Avec six limites planétaires dépassées, la Terre se trouve désormais bel et bien en dehors de ce que les scientifiques définissent comme un « espace opérationnel sûr » pour l’humanité. Un constat d’autant plus alarmant qu’aucun signe de retour en arrière n’est enregistré.
Le concept a été introduit en 2009. Celui de limites planétaires. Des limites dans lesquelles l’humanité peut évoluer en toute sécurité. Des limites qui traduisent donc aussi le risque que des perturbations que nous pourrions causer à notre environnement déstabilisent le système Terre à l’échelle planétaire. Elles ont été mises à jour en 2015. Et une nouvelle révision vient tout juste d’être publiée dans Science Advances.
LA DERNIÈRE MISE À JOUR DES CONNAISSANCES SCIENTIFIQUES SUR LES LIMITES PLANÉTAIRES MONTRE QUE SIX D’ENTRE ELLES SONT DÉSORMAIS DÉPASSÉES. © AZOTE FOR STOCKHOLM RESILIENCE CENTRE, BASÉ SUR L’ANALYSE DE RICHARDSON ET AL 2023
Limites planétaires : les chiffres sont sans appel
Il y a un peu plus d’un an déjà (voir article plus bas) une sixième limite planétaire avait été annoncée comme dépassée. Elle ne l’était alors toutefois que partiellement. Aujourd’hui, une trentaine de chercheurs issus d’une dizaine de pays différents l’affirment, mesures à l’appui, six des neuf limites planétaires sont bel et bien dépassées. Et la situation ne s’améliore pour aucune des limites planétaires. À l’exception notable de celle concernant la dégradation de la couche d’ozone.
« Le dépassement de six limites planétaires sur neuf n’est pas synonyme de catastrophe imminente, précisent les chercheurs. Mais c’est un peu comme une tension élevée qui ne constitue pas une garantie de crise cardiaque à venir. Elle en augmente toutefois le risque ». Le traitement ? Réduire la pression que nous exerçons sur ces limites planétaires.
Aujourd’hui, la plus connue des neuf limites planétaires est le changement climatique. Elle a été clairement définie par la science. Cependant, préviennent les chercheurs, elle ne doit malheureusement pas être la seule des limites planétaires à retenir notre attention. Si nous voulons garantir prospérité et équité pour tous sur la Terre, nous allons devoir respecter à nouveau toutes les limites planétaires.
LORS DE LA PRÉCÉDENTE MISE À JOUR, EN 2015, LES LIMITES PLANÉTAIRES SE PRÉSENTAIENT AINSI. © STEFFEN ET AL 2015, STOCKHOLM RESILIENCE CENTRE
Des limites planétaires en interaction
Il pourrait même être encore plus important de veiller à ce qui se passe aux limites de ces limites. Comprenez, à la manière dont les limites planétaires interagissent entre elles. Les chercheurs prennent pour exemple la limite « changement climatique » et la limite « intégrité de la biosphère ». Selon les scientifiques, ces deux limites constituent deux piliers de la stabilité de notre Planète. Et ils montrent que l’atténuation du réchauffement climatique et la sauvegarde d’une biosphère doivent aller de pair.
Les chercheurs notent pourtant que le monde utilise de plus en plus de biomasse comme alternative aux ressources fossiles que sont le charbon, le pétrole et le gaz. Ce faisant, l’humanité change l’affectation des sols. Et s’approprie environ 30 % d’une énergie qui resterait, autrement, disponible pour la nature. Avec pour conséquence très probable, une perte de la biodiversité.
Préserver nos conditions de vie
« Un monde qui se développe dans les limites définies par la science est le seul moyen de faire face à notre situation actuelle, caractérisée par des risques croissants et potentiellement catastrophiques, à l’échelle planétaire », préviennent les scientifiques. Avec leurs travaux, ils offrent à l’humanité, une sorte de « guide d’action ». Reste à espérer que l’attention de la communauté internationale sera enfin attirée sur la nécessité de limiter nos impacts sur notre Planète afin de préserver et de protéger les conditions qui permettent aux humains de prospérer.
Une 6e limite planétaire vient d’être franchie, il n’en reste plus que 3 !
Certaines régions de notre pays vivent actuellement une période de sécheresse inquiétante. La pluie semble ne plus vouloir tomber. Et l’annonce faite par des chercheurs il y a quelques jours le confirme. Une nouvelle limite planétaire vient d’être franchie. Celle
DES CHERCHEURS DU STOCKHOLM RESILIENCE CENTER (SRC, SUÈDE) MONTRENT QU’EN CONSIDÉRANT CE QU’ILS APPELLENT « L’EAU VERTE », LA LIMITE PLANÉTAIRE RATTACHÉE AU CYCLE DE L’EAU DOUCE A ÉTÉ FRANCHIE. © SANDSUN, ADOBE STOCK
Au tout début des années 1970, un rapport publié par des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT, États-Unis) faisait, pour la première fois, le point sur l’impact de l’activité humaine sur notre Terre. Le depuis tristement célèbre rapport Meadows prévenait : poursuivre sur la voie d’une consommation toujours plus importante des ressources de notre Planète nous mènerait dans le mur. Un mur dressé quelque part sur le chemin de notre XXIe siècle. Un mur qui nous empêcherait dès lors d’accéder librement aux ressources naturelles. Avec pour résultat, une dégradation dramatique de nos conditions de vie. Qui pourrait même mener à la disparition de notre civilisation.
Plus que de mur, le rapport Meadows introduisait ainsi, il y a 50 ans déjà, le concept de limites planétaires. Pourtant, depuis, notre consommation de ressources n’a cessé d’augmenter. Si bien qu’avant 2022, quatre de ces limites planétaires — plus clairement définies par les scientifiques à partir de 2009 et plus ou moins liées les unes aux autres — avaient déjà été franchies : celle relative au changement des usages des sols, celle touchant à l’intégrité de la biodiversité, celle de la perturbation des cycles du phosphore et de l’azote et celle du changement climatique. En janvier de cette année, les chercheurs du Stockholm Resilience Center (SRC, Suède) annonçaient qu’une cinquième limite venait d’être dépassée : celle relative à la pollution chimique.
Le saviez-vous ?
L’expression « frontière planétaire » pourrait être préférée à celle de « limite planétaire ». La première, en effet, sous-entend qu’il existe une valeur au-delà de laquelle le risque de perturbation d’un processus de régulation est grand. La seconde peut laisser penser qu’il existe un point de basculement. Or il semble extrêmement difficile de définir de tels points. Et même de s’assurer de leur existence.
Aujourd’hui, la même équipe est de retour pour nous annoncer une mauvaise nouvelle de plus. Une sixième limite planétaire — sur neuf au total — vient d’être franchie. Celle qui touche au cycle de l’eau douce. Et ce alors même qu’une partie de la France connait une période de sécheresse inquiétante et qu’un quart de la population mondiale n’a pas accès à une eau potable.
« L’eau verte » en zone rouge
Pourquoi ce « basculement » soudain en zone rouge ? Parce que les chercheurs ont, pour la première fois, travaillé sur celle qu’ils appellent « l’eau verte ». Le concept a été développé par des chercheurs de l’Institut international de l’eau de Stockholm (Siwi, Suède). Alors que « l’eau bleue » correspond à celle issue des précipitations et que les activités humaines prélèvent dans les réservoirs naturels, le concept « d’eau verte », lui, l’enrichit de l’évaporation et de l’humidité des sols. En d’autres mots, de l’eau disponible pour les plantes.
“L’eau est le sang de la biosphère. Mais nos activités modifient profondément son cycle”
« L’eau est le sang de la biosphère. Mais nos activités modifient profondément son cycle. Cela affecte maintenant la santé de la Planète entière », explique Lan Wang-Erlandsson, auteur principal de l’étude du SRC, dans un communiqué du Siwi. Les travaux menés par les chercheurs montrent en effet que les perturbations du cycle de l’eau douce sont aujourd’hui telles qu’il existe un réel risque d’effondrement des écosystèmes.
La survie de la forêt amazonienne, par exemple, dépend fortement de l’humidité du sol. En plus de la déforestation, une baisse de cette humidité — due au réchauffement climatique — menace désormais directement des régions entières de cette précieuse étendue verte. De quoi craindre que l’Amazonie atteigne un point de non-retour… et se transforme en savane !
« Ces processus peuvent être très difficiles à arrêter une fois qu’ils ont commencé. Il est de la plus haute importance que nous renversions cette tendance », concluent les chercheurs. D’autant que le problème ne s’arrête pas à la forêt tropicale amazonienne. Il touche l’ensemble de la Planète. L’humidité des sols change désormais des forêts boréales aux tropiques en passant par les terres agricoles et les forêts tempérées.
PARMI LES LIMITES PLANÉTAIRES ÉTABLIES PAR LES CHERCHEURS IL Y A QUELQUES ANNÉES, CELLE RELATIVE À LA POLLUTION CHIMIQUE VIENT D’ÊTRE QUANTIFIÉE… ET ELLE EST DÉPASSÉE ! © PANARAMKA, ADOBE STOCK
Plastiques, pesticides, peintures, antibiotiques, médicaments. Il existerait aujourd’hui quelque chose comme 350.000 types différents de produits chimiques manufacturés sur le marché. Et selon des chercheurs du Stockholm Resilience Centre (Suède), leur production a été multipliée par 50 depuis le début des années 1950. Elle devrait même encore tripler d’ici 2050.
L’ennui, c’est que des volumes non négligeables de ces produits chimiques se retrouvent, chaque année, à polluer la nature. À un rythme que les chercheurs qualifient aujourd’hui d’incompatible avec l’idée de rester « dans un espace d’exploitation sûr pour l’humanité ». Nous aurions ainsi franchi ce que les chercheurs appellent, une limite planétaire.
Rappelons que la notion de limite planétaire a été définie en 2009. Les chercheurs en ont alors fixé neuf. Elles permettent de délimiter l’état remarquablement stable dans lequel la Terre s’est installée depuis l’aube de notre civilisation. Soit il y a environ 10.000 ans. Si nos activités se cantonnent encore en dessous de certaines d’entre elles, comme celle concernant l’utilisation de l’eau douce, quelques-unes ont déjà été franchies, comme celle relative au changement des usages des sols. La limite rattachée à la pollution chimique restait, quant à elle, encore à quantifier.
LES LIMITES PLANÉTAIRES TELLES QUE MISES À JOUR PAR LES CHERCHEURS DU STOCKHOLM RESILIENCE CENTRE (SUÈDE). © STOCKHOLM RESILIENCE CENTRE, AZOTE
La solution de l’économie circulaire
C’est désormais chose faite. Et les résultats des chercheurs ne sont pas rassurants. Il existe en effet de nombreuses manières dont les produits chimiques manufacturés en général et les plastiques en particulier peuvent avoir des effets négatifs sur notre environnement. Tout au long de la chaîne de production, de l’exploitation minière à la gestion des déchets. Certains de ces produits ont même été retrouvés jusqu’en Antarctique. Et ils peuvent être extrêmement persistants.
“un plafond de production et de rejet”
Les chercheurs notent par ailleurs que ces produits chimiques peuvent aussi affecter les autres limites planétaires. Lorsque l’on recourt à des combustibles fossiles pour les produire ou que les microplastiques viennent polluer les réserves d’eau douce, par exemple. Et même si les scientifiques estiment que la vitesse à laquelle ces produits apparaissent dépasse aujourd’hui de loin la capacité des gouvernements tant à évaluer les risques qu’à contrôler les problèmes potentiels, ils appellent à la mise en place « d’un plafond de production et de rejet de produits chimiques ».
Parmi les exemples les plus frappants, celui du plastique dont la masse totale sur notre planète est désormais le double de celle… de tous les mammifères vivants ! Et l’on sait que non seulement 80 % de ces plastiques restent dans l’environnement, mais qu’en plus, leur dégradation produit de nouvelles combinaisons qui pourraient représenter des risques environnementaux encore insoupçonnés.
Pour solution, les chercheurs évoquent celle de l’économie circulaire. L’idée, d’une part, de concevoir des produits pour leur recyclage. Afin qu’ils puissent être réutilisés et non gaspillés. L’idée, d’autre part, de mieux évaluer la sécurité et la durabilité de ces produits, tout au long de leur vie dans le système Terre.
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