TRIBUNE. La volonté d’innovation des dirigeants de grands groupes est manifeste. Comme le souligne Matthieu Courtecuisse, président sortant de Syntec conseil : « Nous rentrons dans une phase d’hyper-transformation ». Confrontés au rythme de la transformation digitale et aux nouveaux entrants qui grignotent leurs parts de marché, ces dirigeants ont conscience qu’un projet novateur peut avoir de forts impacts.
Ce ne sont pas les idées ou opportunités qui manquent, mais la capacité de réalisation. Convaincus par une idée issue d’un brainstorming interne ou suggérée par une entreprise de conseil en stratégie, ils lancent souvent le projet mais le concrétisent rarement. Ce qui fait défaut dans leur stratégie d’innovation, n’est ni la peur du risque, ni la volonté financière mais bien souvent le choix des armes. Accompagnés depuis des années par des cabinets de conseil en stratégie, c’est assez naturellement qu’ils se tournent vers eux pour mener à bien ces projets.
Si leurs expertises – et leurs honoraires – se justifient à bien d’autres égards, les cabinets de conseil n’ont pas l’expérience, les équipes, l’ADN pour monter opérationnellement de nouveaux business. Les corporates doivent cesser de mettre leurs projets dans le même panier et de restreindre leur vision au mode de pensée des acteurs du conseil. Si Richard Branson a réussi à créer un empire, c’est en lançant de nouvelles activités avec un ADN résolument entrepreneurial, et non en faisant appel à des tiers pensants.
L’analytique et seulement l’analytique
« Selon de récentes études, le marché naissant que vous visez est évalué à 1 milliard d’euros, en croissance de 10 % par an. Compte tenu de la concurrence et des capacités de développement interne, vous pouvez capter 20 % de parts de marché d’ici à 3 ans, soit un CA additionnel de 100 millions d’euros ».
Certes très caricatural, c’est grosso modo la façon de faire et de penser des spécialistes du conseil. Ils excellent dans leur capacité à analyser les opportunités de marché, à déceler les tendances naissantes et à projeter en chiffres ce qui n’est qu’un projet théorique sur présentation PowerPoint.
Cette faculté d’analyse macro-économique est évidemment indispensable mais elle doit être complétée d’une analyse terrain. D’une connexion à la réalité. C’est la première frontière que les cabinets de conseil ne pourront pas franchir. Toutes les start-up sont nées dans l’exécution, après une première analyse certes, mais la capacité des fondateurs à se lancer, à opérer, à pivoter, à fonctionner en réseau dans un écosystème est clé. Les consultants n’ont pas cette capacité.
Ils sont donc incapables de déceler les signaux faibles qui apparaissent toujours lorsqu’on se confronte au marché mais qui sont absents des études et des business plans.
Ces signaux qui font du positionnement, de la proposition de valeur et du « time to market » des succès et non des échecs.
Passer de 0 à 1
Voici la seconde frontière fermée aux acteurs du conseil.
Lancer une grande entreprise sur les rails d’un nouveau marché revient à monter une start-up agile au sein d’une grande structure, par nature, rigide.
Il faut donc commencer par modifier radicalement la façon dont l’équipe va opérer. Cette étape suppose de mettre les mains dans le cambouis. De faire et non d’expliquer comment faire et de favoriser l’itération pour avancer, quitte à défaire.
Depuis environ deux ans, les grands cabinets de conseil mettent sur pied des offres et des équipes censées jouer ce rôle. Mais le fait est qu’ils ne sont pas non plus des « doers ».
Même armés de consultants formés ou spécialisés, personne n’est mieux placé pour lancer un nouveau business que quelqu’un qui l’a déjà fait. On les appellera background, ADN, état d’esprit ou méthode… c’est bien de cette fibre entrepreneuriale que les corporates ont besoin pour qu’un projet passe de l’idée au concret.
Prise de risque nulle
Quoiqu’il arrive, les entreprises et leurs cabinets de conseil évoluent dans une relation client-fournisseur.
Ce n’est pas le genre de symbiose qui alimente l’esprit d’entreprendre et qui permet d’embarquer le corporate sur le bon cheminement et la bonne méthodologie. Dans cette relation, il n’y a pas de place pour la conviction ou la remise en cause et surtout il n’y a aucune association dans la prise de risque. Seul le corporate y fait face.
Et c’est un point fondamental. Car même en disposant de consultants brillants et engagés, ce n’est pas en réglant des honoraires de conseil que l’on met en œuvre une équipe soudée portée par des objectifs et des risques communs.
Certes, le corporate est libre de mettre fin au contrat et de se tourner vers la concurrence pour tenter à nouveau l’expérience. Entre-temps, le marché a bougé et le produit est devenu obsolète. S’associer à des entrepreneurs permet de s’entourer de talents expérimentés, et d’aligner les objectifs sur une période longue qui correspond à la durée de vie de ce nouveau business.
Du concret
La stratégie d’innovation au sein des grandes entreprises peut prendre différentes formes, selon la nature du projet, son ampleur, ses objectifs. Via l’interne par une démarche d’open innovation, d’intrapreneuriat ou de rachat, via l’externe par des cabinets de conseil ou des agences marketing ou par co-construction au travers des start-up studio.
L’innovation concrète est celle qui donne naissance à un nouveau business, celle qui engage hors de la zone de confort, celle qui crée l’adhésion et la conviction profonde. Il faut un peu d’analyse, beaucoup d’exécution et d’itération pour trouver la voie du succès. Pour que ce type d’innovation soit un succès, a fortiori dans une grande entreprise, je reste convaincu que celle-ci doit être aidée. Non pas accompagnée, orientée ou conseillée mais partie prenante d’un projet de co-création, de co-responsabilité et de co-actionnariat avec une équipe d’entrepreneurs, à succès ou non.
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