Diverses voies sont explorées comme l’alignement organisationnel, vu comme un levier puissant d’engagement ou la recherche d’un consensus qui s’avère plutôt être une illusion.
L’être humain n’est pas un rouage interchangeable dans une mécanique bien huilée. Contrairement aux fourmis ou aux castors qui répètent inlassablement les mêmes tâches depuis des millénaires, nous avons besoin de donner du sens à notre action, d’exprimer notre singularité et de nous sentir partie prenante d’un projet collectif.
Depuis l’aube de l’humanité, l’homme s’est distingué des autres espèces par sa capacité à coopérer et à créer des structures collectives complexes. Des Jeux olympiques à l’économie de marché, l’histoire regorge d’exemples de cette propension innée à bâtir ensemble. Mais comment, au sein d’une équipe, transformer une multitude d’aspirations individuelles en une vision fédératrice ? Comment passer du « je » au « nous », sans étouffer la singularité de chacun ?
Les limites des méthodes traditionnelles de management
Les méthodes traditionnelles de management, souvent calquées sur un modèle mécanique et analytique, peinent à répondre à ces questions. Elles s’apparentent à une tentative de transformer l’être humain en rouage d’une machine. Ces méthodes classiques, souvent résumées en trois étapes – diagnostic de la situation, définition d’un objectif global et élaboration d’un plan d’action – s’appuient sur une décomposition analytique du problème. Elles découpent le tout en parties, assignent des tâches spécifiques à chaque membre de l’équipe et mesurent la performance à l’aune d’indicateurs chiffrés. À l’inverse, lorsque nous prenons conscience de notre contribution unique à un dessein commun, nous devenons des acteurs engagés et créatifs, capables de se dépasser et d’innover.
Force est de constater que les pratiques dominantes en matière de définition d’objectifs peinent encore à intégrer cette dimension humaine et collective. Si ces approches présentent l’avantage de la clarté et de la structuration, elles se heurtent à plusieurs limites. La première est leur rigidité. En figeant un objectif dans le temps, elles négligent la dimension dynamique et évolutive des aspirations humaines. Comme le précisait Mary Parker Follett, pionnière du management participatif, nous n’agissons pas simplement pour atteindre un but fixe et immuable. Chaque action que nous entreprenons est une étape nécessaire vers un objectif plus vaste, qui lui-même fait partie d’un ensemble encore plus grand (« Creative Experience », de Mary Parker Follett, Martino Fine Books, 1924).
La seconde limite concerne la motivation des équipes. En imposant des objectifs descendants, ces méthodes classiques risquent de brider la créativité et l’engagement des individus. L’être humain aspire à exprimer sa singularité, à sentir que ses actions contribuent à quelque chose de plus grand que lui.
Enfin, ces approches classiques peinent à intégrer l’incertitude, pourtant inhérente à tout projet humain. Elles se construisent sur l’illusion d’un futur prévisible et contrôlable, alors que la réalité nous enseigne que les choses ne se déroulent jamais comme prévu.
L’approche effectuale : de l’aspiration individuelle à la vision collective
Face à ces limites, une autre approche constitue une alternative prometteuse. Plutôt que de partir d’un objectif global et de le décomposer en sous-objectifs, cette méthode invite les équipes à exprimer leurs aspirations individuelles et à les relier entre elles pour faire émerger une vision commune.
Ce n’est pas le tout qui se décompose en parties mais les parties qui font le tout. A l’image d’une arborescence dont les branches s’entremêlent et se nourrissent mutuellement, les objectifs individuels s’articulent pour créer un objectif commun, fruit de synergies inattendues. Ce n’est plus l’objectif qui dicte les moyens, mais les moyens qui, en se combinant, font émerger de nouveaux possibles.
Prenons l’exemple de Greenov, une startup imaginaire spécialisée dans la conception de mobilier urbain éco-responsable. Une approche classique conduirait l’équipe à analyser le marché, à fixer un objectif de chiffre d’affaires et à élaborer un plan d’action détaillé. Mais Greenov choisit une autre voie.
L’équipe se réunit et chaque membre exprime ses aspirations : Elise, la CEO, rêve de faire de Greenov une référence mondiale. Marc, le directeur commercial, vise des objectifs de vente ambitieux. Sophie, la designer, aspire à créer des designs uniques et inspirants. David, l’ingénieur R&D, se passionne pour les matériaux durables. Camille, la responsable marketing, souhaite développer une image de marque forte, et Pierre, le responsable logistique, vise l’optimisation des processus de livraison.
Plutôt que de hiérarchiser ces objectifs ou de les considérer comme indépendants, l’équipe explore les liens moyens effets qui les unissent. Les designs innovants de Sophie, combinés aux matériaux éco-responsables de David, renforcent l’image de marque travaillée par Camille et attirent une nouvelle clientèle, contribuant ainsi aux objectifs de vente de Marc. L’optimisation des processus logistiques de Pierre garantit des livraisons rapides et fiables, améliorant la satisfaction client et renforçant la réputation de Greenov.
L’équipe utilise ensuite les quatre questions de Saras Sarasvathy, pionnière de l’effectuation : « Qui sommes-nous ? Que savons-nous ? Qui connaissons-nous ? Que pouvons-nous faire ? » En mobilisant ses ressources et ses réseaux, l’équipe identifie des actions réalisables immédiatement : organiser un atelier de co-création avec des architectes et des urbanistes, participer à un salon professionnel, créer un site web attractif, mettre en place un système de livraison efficace et écologique.
Chacune de ces actions, réalisables avec les moyens disponibles, représente un pas en avant vers le futur désiré, un futur qui n’est pas figé dans le temps, mais qui se construit au fil des opportunités saisies et des collaborations nouées.
Cette agilité s’est révélée précieuse lorsque l’équipe a découvert, lors de l’atelier de co-création, une nouvelle technique de fabrication permettant de réduire considérablement l’empreinte carbone de ses produits. Ou lorsqu’elle a rencontré, sur le salon professionnel, un partenaire inattendu avec lequel elle a pu développer une gamme inédite de mobilier urbain connecté. Autant d’opportunités et de bifurcations qui n’étaient pas prévues dans le plan initial, mais qui ont permis à l’entreprise de renforcer son positionnement et d’accélérer sa croissance.
La logique effectuale permet ainsi à Greenov de se démarquer sur un marché concurrentiel, en transformant des aspirations individuelles en actions concrètes et en créant une dynamique collective positive. Elle démontre que la performance d’une équipe ne se mesure pas uniquement à l’aune d’indicateurs chiffrés, mais aussi sa capacité à co-créer de la valeur durable.
Approche classique vs. approche effectuale : un tableau comparatif
Le tableau suivant permet de comparer les approches et d’en synthétiser les principales différences :
En conclusion, la construction d’une vision fédératrice ne passe pas par l’imposition d’un objectif descendant, mais par la mise en synergie des aspirations individuelles. La logique effectuale offre un cadre pour libérer le potentiel créatif des équipes, en leur permettant de naviguer dans l’incertitude avec audace et confiance, et de construire un futur désiré, ancré dans le présent et ouvert aux possibles.
Par Harvard Business Review France
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