Leadership

Ce qui rend les chefs d’entreprise heureux

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La majorité des éléments qui concourent à l’épanouissement des dirigeants sont d’ordre relationnel et non financie

Dans un article de référence (1), des psychologues avancent une multitude d’arguments et de faits qui tendent à montrer que l’être humain est naturellement enclin à accorder plus d’importance aux aspects négatifs que positifs de son existence. Cette tendance est si forte qu’ils en énoncent une loi de la psychologie : « Bad is stronger than good ». Cette loi se confirme, hélas et trop souvent, en matière de santé au travail. Par exemple, le compte de pénibilité qui se focalise exclusivement sur les aspects négatifs du travail (poids, bruits, risques professionnels…) fournit une bonne illustration de ce biais pathogène, particulièrement en France. Autre exemple, quand on s’intéresse aux événements de vie professionnels, force est de constater l’asymétrie béante entre le traitement des aspects négatifs, très largement abordés, et les aspects positifs, totalement ignorés. Ce biais est si prononcé que le terme de « stresseur » – stressor en anglais -, à connotation pathogène, s’est largement popularisé (plus de 2,5 millions d’occurrences sur Google, une définition sur Wikipédia…), alors qu’un terme comparable à connotation positive n’existe pas.

L’objet de cette tribune est donc de corriger ce biais en introduisant le concept de « satisfacteur », néologisme aussi simple que nécessaire pour rééquilibrer l’analyse du travail et de ses effets sur la santé. Par opposition au terme « stresseur », un « satisfacteur » est un événement positif, à caractère professionnel ou personnel, qui génère de la satisfaction et dont on peut penser qu’il affecte positivement de manière plus ou moins forte la santé mentale et physique de l’individu.

Dans cette nouvelle optique, inutile de dire que les « satisfacteurs » d’un chef d’entreprise sont nombreux, sans quoi peu de personnes oseraient entreprendre. Toutefois les principaux évènements professionnels positifs des chefs d’entreprises, et surtout leur fréquence et leur intensité, n’ont jamais été mis en évidence, les chercheurs se focalisant sur le négatif. C’est tout l’intérêt du travail réalisé ici par l’Observatoire Amarok qui a répertorié, auprès de 357 chefs d’entreprise, les principales sources annuelles de satisfaction au travail. Au final, 28 « satisfacteurs » ont été catégorisés selon une méthodologie qualitative rigoureuse.

MÉTHODOLOGIE DE CODAGE DE L’ENQUÊTE AMAROK

Au total, 357 dirigeants de PME ont été suivis entre 2012 et 2013 par l’Observatoire Amarok. Il leur a été posé une série de questions ouvertes du type : « Lors du dernier mois, quel est l’évènement qui vous a le plus marqué dans votre entreprise? ». « Précisez si c’est en positif ou en négatif? »

L’intégralité des verbatim recueillis a été codée sémantiquement en deux étapes. Dans un premier temps, un codage inductif de l’intégralité des verbatim a été réalisé séparément par deux membres de la Chaire « Santé des entrepreneurs et dirigeants de PME » du LABEX Entreprendre de l’Université de Montpellier. Un taux d’accord initial de 66% a été atteint, permettant de stabiliser une liste de 28 catégories d’évènements positifs, couvrant toutes les dimensions fonctionnelles de la PME : gestion commerciale ; gestion du personnel ; gestion financière ; aspects professionnels et personnels du dirigeant ; gouvernance ; stratégie ; relations avec l’administration ; gestion de la production et des approvisionnements. Les 28 catégories d’évènements positifs ont ensuite été utilisées pour un codage déductif. Ce travail a été réalisé par deux membres de l’équipe de recherche qui n’étaient pas intervenus lors de l’étape de codage inductif. Concernant la fiabilité intercodeurs, un taux de 69,4% a été atteint, sachant qu’il ne faut pas s’attendre à une fiabilité dépassant 70%. Concernant la fiabilité intracodeurs (c’est-à-dire le codage des mêmes verbatim par la même personne à deux dates différentes), les opérateurs ont obtenu des taux respectifs de 79,3% et 78,1%. La norme idéale de cette procédure est de 80%.

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Les 2 299 verbatims recueillis auprès des chefs d’entreprise ont permis de faire émerger 28 « satisfacteurs » (une liste de 30 « stresseurs » a également été établie et présentée dans notre précédente tribune). Un ultime entretien a permis de pondérer chaque « satisfacteur » en termes de fréquence (probabilité d’occurrence annuelle de 0 à 100%) et d’intensité émotionnelle (de 1 à 5).

Au moyen d’un algorithme, les 28 « satisfacteurs » ont pu être regroupés en quatre classes principales (« le leadership transformateur », « le nouveau destin », « la satisfaction des moyens », « la satisfaction des résultats »), puis en sous-classes pour la plupart. Si on s’intéresse aux valeurs les plus élevées en matière de fréquence et d’intensité, plusieurs « satisfacteurs » méritent une attention particulière.

La satisfaction de la clientèle est à la fois le « satisfacteur » le plus fréquent et le plus intense. « Le client est roi… » et les entrepreneurs ont grand plaisir à le servir. Il faut reconnaître que pour des travailleurs sans supérieur hiérarchique, la satisfaction de la clientèle est le meilleur indicateur d’un travail bien fait.

Le bon climat social et la bonne implication du personnel sont également de puissants « satisfacteurs ». Ceci illustre qu’une ambiance sereine et constructive est, dans les PME où les relations de proximité sont la règle, toujours une grande source de satisfaction.

Enfin, le fait de prendre des vacances est, pour le dirigeant, un élément crucial de son bien-être. Si les dirigeants prennent significativement moins de congés que le reste de la population active, cette rareté rend l’évènement plus profitable en termes de satisfaction.

Dans le même registre des « satisfacteurs » intenses mais cette fois-ci moins fréquents, on trouve la bonne entente entre associés (élément crucial en PME) et la formation ou le coaching du dirigeant. Là aussi, nous savons que les dirigeants se forment moins que les salariés. Nous ne pouvons que les inciter à se libérer du temps pour le faire, au vu des bénéfices pour leurs compétences… et pour leur moral! Par ailleurs, on peut observer que les « satisfacteurs » synonymes de croissance (déménagement et agrandissement des locaux) génèrent également un fort niveau de satisfaction. Enfin, la création d’une entreprise est une source importante de bien-être. Cela incite en effet l’individu à se projeter dans l’avenir, à faire preuve d’optimisme et d’endurance, à maîtriser davantage son destin. C’est pour toutes ces raisons que le Groupement d’Intérêt Associatif du Rebond des Entrepreneurs aide les dirigeants qui connaissent ou ont connu un dépôt de bilan – le « stresseur » le plus aigüe – à se reconstruire en créant une nouvelle entreprise. Rebondir après un échec est le meilleur moyen de retrouver rapidement une confiance en soi et une finalité porteuse de sens.

A l’opposé, la catégorie réponse positive de l’administration est le « satisfacteur » le moins intense. Ce résultat laisse à penser que les chefs d’entreprise n’ont pas d’attentes fortes vis-à-vis des pouvoirs publics. De manière plus surprenante, le triptyque des « satisfacteurs » nommé « les bons chiffres » (rentrée de liquidités, hausse de l’activité commerciale, bonne prospection) sont des « satisfacteurs » relativement moins intenses. Ce qui sous-entend que les récompenses les plus appréciées des dirigeants ne sont pas forcément d’ordre pécuniaire.

Notre cartographie des « satisfacteurs » des dirigeants montre qu’une grande partie des « satisfacteurs » les plus intenses sont d’ordre relationnel (bon climat social, satisfaction de la clientèle, bonne implication du personnel, bonne entente entre associés). Ils se classent devant les « satisfacteurs » d’ordre financier (bon résultat annuel, rentrée de liquidités, hausse de l’activité commerciale). Les récompenses d’une carrière entrepreneuriale qui sont les plus appréciées sont immatérielles, l’argent apparaissant comme une condition nécessaire, mais pas suffisante.

En conclusion, l’activité professionnelle du chef d’entreprise peut s’envisager comme une succession de hauts et de bas émotionnels. Nous avons étalonné ces épisodes sur un « satisfactomètre » et un « stressomètre« . Ceux-ci alimentent respectivement le compteur du bien-être et celui de la pathologie, qui déterminent l’état de santé d’une personne. Si les débouchés finaux varient selon l’individu et la conjoncture, une tendance semble se dessiner concernant le niveau de satisfaction des chefs d’entreprise : les études internationales que nous avons recensées (2) indiquent qu’il est systématiquement supérieur à celui des travailleurs salariés, y compris à revenus et horaires comparables.

Mesurez votre satisfaction professionnelle

Chaque mois, pointez les évènements que vous avez vécus, faites la somme de leur intensité et vous obtiendrez un score global de satisfaction professionnelle. Vous pouvez ainsi apprécier, mois après mois, l’évolution qualitative – types de « satisfacteurs » vécus – et quantitative – intensité cumulée – de votre satisfaction. Ce « satisfactomètre » est prédicteur de bien-être (2). Afin de préserver votre équilibre psychologique, efforcez-vous de vivre le maximum de « satisfacteurs » et faites les durer. La persistance d’une expérience positive serait en effet plus bénéfique à terme que son intensité.

Par Thomas Lechat,Olivier Torrès

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