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Et si l’entreprise contribuait à la régénération des écosystèmes et de la société ?

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Que signifie la régénération ? Et comment l’entreprise peut-elle s’en saisir ? En s’inspirant de ce que la nature fait depuis des millions d’années.

L’entreprise doit repenser de façon urgente sa doctrine de responsabilité et les rôles qui sont les siens dans la société. Car réduire ses impacts négatifs n’est plus à la hauteur des enjeux. Il faut désormais engager un travail de régénération des écosystèmes et des communautés humaines. Pourquoi ? Que signifie la régénération ? Et comment l’entreprise peut-elle s’en saisir ? Explications.

Pourquoi la régénération écologique et sociale est désormais une absolue nécessité

Comprendre le contexte de la régénération est clé pour en saisir le sens, l’urgence et l’essence. Ce contexte, c’est celui du dépassement des limites planétaires garantissant les équilibres du système Terre, couplé à notre incapacité collective, malgré ce dépassement, à prendre en charge les besoins de base dont chaque humain ne devrait pas manquer pour vivre une vie digne.

Tout au long de son histoire, la Terre a connu de grandes variations de son climat, avec des températures moyennes fluctuant significativement à la hausse et à la baisse au fil des millénaires. Il y a 11 700 ans pourtant, un miracle s’est produit. Le système Terre s’est stabilisé autour de conditions d’équilibre climatique particulièrement propices à la civilisation humaine telle que nous la connaissons, marquant l’entrée de notre planète dans l’Holocène. Les scientifiques se sont dès lors attachés à comprendre ces conditions d’équilibre, car c’est un consensus scientifique que de considérer l’Holocène comme la seule période connue du système Terre capable de supporter le monde moderne que nous connaissons.

Ces recherches ont permis d’identifier 9 grands processus régulateurs de l’équilibre du système Terre. Ils se traduisent par 9 limites planétaires à ne pas transgresser, au risque sinon de compromettre cette situation d’équilibre et d’induire des modifications brutales et difficilement prévisibles de notre environnement. Elles couvrent les cycles biogéochimiques globaux de l’azote, du phosphore, du carbone et de l’eau ; les principaux systèmes de circulation physique de la planète (le climat, la stratosphère et les océans) ; les caractéristiques biophysiques du système Terre contribuant à sa résilience et à ses capacités d’autorégulation (la biodiversité marine et terrestre ainsi que les sols) ; et deux caractéristiques critiques associées aux changements d’origine humaine (la charge d’aérosols et les pollutions chimiques). Ces neuf limites planétaires disposent de variable(s) de contrôle et de seuil(s) à ne pas dépasser, au risque sinon de menacer l’intégrité des processus. Et parmi elles, 6 ont déjà dépassé leur seuil d’alerte. Il faut bien comprendre que les processus qui se cachent derrière ces limites interagissent entre eux, initialement pour maintenir le système Terre dans un état d’équilibre dynamique. Mais à force de déstabiliser ces processus, les interactions risquent non plus de maintenir l’équilibre, mais d’initier un effet d’emballement, un processus qui se « dérègle » trop fortement venant induire le dérèglement d’un autre processus, renforçant le dérèglement du premier, avec un effet d’entraînement.

L’exemple de la fonte des glaces est évocateur de ce risque majeur d’emballement. La glace joue un rôle de miroir renvoyant les rayons du soleil (et donc l’énergie et les calories) dans les hautes couches de l’atmosphère, mais sa fonte fait que ces rayons sont emmagasinés par les sols, retenant de fait les calories sur Terre et contribuant à augmenter les températures, ce qui accélère la fonte des glaces et amplifie le phénomène.

Trois conclusions lourdes de répercussion pour l’entreprise

Il y a au moins trois conclusions clés à tirer de ce constat, ayant de lourdes répercussions pour l’entreprise. La première, c’est que nous ne pouvons plus nous contenter de réduire les impacts négatifs de nos activités humaines sur les écosystèmes. Nous devons changer d’ambition et viser désormais des impacts positifs nets sur les écosystèmes naturels, afin de régénérer les processus clés de l’équilibre du système Terre pour ramener les limites planétaires sous leur seuil d’alerte. La deuxième, c’est que nous devons penser systémique, et dépasser la seule question du climat dans la doctrine de responsabilité environnementale. Car ne penser qu’au climat amène presque toujours à déplacer le problème, les solutions mises en œuvre pour réduire les émissions de gaz à effet de serre ayant, par exemple, trop souvent des impacts indirects négatifs sur la biodiversité, l’usage des sols ou le cycle de l’eau. Or dégrader la biodiversité et changer l’affectation des sols, c’est in fine réduire la capacité des écosystèmes à séquestrer du carbone. Le serpent se mord la queue.

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Troisième conclusion : nous devons re-hiérarchiser nos priorités autour de la vision forte de la sustainability, telle qu’illustrée par le schéma ci-dessous. Pourquoi ? Parce qu’il n’y aura pas de société saine et juste dans un monde écologiquement effondré. De même qu’il n’y aura pas d’économie prospère avec un corps social sous pression. La question écologique devient ainsi première, à intégrer au cœur des enjeux stratégiques, des modèles économiques des entreprises et des stratégies de développement territorial. Il est urgent de régénérer les conditions mêmes permettant aux sociétés et aux économies de fonctionner et de comprendre que l’entreprise dépend de la bonne santé des systèmes écologiques et sociaux dans lesquelles elle est imbriquée.

De quoi parle-t-on quand on parle de régénération ?

Cassez un vase, il ne pourra jamais se réparer par lui-même de manière spontanée. Au mieux, il pourra être réparé par la main de l’Homme, mais il portera les stigmates de sa chute. Coupez-vous le doigt de manière superficielle en cuisinant, il se met automatiquement en œuvre un processus de régénération de vos cellules, de sorte qu’après quelques jours ou quelques semaines, toute trace de la coupure aura disparu. Vos cellules se sont régénérées. La régénération exprime ainsi les capacités d’auto-renouvellement et de création continue du vivant, soit la capacité à créer de la matière et de l’échange d’information sans aucun impact négatif, mais a contrario en générant de nombreux co-bénéfices.

Lorsqu’un arbre croît, il crée sa matière organique et échange de multiples flux d’information avec ses congénères et de multiples autres espèces tout en captant du carbone, en produisant de l’oxygène et en filtrant l’air, en offrant un refuge à la biodiversité…

Comparez cela avec la création d’une tour d’immeuble. Elle induit de nombreux impacts négatifs : émission de carbone, artificialisation des sols, déchets et pollution… Seul le vivant, et en particulier le vivant végétal, est capable de créer sans détruire.

La régénération est donc une propriété exclusive et singulière des systèmes vivants, qui ne s’applique pas à l’inerte. On ne peut pas régénérer un pont, une technologie ou une œuvre d’art, qu’on peut au mieux restaurer. On peut, en revanche, régénérer le vivant et l’ensemble des processus que le vivant sous-tend : la biodiversité (et donc les écosystèmes) et l’ensemble des services écosystémiques, l’atmosphère, les sols et l’eau. On peut aussi régénérer, sur un plan humain, les conditions permettant aux hommes et femmes d’exprimer leur potentiel, en les formant, en développant leurs savoirs, connaissances et compétences, leur autonomie, leurs capacités d’initiative, leur confiance et leur estime d’eux, en favorisant leur sécurité, leur besoin de cohésion et d’inclusion, en créant des conditions de participation, mais aussi de juste rétribution, afin de permettre l’accès aux besoins de base.

Pour que cette capacité intrinsèque du vivant puisse s’exprimer, pour que le vivant puisse exprimer son potentiel latent, il faut que les conditions soient rencontrées. Prenez un écosystème (une forêt, une mare, …) qui délivre un ensemble de fonctions écologiques et de services écosystémiques, comme la fourniture de matériaux ou de molécules d’intérêt (services d’approvisionnement), la séquestration du carbone, la filtration et l’épuration des eaux (services de régulation) ou les bienfaits ressentis à se promener en nature (services culturels et cultuels). Si cet écosystème est dégradé, voire détruit, ses fonctions et services sont affaiblis ou disparaissent. Il en va ainsi d’une forêt coupée pour laisser place à un centre commercial.

Régénérer cet écosystème, c’est recréer les conditions lui permettant d’exprimer son potentiel latent. Ainsi, si des parcelles sont désartificialisées, si un coup de pouce est donné au sol en y ramenant de la matière organique, si l’aménagement ramène de l’eau dans les sols et si des espèces végétales endémiques sont plantées dans la parcelle en cohérence avec les corridors biologiques et les écosystèmes environnants, la dynamique propre du vivant va se remettre en branle. La végétation va pousser, attirer de la biodiversité, s’auto-renouveler progressivement et réactiver ses processus écologiques endommagés, selon une dynamique et une direction qui lui est propre. Un écosystème est en train de se régénérer.

La régénération vise ainsi à créer, ou recréer, les conditions permettant aux systèmes vivants non-humains – on parlera de régénération écologique – ou humains – on parlera de régénération sociale – d’exprimer leur potentiel latent.

Comment l’entreprise peut-elle se saisir de la régénération écologique et sociale ?

Une entreprise voulant contribuer à la régénération écologique et sociale va ainsi chercher à créer les conditions permettant au vivant d’exprimer son potentiel latent. Parlant d’humains, les choses s’envisagent aisément. La capacité des parties prenantes internes et externes à exprimer leur potentiel dépend tout entièrement des modes d’organisation de l’entreprise, de ses processus de fonctionnement, de sa culture, de sa gouvernance opérationnelle et de ses choix en matière de partage de la valeur monétaire créée. La régénération sociale et humaine s’applique donc naturellement à tout type d’entreprises.

En matière de régénération écologique, les choses se corsent. Parce que la régénération est une propriété intrinsèque du vivant, il va falloir la reconnecter aux écosystèmes naturels et mettre en œuvre des pratiques régénératives soutenant leurs dynamiques propres. Ce qui est facilement envisageable pour une exploitation agricole ou pour un gestionnaire forestier. Mais ce qui est bien moins évident pour une entreprise industrielle ou de service. Pour elles, il faudra reconnecter l’entreprise au vivant et adopter un ensemble de principes guidant l’action.

La reconnexion via les infrastructures ou les processus de production, via la chaîne de valeur et le sourcing ou via la mise en œuvre de projets de territoire au sein d’écosystèmes coopératifs d’acteurs, en constitue quelques modalités. Dans un prochain article, nous développerons plus en avant ces modalités, exemples à l’appui. Nous discuterons des capacités de l’entreprise à créer des impacts positifs nets sur les écosystèmes et la société, en montrant que cela exige un double mouvement de réduction des impacts aux seuils incompressibles et de génération d’impacts positifs.

 

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