Or, pour être vertueux, le travail hybride demande d’être pensé et organisé dans toutes ses dimensions. Il faut penser à la fois l’espace de travail, le temps de travail et le lien de subordination, car toute transformation de l’un influencera les deux autres.
Télétravail, semaine de quatre jours, surveillance électronique : de nouveaux blocs redessinent l’architecture du salariat. Le fameux triptyque lieu, temps et modalité de contrôle doit bel et bien être réinventé.
Le travail à distance questionne le lieu de travail
Historiquement, les bureaux ont été conçus comme des lieux centralisés où l’activité du salarié s’effectue sous le regard de sa hiérarchie. Les lieux de travail s’inspirent alors du modèle de l’usine. La supervision est directe, les interactions synchrones. Ce modèle répond à une organisation hiérarchique parfaitement codifiée. Avec la mondialisation des systèmes productifs, mettant à distance lieux de décision et lieux de production, le fonctionnement de l’entreprise s’opacifie (« Réinventer le management des ressources humaines. Une métamorphose obligée », de Bernard Galambaud, Éditions Liaisons, 2014).
En 2020, c’est sous la contrainte que les dirigeants adoptent le travail à distance. Cette expérience insolite confirme que nombre d’activités sont susceptibles de s’exercer en-dehors des espaces de travail traditionnels. Cependant, la transition vers le travail à distance a été brutale et de nombreux progrès restent à réaliser pour en capter le plein potentiel.
La semaine de quatre jours questionne le temps de travail
La question du temps de travail est loin d’être nouvelle. Depuis le 19e siècle, le nombre d’heures travaillées diminue régulièrement dans les pays développés : en France, on est passé de 2 230 heures annuelles en 1950 à environ 1 600 heures en 2023, soit une réduction de près de 30 %. Cette baisse s’accompagne cependant d’une hausse continue de la productivité ; on produit davantage avec moins d’heures de travail.
Toutefois, cette semaine de quatre jours peut prendre deux formes : une semaine de quatre jours, avec une réelle réduction des heures, ou une semaine en quatre jours, où le temps de travail est comprimé. Si la première approche promet une avancée vers un travail plus humain, la seconde risque de nuire à la qualité de vie en intensifiant la charge sur quatre jours. Pour que la version « idéale » de la semaine de quatre jours réussisse, une préparation rigoureuse est essentielle, comme le montre l’expérience de l’entreprise LITA. Cette réorganisation va au-delà des horaires : elle exige de repenser les processus internes pour garantir performance et bien-être.
La discipline salariale, c’est historiquement du temps passé dans un lieu donné. Que se passe-t-il lorsque nous échappons à cette logique ? Dans le monde moderne, où les frontières entre le temps et l’espace physique de l’entreprise se dissolvent, que reste-t-il de cette discipline ? Aujourd’hui, surveiller électroniquement les collaborateurs – en suivant leur temps de connexion, leurs activités numériques, ou même leurs déplacements – est devenu courant, et cette pratique est souvent perçue comme une preuve de défiance. Cette surveillance soulève notamment des questions essentielles : où tracer la frontière entre vie privée et contrôle social dans le cadre professionnel ? (« Employee Surveillance Technologies: Prevalence, Classification, and Invasiveness », de Luc S. Cousineau, Ariane Ollier-Malaterre et Xavier Parent-Rocheleau, Surveillance & Society, 2023)
Cette question est essentielle car ce qui paraît enfermer pourrait, dans certains contextes, protéger. Dans des postes spécifiques, la surveillance pourrait ainsi faciliter le droit à la déconnexion, tout comme la sirène des usines d’autrefois marquait la fin de la journée de travail. À une époque où les technologies pénètrent toutes les sphères de notre vie quotidienne, les notifications incessantes, les e-mails et les réseaux sociaux sont devenus les « bourreaux de notre société ». Ces chercheurs décrivent ainsi le phénomène : nous ne sommes plus subordonnés à des managers directs, mais à des notifications. Ces alertes, qui s’imposent à nous, créent une nouvelle forme de subordination technique, une to-do list invisible qui dicte nos priorités (« Qu’est-ce que le digital labor ? », de Cardon et Casilli, INA, 2015).
Les dirigeants ont aujourd’hui une chance rare : réinventer un modèle de subordination qui date de l’ère industrielle et peine à évoluer depuis. Le véritable défi n’est pas de définir un « nombre de jours de télétravail », ou d’attendre d’une technologie la solution miracle à tous les problèmes. Il s’agit de repenser, en profondeur, le travail lui-même. C’est la clé pour éviter la fragmentation des équipes, la surcharge cognitive et la tentation d’une surveillance un peu trop envahissante.
« Réinventer le Travail » est une série en deux parties explorant les transformations profondes du monde professionnel. Le second article abordera les nouvelles formes de travail, en particulier le nomadisme digital, et la quête de sens et d’autonomie qui attirent un nombre croissant de travailleurs vers des modèles alternatifs.
PAR Harvard Business Review France
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