EXPLICATION. La réalisation de cet objectif de développement durable (ODD) à l’horizon de 2030 est rendue difficile par plusieurs facteurs. Voilà pourquoi.
n 2015, les Nations unies ont adopté les objectifs de développement durable (ODD) comme plan de paix et de prospérité dans le monde. Au cœur de ce plan, ont été définis 17 ODD composés de 169 cibles portant sur la santé, l’éducation, l’inégalité, la croissance économique, l’eau et le climat. Les États membres ont convenu de les atteindre à l’horizon 2030. L’eau apparaît directement, ou indirectement, au centre de tous les objectifs de développement durable, assurant d’ailleurs une connexion entre eux. Voici quelques exemples d’objectifs avec lesquels l’eau a un lien fort : ODD 1 (pas de pauvreté au travers de l’accès aux services de base), ODD 3 (accès à la santé en luttant contre les maladies hydriques, par exemple), ODD 4 (éducation de qualité grâce à la construction d’écoles dotées d’eau potable et de toilettes adaptées aux genres), ODD 11 (villes et communautés durables pour un accès à l’eau potable et à l’assainissement dans les cités), ODD 13 (lutte contre le changement climatique pour la maîtrise des inondations et de la sécheresse) et l’ODD 15 (protection de la faune et de la flore terrestres, notamment celles des zones humides).
L’ODD 6 est au cœur et au carrefour du plan 2030
Cependant, au-delà du mi-parcours du délai fixé, soyons réalistes : l’Afrique a peu de chance d’atteindre l’ODD 6**. Les chiffres sont clairs et font écho dans toutes les presses et sommets mondiaux. En moyenne, plus d’un tiers de la population africaine n’a pas accès à une eau potable, avec de fortes disparités au sein du continent (les pays d’Afrique du Nord ayant les taux les plus élevés, tandis que l’Érythrée et la Somalie présentent les plus faibles taux d’accès à l’eau potable, respectivement 35 % et 20 %).
En outre, plus de 750 millions d’Africains n’ont pas accès à un assainissement amélioré. 80 % des maladies sont d’origine hydrique (choléra, diarrhées, dysenterie, typhoïde, malaria, etc.), dont certaines sont en pleine recrudescence, à l’instar du choléra qui touche près de 15 pays et qui a été déclaré « urgence de santé publique » au Malawi en décembre 2022. Au Cameroun, plus de 17 000 cas et 400 décès ont été répertoriés depuis les épidémies de 2021. Ces défis liés à l’eau et à l’assainissement risquent d’être encore aggravés par trois facteurs clés : la crise liée au changement climatique, le phénomène d’urbanisation croissante (qui va passer de 587 millions d’urbains en 2020 à 1,5 milliard en 2050) et l’explosion démographique que connaît le continent qui, selon les projections des Nations unies, passerait de 800 millions d’habitants en 2000 à 2,7 milliards en 2050.
climatique : un cocktail dangereux
Le changement climatique entraîne de longues périodes de sécheresse et d’inondations, qui affectent directement la disponibilité des eaux. Le stress hydrique s’accroît déjà avec le réchauffement climatique, notamment en Afrique du Nord et de l’Est, tandis qu’en Afrique équatoriale, on observe des catastrophes liées au trop-plein d’eau. Ces inondations contribuent à augmenter la vulnérabilité des ressources en eau dans une Afrique caractérisée par une gestion des déchets quasi inexistante. Certains chercheurs font, par ailleurs, le lien entre les maladies hydriques et le trop-plein des nappes ou le débordement des fleuves. En zone côtière, la baisse du niveau des nappes et l’effet combiné de l’élévation du niveau de la mer devraient conduire au dangereux phénomène d’intrusion d’eau saline dans les aquifères. C’est déjà le cas dans les villes de Cotonou (Bénin), Lagos (Nigeria) et Accra (Ghana). Il est à noter que plus les sécheresses sont sévères, plus le temps nécessaire à la récupération des eaux souterraines augmente. L’appauvrissement de la ressource est en marche.
Dans ce contexte de contraintes climatiques, l’Afrique connaît des taux de croissance démographique urbaine sans précédent – aucune partie de notre planète ne s’urbanise plus rapidement. Le continent compte 528 villes qui croissent actuellement à un taux de 3,9 % par an. Certaines d’entre elles (comme Ouagadougou au Burkina Faso et Abuja au Nigeria) connaissent une croissance encore plus rapide (à plus de 4,5 % par an), et Lagos et Kinshasa ont déjà atteint le statut de mégapole (avec une population dépassant les 10 millions). Les projections montrent qu’Abidjan en Côte d’Ivoire et Douala au Cameroun rejoindront en 2050 le rang de mégapole. Cette urbanisation anarchique génère des besoins en eau énorme et une dégradation accentuée de la qualité de la ressource. Et pourtant, les réseaux de surveillance du potentiel quantitatif et qualitatif de la ressource restent encore trop rares. Il est à déplorer le manque d’investissement ou de financement dans le secteur de l’eau qui représente généralement moins de 5 % du PIB des pays, ce qui révèle le faible rang de priorités que les autorités accordent aux politiques publiques pourtant indispensables.
Défaut d’harmonisation des agendas pour une vision africaine de l’eau
L’Afrique, au centre de plusieurs enjeux géopolitiques et stratégiques, reçoit l’attention de la communauté internationale au travers d’une diversité de programmes sur l’eau. Toutefois, on peut relever que la multiplicité des programmes et des agendas reste encore très peu harmonisée. Au niveau de l’Union africaine, le Conseil des ministres chargé de l’eau (AMCOW), qui devrait jouer ce rôle de centralisateur et de facilitateur des initiatives africaines sur l’eau, est encore peu sollicité et peu visible. Le suivi des ODD en Afrique reste chapeauté par les Nations unies, au travers notamment de l’Unesco. La vision africaine de l’eau 2025 aurait plus de succès s’il y avait plus de coopération entre l’AMCOW, les agences de bassin (ABN, CBLT, etc.) et les agences onusiennes. La place du secteur de l’eau dans l’agenda 2063 de l’Union africaine est aussi restée floue, faisant défaut à une véritable politique africaine de l’eau. C’est le manque de coordination qui apparaît le plus flagrant, signe évident d’une faible volonté politique.
L’après 2030…
La vision africaine de l’eau arrive à son terme dans deux ans. Nul doute que son bilan restera mitigé. Les Nations unies font également déjà le constat de l’échec de l’ODD 6 en Afrique. Il est peu probable de rattraper le retard accumulé en moins de sept ans.
Pour l’après 2030, il faut vivement recommander que l’AMCOW joue un plus grand rôle en tant qu’organisme africain en charge de la gouvernance de l’eau au niveau du continent. Un nouvel agenda de priorités africaines sur l’eau, articulé autour de l’accès à l’eau potable, doit être établi. Les Africains ont soif d’eau. Ce besoin doit être comblé au travers d’une décentralisation des services et d’une utilisation conjointe des eaux de surface, des eaux souterraines et des eaux pluviales si possible. Et doit associer toutes les nouvelles technologies et innovations autour du recyclage, du dessalement, et bien d’autres encore. Sans oublier, l’éducation sur le rôle stratégique de l’eau dans le développement économique et ses usages – des programmes de sensibilisation et de formation des jeunes doivent être développés sur le continent pour créer de véritables ambassadeurs de la ressource en eau douce, et pour un partage d’expériences d’une région à une autre.
*Bertil Nlend est hydrogéologue, enseignant-chercheur à l’université de Douala (Cameroun), vice-président du comité Afrique de l’IAHS (International Association for Hydrological Sciences) et Patrice Fonlladosa est président du Think Tank (Re)sources, ancien président Afrique du Medef international et administrateur de l’AFD (Agence française de développement).
**Objectif de développement durable 6 des Nations unies : garantir l’accès de tous à des services d’alimentation en eau et d’assainissement, gérés de façon durable.
Commentaires