Les responsables RSE ont bien souvent consacré la majeure partie de leur temps à rédiger des rapports et à faire des discours pour présenter leur bilan. Ces actions, destinées à communiquer sur la responsabilité sociale de leur entreprise, dans le but d’en protéger la réputation, pourraient faire dire aux cyniques qu’il ne s’agit que de marketing. Sans remettre en question l’utilité de la fonction RSE, davantage dédiée à un public externe, une nouvelle génération de dirigeants du développement durable regarde de plus en plus ce qui se passe à l’intérieur de leur organisation. Nous appelons ces leaders des « introvateurs sociaux » parce qu’ils utilisent les stratégies des innovateurs sociaux, mais les appliquent aux activités de l’entreprise pour en améliorer la performance sociale.
Alors que l’innovation sociale traditionnelle tente de trouver des solutions par le biais de collaborations intersectorielles en encourageant les organisations à but non lucratif à coopérer avec les entreprises et les gouvernements, les introvateurs sociaux utilisent ces approches collaboratives avec leurs collègues pour favoriser l’amélioration de la performance en matière de développement durable dans leur entreprise. L’avantage de cette approche est qu’elle propage la RSE à des niveaux organisationnels inférieurs, l’intégrant ainsi à la culture de l’entreprise et aux processus organisationnels.
Le but des introvateurs sociaux est alors aussi simple que révolutionnaire : modifier les process à différents niveaux dans l’entreprise, en prenant en compte l’impact social de chaque activité. Pour déployer ce changement, les introvateurs sociaux doivent identifier des alliés aux vues similaires occupant des postes clés puis les persuader d’intégrer « l’intelligence sociale » dans leurs décisions. Nous pouvons définir cette intelligence comme un mode de compréhension résultant de l’accumulation des connaissances des membres d’un groupe. C’est un atout qui va permettre de mieux développer une politique RSE logique, transparente, légitime et adaptée, qui impacte positivement l’intérieur et l’extérieur de l’entreprise.
L’intelligence sociale, un avantage concurrentiel
La banque israélienne Hapoalim, par exemple, a toujours suivi une pratique courante du secteur en matière de crédit immobilier : encourager les clients à maximiser leur crédit. Cependant, les salariés ont compris que les gros emprunts mettaient les clients en danger, si leurs situations personnelles ou les conditions de marché changeaient. Hapoalim a donc commencé à fournir aux emprunteurs potentiels des conseils en matière d’éducation financière, leur donnant ainsi le savoir-faire et les outils nécessaires pour gérer et comprendre leurs responsabilités en la matière. Au bout du compte, une clientèle financièrement avertie et fidèle permit à Hapoalim d’augmenter son chiffre d’affaires, tout en minimisant les risques.
Cette mise en œuvre de l’intelligence sociale est le but des introvateurs sociaux et ce n’est pas forcément un défi difficile. La plupart d’entre nous lisons le journal ou consultons Facebook pour nous tenir au courant de l’actualité. Nous discutons également avec nos voisins, nos collègues et les commerçants de notre quartier, partageant nos expériences, nos préoccupations et nos espoirs pour l’avenir. Ainsi, nous obtenons et partageons l’intelligence sociale, que nous utilisons pour prendre des décisions, comme choisir le meilleur quartier où habiter, quelle voiture conduire, quelle école fréquenter et pour qui voter. Malheureusement, la plupart des dirigeants d’entreprise privilégient « l’intelligence commerciale » quand il s’agit de prendre des décisions, délaissant leur intelligence sociale.
Pour créer de la valeur, l’intelligence sociale doit être mobilisée à tous les niveaux. Les introvateurs sociaux le font en cultivant un réseau d’alliés internes motivés et susceptibles d’intégrer cet outil dans leurs activités de planification et de prise de décision. La matrice comportementale de l’introvateur social a pour objectif de mieux identifier quels sont les collaborateurs avec qui s’allier :
La matrice ci-dessus utilise deux mesures pour classer les collaborateurs. L’axe horizontal quantifie l’action « sociale » : c’est-à-dire dans quelle mesure une personne intègre déjà l’intelligence sociale dans son processus décisionnel. L’axe vertical quantifie la conscience sociale : le degré de connaissance d’un employé en matière de RSE en général, mais aussi dans quelle mesure son comportement est en phase avec la stratégie et les objectifs globaux de l’entreprise en matière de RSE.
A partir de là, quatre types de comportement social se dessinent. La partie inférieure gauche est peuplée de « sceptiques » : des gestionnaires qui ne croient pas en la valeur de la RSE et qui ne prennent aucune mesure pour la soutenir. En haut à gauche, se trouvent les « fainéants » : ceux qui croient en la valeur de la RSE, soutiennent la stratégie et les objectifs de l’entreprise, mais pour diverses raisons, ne prennent aucune mesure en ce sens. En bas à droite se trouvent les « dormeurs » : des gestionnaires qui prennent réellement en compte l’intelligence sociale, mais qui n’ont pas encore fait le lien entre leurs efforts et la stratégie de l’entreprise. Et enfin, les « stars » : les gestionnaires qui comprennent la valeur de l’intelligence sociale, reconnaissent son intégration à la stratégie générale de RSE et l’incorporent activement dans leurs activités.
L’identification et la classification des salariés est un enjeu important qui nécessite la mise en réseau de l’organisation. Par exemple, Stanley Litow, vice-président Corporate citizenship & corporate affairs chez IBM, est connu pour avoir frappé aux portes des bureaux des salariés afin de comprendre leurs motivations à s’investir dans les initiatives stratégiques du groupe en matière de RSE. Des rencontres comme celles-ci peuvent fournir les informations nécessaires pour identifier les employés. Les stars sont souvent les plus faciles à reconnaître car ils sont mus par leurs valeurs personnelles et attireront activement l’attention sur leurs préoccupations lors de réunions et de discussions de planification.
Il faut toutefois faire attention, car il existe également des sceptiques passifs. Au mieux, ils refusent discrètement de soutenir les innovations sociales, mais ils peuvent aussi aller jusqu’à les saboter. Les fainéants sont plus difficiles à identifier mais ils peuvent souvent être motivés lorsqu’on leur offre la possibilité de rejoindre des initiatives de RSE. Les dormeurs ont généralement besoin d’une sensibilisation active, ce qui peut être fait par le biais de communication interne ou, comme Stanley Litow d’IBM, en faisant du porte-à-porte. Les introvateurs sociaux essayent en tout cas d’intégrer la responsabilité sociale dans le tissu organisationnel, en intégrant l’intelligence sociale dans leur quotidien. Leur succès contribue à faire en sorte que les entreprises soient socialement responsables, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.
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