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Les vaches menacent-elles notre avenir climatique ?

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Vu l’ampleur et l’accélération brutale des conséquences du réchauffement climatique que chacun peut constater, on va devoir rapidement « rentrer dans le dur », à la fois en matière de réduction des gaz à effet de serre et d’adaptation aux conséquences du changement.

Pour s’adapter malgré tout au changement climatique, quand aura-t-on par exemple le courage de décider d’arrêter de construire sur une bonne partie du littoral avant qu’il ne soit submergé par la montée de la mer (par exemple sur l’île de Noirmoutier ou en Camargue), de replanter des pins maritimes dans les Landes (il faut plus de 40 ans pour les récolter, et leurs chances de survivre aussi longtemps aux tempêtes et incendies sont très faibles), de reconvertir nombre de stations de ski qui ne seront presque jamais enneigées, d’augmenter massivement le rythme des travaux d’isolation des bâtiments, etc. ?

FORÊT DES LANDES, FRANCE. © LARROUSINEY, WIKIMEDIA COMMONS, CC 3.0

Pour diminuer fortement nos émissions de gaz à effet de serre, les décisions seront encore plus impopulaires, et donc difficiles à prendre, car beaucoup d’entre elles vont directement affecter l’emploi et les revenus de milliers, voire de millions de personnes, sans qu’on puisse facilement les réorienter rapidement vers les nouvelles activités précisément générées par la construction du « monde de demain » plus écologique. Par exemple :

  • Si on ferme les mines de charbon, que fait-on des mineurs ? Idem pour les forages pétroliers.
  • Si on diminue drastiquement le nombre de chalutiers et/ou qu’on interdit le chalutage de fond, que proposer aux pêcheurs ? (rappelons que les chalutiers émettent autant que l’ensemble du transport aérien, ou l’équivalent de 320 millions de voitures, voir l’article sur le réchauffement climatique et les poissons).
  • Si on interdit de vendre des voitures individuelles de plus de 1 500 kilos, et/ou carrément toutes les voitures thermiques, que vont devenir les ouvriers de l’automobile, les garagistes, les employés des stations-service ?
  • Si on fixe un quota maximum relativement limité de voyages par avion au cours d’une vie, qu’en sera-t-il des travailleurs de l’industrie aéronautique et du transport aérien ?

Regardons ici ce qui pourrait se passer dans nombre de pays avec l’élevage bovin, dont on commence à parler sérieusement dans un certain nombre de pays comme les Pays-Bas, l’Irlande ou la Nouvelle-Zélande… mais aussi à terme la France. Faudra-t-il sacrifier des centaines de millions de vaches pour sauver le climat ? Et dans ce cas, quid des éleveurs ?

Il y a 1,7 milliard de bovins sur Terre et ils émettent à eux seuls 9 à 10 % de l’ensemble des gaz à effet de serre d’origine humaine

L’humanité émet actuellement de l’ordre de 55 milliards de tonnes « d’équivalent CO2 » par an, en particulier 10 tonnes par Français. C’est beaucoup trop, il faut donc impérativement réduire ce chiffre mortifère. Or on s’aperçoit que l’élevage de ruminants est un émetteur majeur, puisqu’on estime qu’à lui seul il émet 5,2 milliards de tonnes, soit presque 10 % du total, un montant équivalent à celui des transports.

 

Les ruminants réchauffent la Planète beaucoup plus que les poulets et les cochons, parce qu’en sus des causes qu’ils partagent (production et transport d’aliments pour les animaux, gestion des déjectionsdéforestation, transformation, etc.), ils émettent énormément de méthane au cours du processus de rumination, un gaz 23 fois plus réchauffant que le gaz carbonique.

 

On peut donc considérer qu’une vache réchauffe à peu près autant la Planète qu’une voiture particulière, et que l’ensemble du troupeau mondial émet à peu près autant que le 1,4 milliard de véhicules (à essence ou diésel, à quatre roues ou plus), actuellement en circulation. Bien entendu, les « petits ruminants » (principalement moutons et chèvres) ont le même inconvénient, mais ils « pèsent » beaucoup moins au niveau mondial.

 

Certains éleveurs tentent de minimiser ce chiffre en avançant que les ruminants mangent pour une bonne part… de l’herbe qui, elle, a fixé beaucoup de gaz carbonique dans le sol. On peut leur répondre que, d’une part, cette fixation de gaz carbonique ne représente en gros qu’un quart des émissions des vaches qui broutent sur ces mêmes prairies, et que, d’autre part, même s’il n’y a pas de ruminants sur ces champs, ces derniers fixeraient quand même du gaz carbonique, car il y aurait évidemment de la végétation dessus, ne serait-ce « que » des arbres (sauf à transformer des zones bétonnées en nouvelles prairies, ce qui est quand même très rare au niveau mondial).

On peut imaginer diminuer sensiblement la charge de gaz à effet de serre par litre de lait ou kilo de viande

Si on part du principe qu’une vache émet de l’ordre de 65 kilos de gaz méthane par an, on peut déjà observer qu’il est assez raisonnable d’augmenter la productivité de cette activité. Une « bonne » vache laitière française actuelle produit de l’ordre de 10 000 litres de lait par an. Chacun de ces litres de lait est donc crédité d’environ 6,5 grammes de méthane, ce qui équivaut à 150 grammes de gaz carbonique. Il est probable que les vaches qui sont moins productives produisent également moins de méthane, mais on peut quand même affirmer que, pour produire 1 million de litres de lait, il est plus légitime d’élever 100 vaches à 10 000 litres de lait que 200 vaches à 5 000 litres. Ceci implique de diminuer le nombre de petites exploitations pour de plus grosses, mieux équipées et plus intensives, ce qui n’est pas très conforme à la demande sociale européenne !

 

La 2e idée consisterait à n’élever sur Terre que des vaches que l’on peut nourrir intégralement à l’herbe. Une telle mesure réduirait considérablement la taille des troupeaux, car ça fait longtemps que, pour augmenter leur taille, on a transformé ces animaux herbivores en « granivores », en les gavant de maïs et de soja. Ceci aggrave évidemment considérablement leur ponction sur la Planète et leur production de gaz à effet de serre, puisqu’il convient alors de rajouter au méthane éructé par les vaches tous les gaz à effet de serre émis directement ou indirectement dans la production et le transport de ce maïs et de ce soja. Songeons par exemple que les animaux d’élevage européens, dont les bovins, consomment du soja d’Amérique latine dont la production occupe là-bas 20 millions d’hectares, l’équivalent de la surface agricole française, en plus souvent gagnés en déforestant l’Amazonie. Notons en plus qu’avec l’augmentation des sécheresses printanière et estivale, on risque d’être obligé de diminuer le nombre de vaches par l’hectare, puisqu’on y produira moins d’herbe et de foin.

Et enfin la 3e idée, de loin la plus prometteuse à terme, consiste à comprendre pourquoi le système digestif des vaches produit une telle quantité de méthane et découvrir comment on pourrait réduire ces émissions. On sait maintenant que lorsqu’on ajoute 5 % d’algues brunes à la ration alimentaire des vaches, on arrive à diminuer d’au moins 1/3 cette production de gaz délétère. Depuis quelques années, plusieurs centres de recherche travaillent d’arrache-pied sur ce sujet crucial pour l’avenir de l’humanité, mais ils n’ont malheureusement pas encore abouti, ni en matière de génétique bovine ni de modification sensible de l’alimentation des vaches.

Et donc, malgré tout, on ne peut pas ne pas affronter ce problème : faut-il vraiment diminuer sensiblement le nombre de bovins élevés sur terre. De combien ? Faudra-t-il passer de 1,7 à 1,5 milliard, ou à seulement 1 milliard ? Quels sont les pays qui vont devoir s’y coller ? et surtout, comment s’y prendre en maintenant une cohésion sociale ?

Certains pays élèvent indubitablement trop de bovins

On compte actuellement une vache ou un buffle pour 5 humains sur terre. Mais la répartition n’est pas du tout homogène, puisqu’en Amérique, on en est déjà à une vache pour 2 humains.

EN 2023, LA POPULATION MONDIALE A DÉPASSÉ LES 8 MILLIARDS D’HUMAINS… ET CELLE DES BOVINS LE 1,7 MILLIARD ! (CHIFFRES FAO 2020 ET INED 2022). © BRUNO PARMENTIER, TOUS DROITS RÉSERVÉS  

Certains pays ont été beaucoup plus loin que d’autres dans la surpopulation bovine, qu’on la mesure par densité de bovins au kilomètre carré ou par nombre de bovins par habitant. Les plus gros producteurs mondiaux sont la Chine, l’Inde, les États-Unis, le Brésil et l’Europe.

En Europe, on observe que ce sont dans les mêmes régions qu’il y a à la fois la plus forte densité de vaches, de porcs et de poulets. Cela pose d’énormes problèmes d’approvisionnement, puisqu’on ne peut pas les nourrir avec les végétaux locaux et que, pour ce faire, on importe massivement du maïs et du soja.

 LES PRINCIPAUX PRODUCTEURS DE VIANDE BOVINE ET DE LAIT DANS LE MONDE. SOURCE : FAOSTAT

En France, par exemple, la région Bretagne, qui compte 3,3 millions d’habitants, élève également 750 000 vaches, 7,3 millions de cochons, 34 millions de poules pondeuses, 125 millions de poulets et 70 millions de dindes ! Elle est évidemment incapable de les nourrir tous avec ses propres végétaux et en importe massivement ; en particulier, 95 % de ses protéines végétales viennent d’Amérique latine. De plus, la production massive de déchets (fumiers de vaches, fientes de poulets, lisiers de porcs) y pose d’énormes problèmes de pollution des terres, nappes phréatiques et plages. Est-ce vraiment raisonnable de continuer sur cette lancée ? En matière de bovins, on peut d’ailleurs remarquer que 13 départements français en comptent plus que d’habitants !

À l’échelle mondiale, on peut observer que 11 pays élèvent plus de bovins qu’ils ne comptent d’habitants ! Parmi ceux-là, deux pays « développés », la Nouvelle-Zélande et l’Irlande, où il est beaucoup plus légitime de se poser la question de la décroissance qu’au Tchad ou en Bolivie…

EN EUROPE, ON PEUT ÉGALEMENT SIGNALER LE CAS DE CINQ AUTRES PAYS QUI PRATIQUENT UN ÉLEVAGE INTENSIF DE BOVINS : LA FRANCE, L’ALLEMAGNE, LES PAYS-BAS, LA BELGIQUE ET LE DANEMARK. © BRUNO PARMENTIER

CE SONT ÉVIDEMMENT CES PAYS QUI DEVRAIENT EN PRIORITÉ FAIRE DES EFFORTS… NOTONS AU PASSAGE QUE C’EST LA FRANCE QUI POSSÈDE LE PLUS GROS TROUPEAU DU CONTINENT. © BRUNO PARMENTIER

De nouveaux efforts beaucoup plus conséquents sont rendus maintenant incontournables après l’accord international signé en novembre 2022 à la COP 26, dans lequel les États-Unis, l’Union européenne et un total de 103 pays représentant plus des 2/3 du PIB mondial se sont engagés à baisser d’au moins 30 % leurs émissions de méthane d’ici à 2030. Or, pour ce faire, trois secteurs sont principalement concernés : l’agriculture (40 % des émissions de méthane liées à l’activité humaine), les énergies fossiles (35 %) et les déchets (20 %). Mais, si cette mesure est réellement suivie d’effets, l’ONU estime que, à elle seule, elle « permettrait d’éviter un réchauffement planétaire de près de 0,3 °C d’ici les années 2040. Chaque année, cela permettrait d’éviter 255 000 décès prématurés, 77 000 visites à l’hôpital liées à l’asthme, 73 milliards d’heures de travail perdues en raison de la chaleur extrême et 26 millions de tonnes de pertes de récoltes dans le monde ». Ça vaut donc la peine d’essayer !

Nouvelle-Zélande, Pays-Bas et Irlande se lancent dans l’aventure

Justement trois pays ont déjà annoncé qu’ils allaient tenter de se lancer dans cette aventure périlleuse, la Nouvelle-Zélande, les Pays-Bas et l’Irlande, dont les dirigeants ont réalisé qu’ils ne pourraient pas remplir leurs objectifs internationaux de diminution de gaz à effet de serre sans agir sur leur élevage qui, dans les trois cas, représente une part très importante de leurs émissions totales.

Ces trois pays ont donc « essuyé les plâtres », en faisant immédiatement face à un conflit frontal avec les agriculteurs et en particulier les éleveurs, aux conséquences en chaîne.

“La moitié des émissions de gaz à effet de serre de la Nouvelle-Zélande vient des pets et autres rots de ses 15 millions de vaches et de ses 26 millions de moutons”

Le premier à s’être lancé est le gouvernement de Nouvelle-Zélande, qui s’est aperçu que carrément la moitié de leurs émissions de gaz à effet de serre vient des pets et autres rots de ses 15 millions de vaches et de ses 26 millions de moutons… qu’il a donc décidé de taxer ! Le projet consiste à inciter financièrement les propriétaires d’élevages bovins et ovins à transformer leurs exploitations en forêts. Le gouvernement prévoit de réduire d’environ 20 % d’ici à 2030 les surfaces consacrées à l’élevage de bœufs et de moutons. Les fonds récoltés serviront à financer la transition et à faire des recherches pour réussir à élever des ruminants qui produisent moins de gaz à effet de serre. Un projet qui pourrait bien mettre en crise profonde l’économie de ce pays peu industrialisé par ailleurs, mais qui est actuellement le premier exportateur mondial de produits laitiers et où les produits agricoles et agroalimentaires représentent 57 % des exportations.

Les Pays-Bas ont suivi. Ce petit pays densément peuplé de 17 millions d’habitants, élève aujourd’hui 3,7 millions de bovins, mais aussi 11 millions de cochons et 100 millions de poulets. Son agriculture est très intensive, très polluante et très exportatrice.

LA LAKENVELDER EST UNE RACE BOVINE ORIGINAIRE DES PAYS-BAS QUE L’ON TROUVE AUX ÉTATS-UNIS SOUS LE NOM DE DUTCH BELTED. ON LA RECONNAÎT GRÂCE À SA ROBE NOIRE OU ROUGE SÉPARÉE EN DEUX PAR UNE CEINTURE BLANCHE AU NIVEAU DE L’ABDOMEN. CETTE RACE EST UTILISÉE À LA FOIS POUR SON LAIT ET SA VIANDE. © DICKELBERS, CC BY-SA 3.0

Dans ce cas, ils se sont fixés sur la production gigantesque de déchets azotés issus des déjections animales, beaucoup trop importante pour être absorbée par les sols agricoles. Rappelons que le protoxyde d’azote largement émis par la décomposition de ces déjections est, lui, 298 fois plus réchauffant que le gaz carbonique ! Le gouvernement estime que, pour lutter efficacement contre l’azote, il faut qu’un tiers des exploitations agricoles arrête ses activités, et qu’un autre tiers se reconvertisse, ce qui fait quand même 60 % des fermes. Cela veut dire que 30 000 à 50 000 entreprises agricoles du pays sont dorénavant en danger. Ils ont débloqué 7 milliards d’euros pour aider à la transition, et comptent en particulier sur le départ à la retraite des 60 % d’agriculteurs qui ont plus de 50 ans.

Résultat : pendant des mois, les professionnels ont occupé les routes du pays, multipliant les actions contre ces mesures. Une contestation qui a fait naître un nouveau parti politique, le BBB (BoerBurgerBeweging). Ce mouvement populiste a fédéré une vaste colère sociale du monde rural contre l’élite urbaine dirigeante, qui a rapidement payé dans les urnes. En mars 2023, à peine quatre ans après sa création, ce parti a raflé 16 % des voix, devenant le premier parti au Sénat. 

EN IRLANDE, UN TROUPEAU DE BÉTAIL DANS LE PÂTURAGE. © GRAFXART, ADOBE STOCK 

Et maintenant, c’est le tour de l’Irlande, qui a découvert que son élevage est responsable de 38 % des émissions de gaz à effet de serre de ce pays peu industrialisé. Il serait envisagé d’y faire abattre à terme 1,3 million de vaches, soit 22 % des vaches à viande et 18 % des vaches laitières, ce qui pourrait entraîner de l’ordre de 4 milliards d’euros de pertes pour l’économie et la disparition de 56 000 emplois. Pour commencer, on parle à court terme de 200 000 vaches… Un énorme revirement économique et politique, alors que justement ce pays a massivement investi dans le développement de son élevage après l’abandon par l’Europe des quotas laitiers, en augmentant de 40 % son cheptel dans les 10 dernières années, afin de développer considérablement ses exportations (qui représentent 90 % de sa production). Évidemment, les représentants des dirigeants agricoles protestent contre le fait que les éleveurs et l’agroalimentaire soient les seuls à pâtir de cette décision. Et ce, alors que les industries aéronautiques et du transport « continueraient de polluer tranquilles ».

En France, la Cour des comptes met les pieds dans l’étable

Et voilà qu’on commence à parler de ce sujet épineux en France ! La Cour des comptes a publié le 22 mai 2023 un rapport très complet et sans tabou (donc très provocateur) sur « Les soutiens publics aux éleveurs bovins ». Ses magistrats commencent par souligner l’importance économique majeure de cette activité : « En 2020, on dénombre 91 123 exploitations spécialisées en élevage de bovins (lait, viande et mixte) qui occupent 32,7 % de la surface agricole utile. En outre, 30 % des 3 864 000 vaches allaitantes (élevées pour la seule production de viande) en France et 16,4 % des 3 480 000 vaches laitières se trouvent dans d’autres types d’exploitation, classées en polyculture-élevage, en grandes cultures ou en élevage ovin ou porcin, par exemple… Il s’agit de l’activité agricole la plus soutenue par la Politique Agricole Commune, puisqu’elle reçoit 4,3 Md€ d’aides publiques par an ».

Elle constate que, « bien que les activités des éleveurs rendent d’autres services sociétaux et environnementaux de première importance : valorisation de terre non arables guère utilisables à d’autres fins que le pâturage, maintien des paysages ruraux qui contribuent à l’attractivité de notre territoire, maintien d’une activité économique dans la France rurale et contribution à une agriculture durable à travers le cycle des matières, le bilan de l’élevage bovin pour le climat est défavorable. Il est responsable de 11,8 % des émissions d’équivalent CO2, comparable à celles des bâtiments résidentiels du pays ».

Elle recommande de « mieux accompagner les éleveurs en difficulté en développement un dispositif d’aide à la reconversion », », ainsi que de « définir et rendre publique une stratégie de réduction du cheptel bovin, cohérente avec les objectifs climatiques signés par la France, en tenant compte des objectifs de santé publique, de souveraineté alimentaire et d’aménagement du territoire ».

Il se trouve qu’une bonne partie des agriculteurs, et en particulier des éleveurs, vont prendre leur retraite dans les 10 années qui viennent. S’ils veulent vraiment agir, les pouvoirs publics ont donc là une opportunité pour effectuer ces changements très impopulaires à relativement moindre coût social, en rachetant cheptels et équipements au moment des départs en retraite… Ces mesures seraient quand même très mal vécues dans les campagnes, où on est éleveur depuis plusieurs générations, et où certains enfants se préparaient à reprendre le flambeau, mais elles seraient quand même moins douloureuses que d’obliger des éleveurs en pleine activité à la cesser brusquement pour des raisons administrativo-écologiques… Rappelons que les agriculteurs, et singulièrement les éleveurs, sont une des professions où le taux de suicide est le plus important dans le pays.

Évidemment, la publication de ce rapport a été très mal reçu chez les éleveurs qui se sentent injustement stigmatisés, alors que cette profession est peu rentable et de ce fait, attend d’abord des soutiens renouvelés de l’État. Ils avancent que les magistrats et experts de la Cour des comptes ne connaissent strictement rien à leur profession, et font remarquer que, justement, la baisse de l’élevage est largement amorcée en France où on a perdu 3 millions de vaches et 2 millions de porcs dans les vingt dernières années. Ils demandent instamment de freiner cette évolution plutôt que de l’accélérer, d’autant plus que la baisse de la consommation française n’a pas été aussi importante, ce qui a conduit à une augmentation sensible des importations, en particulier de viande. Dans ces conditions, une politique volontariste de réduction du cheptel ne mènerait, selon eux, qu’à un déplacement et une augmentation des pollutions (les pays qui prendraient le relais étant souvent moins efficaces ou productifs), un affaiblissement de l’économie française, une augmentation de la dépendance alimentaire du pays et une nouvelle détérioration de sa balance commerciale.

Gageons que, instruits par les expériences douloureuses des pays qui ont annoncé se lancer dans cette aventure, et compte tenu des expériences passées (en particulier Bonnets rouges puis Gilets jaunes), et du climat social très détérioré, le gouvernement français actuel hésitera longtemps avant de se lancer dans ce genre de mesures.

Mais le problème reste entier, alors que chacun peut dorénavant constater l’accélération des conséquences catastrophiques du réchauffement climatique et comprendre l’urgence de l’action :

  • Comment créer un consensus social pour arriver à diminuer drastiquement les émissions de gaz à effet de serre, alors que des pans entiers de l’économie et du corps social en seront inévitablement affectés ?
  • Faudrait-il d’abord agir sur la demande ? Dans ce cas précis : inciter plus fortement les Français à diminuer beaucoup plus rapidement leur consommation de viande rouge (qui n’a baissé « que » de 20 % depuis le début du siècle) ?
  • Ou bien agir sur l’offre ? Dans ce cas, racheter massivement les troupeaux, étables et équipements des éleveurs qui partent en retraite pour les faire disparaître du marché, répartir les terres à d’autres agriculteurs pour d’autres usages, et tenter de limiter les importations et de créer de nouvelles activités économiques dans les régions concernées ?

Ce dossier, et tous les similaires, devraient marquer très fortement l’actualité sociale et politique des prochaines décennies. Mais rappelons que ce qui est vraiment en jeu, c’est la qualité de vie, voire la survie, de nos petits enfants.

 

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