Economie

Les business angels africains appelés à prendre leur envol

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Dans une Afrique qui a soif d’entreprendre, d’exporter ses pépites et d’occuper tous les terrains économiques, plusieurs startupers se rejoignent sur un constat : l’écosystème des business angels est encore embryonnaire. Si en 2022, les startups africaines ont attiré plus de 5 milliards de dollars d’investissements (4,6 milliards d’euros), « seuls » quelque 400 millions sont attribuables à la contribution de business angels du continent. État des lieux.

Par Sabah Kaddouri I Enquête parue dans l’édition 73

” Les business angels africains ont clairement un rôle à jouer dans la course actuelle aux financements, dictée par la troisième révolution technologique : question de prise de conscience, d’abord, et de structuration ensuite “

Un exemple illustre le plafond de verre auquel est exposée une jeune pousse africaine en recherche de capitaux destinés à doper sa croissance et atteindre le statut de scale-up : celui de l’insolente réussite de Yassir, le « Uber algérien ». Cofondateur et directeur général de cette plateforme de transport à la demande et livraison à domicile, Noureddine Tayebi est parvenu à réunir en un peu plus d’un an l’équivalent de 193 millions de dollars (près de 175 millions d’euros) – soit l’une des plus importantes levées de fonds jamais réalisées par une entreprise native du continent – en invitant à son tour de table… des investisseurs anglo-saxons, « faute de relais financiers en Afrique capables d’injecter des sommes atteignant ce palier », déplore l’intéressé. Pour lui comme pour tant d’autres, les business angels africains ont clairement un rôle à jouer dans la course actuelle aux financements, dictée par la troisième révolution technologique. Une question de prise de conscience, d’abord, et de structuration ensuite. D’à peine cinq groupes basés en Afrique du Sud, au Nigéria et en Égypte en 2012, à plus de 105 cercles couvrant 54 pays africains, le réseau continental des business angels s’est considérablement étoffé et organisé au cours de la décennie écoulée. Aujourd’hui, l’African Business Angels Network (ABAN) recense plus de 5 000 investisseurs providentiels actifs, contre seulement quelques dizaines en 2012. Un chiffre qui traduit bien la popularité croissante de ce concept et son dynamisme sur le continent. Pour Fadilah Tchoumba, secrétaire de cet organisme panafricain, on commence enfin à assister à un changement de paradigme dans le milieu des affaires : « Les professionnels, les chefs d’entreprise à succès et les fondateurs qui ont les moyens, les compétences et l’appétit pour le risque sont désireux d’aider la prochaine génération d’entrepreneurs et d’investir dans des startups africaines afin de soutenir le développement économique de l’Afrique et gagner de l’argent ».

Noureddine Tayebi, Fondateur de la Startup Yassir ©Yassir

La Théorie du Ruissellement

Quand des structures comme Flutterwave (Nigéria), Wave (Sénégal), Yassir (Algérie), InstaDeep (Tunisie), Chipper Cash (Ouganda-Ghana) prospèrent, mécaniquement on peut parler de théorie du ruissellement, matérialisée par plusieurs facteurs mesurables : une plus forte exposition médiatique, une désirabilité accrue de l’Afrique et de ses cerveaux, sans oublier bien sûr l’impact sur l’emploi local, le niveau de richesse, etc. Un calcul qui n’échappe pas aux business angels africains. De fait, ce type particulier de capital-risque, reposant sur l’engagement personnel d’individus à consacrer une part de leur patrimoine personnel au capital d’entreprises innovantes, a aussi conduit à une plus grande diversité dans le profil des pourvoyeurs de fonds du continent. L’on assiste même aujourd’hui à l’émergence d’une représentation féminine dirigée par des groupes pionniers tels Dazzle Angels (Afrique du Sud), Rising Tide Africa (Nigéria), Future Females Invest (Maurice) ou DRC Impact Angels (République démocratique du Congo). Bien identifiés, ces acteurs prêts à s’engager financièrement doivent aussi être outillés pour investir pertinemment dans les sociétés en devenir et les secteurs clefs de l’économie. L’ABAN mène donc un travail en ce sens, dans l’optique de profiter au plus grand nombre.

Inspirer le changement

En partenariat avec le réseau de hubs africains AfriLabs, l’ABAN a lancé en 2021 Catalytic Africa, un fonds de dotation basé sur un modèle d’investissement novateur impliquant des réseaux d’angels investors et des centres d’innovation. Catalytic Africa cherche à réduire le risque d’investir et à faciliter les opportunités de croissance sur tout le continent en initiant des projets alimentés à la fois par des fonds d’investissement et des subventions ouvrant à des contreparties pour chaque investissement en capital réussi effectué dans une start-up participante. Autrement dit, une approche de co-investissement et de risque partagé favorisant les partenariats gagnant-gagnant. Si sa candidature est retenue par le comité du programme, l’entreprise recevra des fonds de contrepartie de cet instrument unique d’investissement dans des startups africaines, qui offre un développement puissant aux entreprises en démarrage sur le continent. « Nous nous activons afin de fournir à ces business angels potentiels les connaissances et le cadre nécessaires pour orienter leur argent dans des investissements alternatifs tels que des startups génératrices de valeur à grande échelle, tant sur le plan économique que social. Il existe de plus en plus de ressources et d’outils mis à leur disposition, à l’exemple de l’open source de l’ABAN, qui donne accès à l’ABC de l’investissement providentiel », développe Fadilah Tchoumba. Générer de la valeur, s’inscrire dans un cercle vertueux, inspirer le changement : des valeurs « game-changing », dont beaucoup se réclament.

” Autre chantier : s’atteler à rétablir l’équilibre dans une Afrique concentrant majoritairement des flux étrangers attirés par ses joyaux de la couronne ; un “problème” de l’aveu des réseaux de business angels panafricains “

Grande fortune d’Égypte à la tête du conglomérat familial INTRO Group – opérant dans l’immobilier et la construction, les services technologiques et médicaux, la vente au détail, l’énergie, la gestion des déchets… – Ayman Abbas est très actif dans le financement de projets autour des technologies vertes, éducatives et de santé. Le milliardaire fait valoir son esprit pragmatique autant que philanthropique : « Le manque d’accessibilité des ménages et petits commerçants aux ressources énergétiques – électricité et eau courante – pèse cruellement sur leur développement ; il nous faut donc subventionner en priorité les porteurs de projets proposant des solutions concrètes et créatives dans ces domaines. J’accorde une attention particulière aux entrepreneurs oeuvrant dans la production d’énergies alternatives, la transformation numérique, l’automatisation intelligente », confie le golden boy égyptien à Forbes Afrique.

Ayman Abbas, CEO du conglomérat familial INTRO Group © Droits Réservés

Mieux que le retour sur investissement : le retour sur la vie

À la question de savoir comment sortir du lot pour obtenir des capitaux de sa part, le business angel répond qu’il investit dans les gens avant d’investir dans les entreprises. Ayman Abbas insiste par ailleurs sur le fait qu’ « il ne faut pas prendre “non” pour réponse. Les startuppers doivent persister, développer une résilience à toute épreuve et croire en eux, en leurs rêves. Ils doivent également être fiers de leurs origines et de leur histoire. » Le plus beau retour sur investissement de ces business angels made in Africa n’est pas seulement corrélé au facteur financier ou à la rentabilité : il s’exprime tout autant dans la capacité tangible à améliorer la société. Lorsqu’on interroge l’homme d’affaires, il cite sans hésiter l’exemple de l’hôpital Al Nas, soutenu par toute sa famille : de nombreux enfants démunis souffrant de maladies cardiaques et originaires de toute l’Afrique y bénéficient d’un accès aux soins gratuit. « Ne me parlez pas de ROI – retour sur investissement – je préfère de loin le RFL (retour for life), le retour sur la vie ! », ponctue Ayman Abbas.

Le rôle des grandes fortunes et des institutions

Dans cette configuration, quels rôles peuvent jouer les grandes fortunes et les institutions pour faire de l’Afrique une place forte en termes de levées de fonds et d’investissements aptes à stimuler l’innovation ? La question mérite d’être posée aux décideurs politiques des quatre coins du continent. Pour l’ABAN, plusieurs outils à la disposition des gouvernements auraient la capacité de faire exploser l’apport de fonds dans les startups, notamment l’encouragement des flux capitalistiques par le biais d’incitations fiscales, et la création de véhicules de financement inventifs : par exemple un système basé sur les contreparties. « Le Nigéria dispose à lui seul de 16 milliards de dollars [près de 15 milliards d’euros, NDLR] de comptes domiciliés dans son système bancaire : imaginez si les possesseurs de ces comptes étaient incités à fournir 0,05 % de ce montant en financement à des startups locales à forte croissance ! » interpelle Fadilah Tchoumba. Effectivement, une telle puissance de feu transformerait l’écosystème des startups et pourrait débloquer l’innovation, la valeur et la création d’emplois dont tous les pays africains ont besoin pour être compétitifs sur l’échiquier mondial. Autre chantier : s’atteler à rétablir l’équilibre dans une Afrique concentrant majoritairement des flux étrangers attirés par ses joyaux de la couronne ; un « problème » de l’aveu des réseaux de business angels panafricains. Pour des raisons purement stratégiques, toutes ces entreprises à forte croissance devraient avant tout pouvoir s’appuyer sur des investisseurs du continent. Quoi qu’il en soit, chaque année, de grands progrès sont réalisés, encourageant les intéressés à poursuivre et accentuer leurs efforts.

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