Les partenaires internationaux doivent aider les pays les plus vulnérables du continent à s’adapter aux conditions météorologiques extrêmes pour éviter qu’elles ne deviennent encore plus perturbatrices.
Jihad Azour et Abebe Aemro Selassie
Le changement climatique fait peser de lourdes menaces sur les pays d’Afrique, en particulier sur les pays fragiles et touchés par des conflits. À l’occasion du sommet africain sur le climat – Africa Climate Summit 23 – qui se tiendra au Kenya du 4 au 6 septembre prochain, les dirigeants du continent doivent impérativement trouver des solutions pour soutenir ces pays vulnérables.
De la République centrafricaine à la Somalie en passant par le Soudan, les pays fragiles souffrent davantage des inondations, des sécheresses, des tempêtes et d’autres chocs liés au climat que les autres pays, alors qu’ils ont le moins contribué au changement climatique. Chaque année, le nombre de personnes touchées par des catastrophes naturelles est trois fois plus élevé dans les pays fragiles que dans les autres pays. Et deux fois plus de personnes, en pourcentage de la population, se retrouvent déplacées en raison de ces catastrophes. En raison de leur situation géographique, les pays fragiles enregistrent des températures plus élevées que dans les autres pays. D’ici 2040, ils pourraient connaître 61 jours par an de températures supérieures à 35 degrés Celsius en moyenne, soit quatre fois plus que les autres pays. Les épisodes d’extrême chaleur, ainsi que les phénomènes météorologiques extrêmes plus fréquents qui les accompagnent, mettront en danger la santé humaine et nuiront à la productivité et à l’emploi dans des secteurs clés tels l’agriculture et la construction.
Il ressort d’une nouvelle étude du FMI que le changement climatique entraîne effectivement des coûts macroéconomiques plus durables dans les pays fragiles. De plus, les pertes cumulées de leur produit intérieur brut atteignent environ 4 % dans les trois années qui suivent des phénomènes météorologiques extrêmes. En comparaison, ce chiffre est d’environ 1 % dans les autres pays. Les sécheresses dans les pays fragiles devraient faire baisser d’environ 0,2 point de pourcentage la croissance du PIB par habitant chaque année. L’écart de revenus entre ces pays et les autres continuera donc à se creuser.
Les événements climatiques ont des répercussions plus graves dans les pays fragiles non seulement parce que ces derniers sont situés dans les zones les plus chaudes de la planète, mais aussi en raison des conflits qui les touchent, de leur dépendance à l’égard de l’agriculture pluviale et d’une capacité plus faible à gérer les risques.
Les conflits empêchent les pays fragiles de bien gérer les risques climatiques. En Somalie, par exemple, les zones les plus gravement touchées par l’insécurité alimentaire et la faim causées par la sécheresse prolongée de 2021–22 étaient sous le contrôle de groupes terroristes qui ont entravé l’acheminement de l’aide humanitaire.
Conflits et faim
Par ailleurs, les chocs climatiques exacerbent les facteurs de fragilité, comme les conflits et la faim, et donc les effets qu’ils ont sur l’économie et le bien-être des populations. Nos estimations indiquent que dans un scénario d’émissions élevées, toutes choses étant égales par ailleurs, le nombre de décès dus aux conflits en pourcentage de la population pourrait augmenter de près de 10 % dans les pays fragiles d’ici à 2060. Dans ces pays, le changement climatique ferait aussi basculer 50 millions de personnes supplémentaires dans la famine d’ici 2060.
Les événements climatiques engendrent des pertes plus élevées en raison aussi de la dépendance des pays fragiles à l’égard de l’agriculture pluviale. L’agriculture représente près d’un quart de la production économique dans les pays fragiles, mais seulement 3 % des zones cultivées sont pourvues d’infrastructures d’irrigation comme les canaux ou les réservoirs. Les exploitations agricoles pluviales sont particulièrement vulnérables aux sécheresses et aux inondations. Lorsque des infrastructures d’irrigation existent, elles sont souvent mal conçues, laissées à l’abandon ou endommagées par les conflits.
Dans le centre du Mali, par exemple, les inondations le long du fleuve Niger sont en partie dues au fait que les agriculteurs fuient les combats et que les fossés de drainage tombent en ruine. Au Soudan, le projet d’irrigation de Gezira couvrait autrefois 8 000 kilomètres carrés de terres agricoles fertiles. Aujourd’hui, faute d’entretien, il ne couvre plus que la moitié de cette superficie.
Enfin, les pertes plus importantes dues aux chocs climatiques tiennent aussi au manque de moyens financiers. Les financements que requiert l’adaptation au climat dépassent largement les ressources propres dont disposent les pays fragiles et touchés par des conflits. C’est pourquoi les partenaires internationaux pour le développement doivent de toute urgence fournir un appui conséquent et durable – à la fois sous forme de financement concessionnel et de développement des capacités – afin d’éviter l’aggravation de la faim et des conflits, susceptibles d’engendrer des déplacements et des migrations forcés.
Considérations sur l’action publique
Les pouvoirs publics de ces pays peuvent intervenir de manière décisive pour faciliter la réaction immédiate aux chocs climatiques, par exemple en mobilisant plus de recettes intérieures pour constituer des réserves, en réduisant la dette et les déficits publics, et en accumulant des réserves internationales. En effet, d’après notre étude, les pays fragiles qui disposent de cette marge de manœuvre se remettent plus rapidement des événements climatiques extrêmes. Le renforcement des dispositifs de sécurité sociale et le recours aux régimes d’assurance sont également essentiels pour financer la reprise en cas d’événements catastrophiques. Les pays fragiles doivent par ailleurs mettre en œuvre des politiques visant à renforcer progressivement la résilience face au changement climatique, notamment en augmentant les investissements dans des infrastructures adaptées. Le FMI accroît son aide aux pays fragiles qui luttent contre les effets du changement climatique en fournissant des conseils stratégiques, une assistance financière et un programme de développement des capacités bien adaptés à leurs besoins. Notre stratégie est axée sur une meilleure compréhension des facteurs de fragilité, la conception de programmes adaptés, une intensification des activités de développement des capacités et la synergie avec d’autres partenaires qui mènent des actions dans ces pays. Nous apportons également un concours financier par le biais de facilités conventionnelles, de mécanismes de financement d’urgence et, plus récemment, de notre nouvelle facilité pour la résilience et la durabilité.
Les initiatives lancées par le FMI et celles des autres partenaires internationaux restent minimes par rapport à l’ampleur de l’action qui s’impose de la part de toute la communauté internationale pour protéger les plus vulnérables. Le sommet africain sur le climat pourrait être l’occasion d’approfondir les réflexions autour de l’atténuation efficace des effets dévastateurs des catastrophes naturelles et des sécheresses sur les populations et les économies du continent.
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