutien autour de l’IA ont non seulement tendance à mieux intégrer ces outils, mais aussi à observer une hausse de la satisfaction et de l’engagement de leurs employés. Cette démarche vise à responsabiliser les collaborateurs en les dotant des moyens et des connaissances nécessaires pour évoluer avec succès dans ce nouvel environnement.

Certaines institutions, comme Sciences Po Paris, ont même révisé leur position initiale d’interdiction, reconnaissant les avantages potentiels d’une utilisation encadrée des outils basés sur l’IA pour enrichir différentes expériences, notamment dans le domaine éducatif.

En poussant la réflexion, certains experts suggèrent que la meilleure voie pourrait être de combiner les deux approches. En établissant des directives claires tout en encourageant un environnement d’apprentissage et d’innovation, les organisations pourraient aspirer à un équilibre optimal entre l’homme et la machine.

Bien que le débat entre le contrôle et l’accompagnement soit toujours d’actualité, il est évident qu’une approche équilibrée, axée sur l’éducation, la confiance et l’adaptabilité, est essentielle pour réussir à l’ère de l’IA.

Diriger avec sagesse à l’ère de l’IA : orientations pour un leadership efficace

Naviguer dans la nouvelle ère de l’IA est un défi pour les managers d’aujourd’hui, car elle repousse constamment les frontières de ce que nous connaissions jusqu’alors comme les normes du monde professionnel. À chaque étape de cette transformation, dont l’évolution est permanente, et dont les rythmes de mises à jour s’accélèrent toujours plus, les leaders doivent s’équiper d’une vision claire et d’une stratégie robuste pour intégrer ces technologies tout en valorisant leur capital humain.

La formation continue s’impose désormais comme une nécessité absolue. Le McKinsey Global Institute, dans une étude réalisée en 2019, a révélé que les entreprises qui se consacraient à la formation continue, en mettant l’accent sur l’IA et d’autres technologies émergentes, étaient nettement mieux placées pour s’adapter aux fluctuations rapides du marché (« Harnessing automation for a future that works », de James Manyika, Jacques Bughin, Michael Chui, Mehdi Miremadi, Katy George, Paul Willmott et Martin Dewhurst, McKinsey Global Institute, 2017).

Cette formation n’est pas seulement un moyen d’améliorer les compétences techniques, mais aussi de cultiver une culture organisationnelle qui embrasse le changement et promeut l’innovation. Dans le même esprit d’apprentissage, adopter une mentalité de croissance est plus qu’une simple tendance, c’est une nécessité (« Developing capabilities: Lifelong learning in the age of AI », d’Oleksandra Poquet et Maarten de Laat, British Journal of Educational Technology, 2021).

Carol Dweck, éminente psychologue de l’Université de Stanford, a longuement discuté de la manière dont une telle mentalité peut ouvrir la voie à une meilleure adaptabilité, une acceptation de l’échec comme étape d’apprentissage, et une capacité accrue à innover (« Mindset: the new psychology of success », Random House Publishing, 2006). Au-delà de l’individu, la synergie au sein de l’organisation est cruciale. Une collaboration interdisciplinaire efficace ne se limite pas à faire travailler les équipes informatiques avec d’autres départements. Il s’agit de créer un écosystème où les objectifs de l’entreprise sont soutenus par des initiatives d’IA bien conçues, conduisant à une véritable transformation numérique.

Malgré les merveilles que l’IA peut accomplir, les managers doivent être conscients de ses limites. La technologie ne remplacera jamais totalement le discernement, la compassion et l’intuition humains, et il est vital de reconnaître les domaines où l’intervention humaine est irremplaçable. Les relations, le mentorat, la communication et la compréhension sont des aspects que même la technologie la plus avancée ne peut répliquer. Les managers, tout en se tenant à la pointe de la technologie, doivent veiller à ce que leur équipe se sente valorisée, entendue et intégrée dans cette transition.

Dans une ère où l’IA s’immisce dans presque tous les aspects de nos vies professionnelles, les leaders se trouvent à un carrefour décisionnel. L’évolution rapide des technologies et l’arrivée de plateformes telles que ChatGPT rendent obsolètes les méthodes de management traditionnelles.

Plutôt que d’épouser une posture de censure et de contrôle, qui pourrait s’avérer contre-productive, il est impératif pour les dirigeants d’embrasser ces changements et d’accompagner au mieux les collaborateurs dans une utilisation efficace, empreinte de pédagogie. Cela signifie intégrer ces outils dans une stratégie d’accompagnement bien pensée, axée sur la confiance mutuelle, la formation continue et la collaboration.

En adaptant leur leadership à cette nouvelle réalité numérique, les managers pourront non seulement améliorer la productivité, mais aussi renforcer l’engagement et la satisfaction de leurs collaborateurs.

Par Morgane Soulier

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