Mélèdje Maxime est ivoirien, 45 ans, célibataire avec 5 enfants, domicilié au quartier Koweït, à Yopougon à Abidjan (Côte d’Ivoire). Il a tenté de rejoindre l’Europe. Malheureusement pour lui, il n’aura pas la chance de trouver l’eldorado tant recherché. À la suite une dépression due aux nombreuses difficultés il va se retrouver avec un AVC (Accident vasculaire cérébral). Désabusé par cette expérience sombre, Mélèdje Maxime s’est reconverti en cordonnier, pour survivre. Dans cette interview, notre ancien migrant nous raconte son histoire et lance un appel à tous ceux qui veulent s’engager dans cette entreprise périlleuse.
Par Narcice Kouadio, Abidjan
Mélèdje Maxime, bonjour. En quelle C’était en quelle année aviez-vous décidé de quitter la Côte d’Ivoire pour rejoindre l’Europe ? Et qu’est-ce qui vous a motivé dans cette aventure ?
J’ai décidé de partir en Europe en décembre 2016. C’est un frère à moi qui est allé à l’aventure. Il m’a assuré via ma grand-sœur que ça va chez lui et que moi aussi, je pouvais partir à l’aventure. Et ma grand-sœur m’a dit : ‘‘ton frère Julien est parti à l’aventure, ça va pour lui. Donc, si tu veux, je peux t’aider’’. C’est ainsi que je suis parti à l’aventure comme ça. Je me suis levé un matin, j’ai pris mon passeport, j’ai dit à mon frère Akpa, il m’a accompagné jusqu’à Nouakchott (capitale de la Mauritanie) et il est retourné en Côte d’Ivoire. J’ai continué jusqu’à Nouadhibou (ville Mauritanienne).
Quelle était votre condition de vie lorsque vous acceptiez la proposition de votre sœur d’aller à l’aventure en Europe ?
J’étais au port de pêche à Abidjan. C’est là-bas que je travaillais pour gagner mon pain. Donc, quand ma grand-sœur m’a dit ça, ça m’a fait réfléchir, après je me suis lancé, et c’est comme ça, c’est parti. Maintenant, arrivé à Nouakchott, on appelle le frère en question, Julien. Je lui dis, nous sommes arrivés à Nouakchott, on fait comment ? Il dit, il va nous mettre en contact avec un monsieur qui est au Maroc, malheureusement ça n’a pas marché. Car ce monsieur nous a menti, et je n’ai pas pu aller au Maroc. Je ne veux pas rentrer dans les détails.
En choisissant de passer par la Mauritanie, quelle était votre destination finale ?
En fait, j’ai voulu passer par la Mauritanie, transiter par le Maroc et rentrer en Espagne.
Puisque vous n’aviez pas pu aller au Maroc et rejoindre l’Espagne, comment avez- vous vécu durant votre séjour en Mauritanie ?
Je suis allé en Mauritanie en décembre 2016. Je suis sorti de là-bas en mai 2017. Il faut dire que depuis Abidjan, je faisais la peinture. Donc là-bas également, j’exerçais mon métier de peintre. J’ai aussi travaillé dans une usine de fabrication d’aliments de poulets. Grâce à ce travail, j’ai épargné quelques sommes d’argent que j’ai pris pour essayer de rentrer en Tunisie.
Aviez-vous été victime de maltraitance en Mauritanie ?
Non. La Mauritanie, c’est un pays qui aime les Ivoiriens. Quand tu rentres en Mauritanie, tous les Mauritaniens t’accueillent bien.
Revenons sur votre voyage en Tunisie. Pourquoi avez-vous décidé d’aller dans ce pays ?
Un cousin m’a dit de venir le trouver en Tunisie. Là-bas, je pourrais rentrer facilement en Italie. Je lui ai dit moi, je n’ai pas assez d’argent, mais que j’ai seulement l’argent de billet d’avion. Il m’a dit ok, si tu as l’argent de billet d’avion, il faut venir, je vais gérer le reste à l’aéroport. J’ai hésité, mais il m’a convaincu. J’ai payé le billet d’avion.
Qu’est-ce qu’il s’est passé après avoir payé votre billet d’avion ?
Quand je suis arrivé à l’aéroport de Tunis, après le contrôle, la police m’a demandé de lui remettre l’argent que j’avais dans ma valise. J’ai menti en leur disant que je n’ai pas d’argent dans ma valise. Ils m’ont obligé à fouiller ma valise pour leur remettre l’argent. Quand ils n’ont rien trouvé, j’ai été gardé 3 jours durant pour cette raison. Après quoi, j’ai été rapatrié en Mauritanie.
Quel sentiment vous a animé de voir votre rêve de rejoindre l’Italie se briser ?
J’étais très abattu, mais pas totalement découragé. Quand je suis revenu en Mauritanie, j’ai repris mes activités de peinture. Et un ami m’a dit : ‘‘allons à Bissau’’. Je lui ai dit ok, si c’est Bissau, il n’y a pas de problème, là-bas, ils font ‘‘zamou’’ (Fétiches) pour les voyages, on pourra réussir. C’est ainsi que nous sommes partis un matin. On a dormi à Nouakchott. Nous avons rejoint Bissau en passant par le Sénégal.
Une fois en Guinée-Bissau, votre objectif de rejoindre l’Europe était-il encore le même, ou bien les choses ont évolué ?
Oui, quand on est arrivé en Guinée-Bissau, on a commencé à faire les activités de gauche à droite pour avoir un peu d’argent en vue de réaliser notre projet. Comme je l’ai dit tantôt, on est allé voir un féticheur. Il nous a dit ‘‘ah, voilà ! vous devez faire des sacrifices. Après les sacrifices, ta maman va mourir et tu vas rentrer facilement en Europe’’. Je lui ai dit que je ne pouvais pas faire cela, et puis, j’ai laissé tomber cette affaire de fétiche.
Quand vous avez abandonné le féticheur, que s’est-il passé après ?
J’ai continué dans les petites activités pour avoir un peu d’argent dans l’espoir de poursuivre mon rêve. Mais je constatais que tout ce que je faisais échouait. À force de beaucoup réfléchir, je suis tombé dans la dépression et j’ai été terrassé par un AVC.
Voudriez-vous parler de cet AVC ?
En fait, à un moment donné, j’avais tout dépensé, donc, je pensais trop. Un jour, j’ai soudainement eu un violent mal de tête. J’avais une forte migraine, pendant que j’étais sur mon vélo en train de vendre mes marchandises. À mon retour de vente, j’ai senti quelque chose en moi dont je n’arrive pas à expliquer. Quand j’ai voulu descendre de mon vélo, j’ai constaté que je ne pouvais pas marcher. C’est un boutiquier qui m’a aidé à pouvoir rentrer chez moi.
C’est là le motif de votre retour à Abidjan ?
Oui, tout mon argent était fini ! Je l’avais tout dépensé dans mes soins. Je ne peux pas évaluer la somme, mais c’était toute mon économie. J’ai donc fait appel à ma grand-sœur ici à Abidjan et elle m’a expédié 200.000 FCFA pour pouvoir revenir à Abidjan. Je suis rentré à Abidjan étant toujours malade. Mon côté gauche était paralysé. Néanmoins, j’arrivais à marcher grâce aux médicaments traditionnels que j’utilisais pour mon traitement (…) Quand je suis revenu en Côte d’Ivoire, ma grand-sœur qui m’a encouragé à l’immigration m’a conduit à l’église pour qu’on prie pour moi. Elle m’a confié à un pasteur. Chaque jour, ce pasteur priait pour moi. Elle aussi elle priait. C’est ainsi que j’ai obtenu ma guérison.
Comment viviez-vous après votre retour au pays, sinon après votre guérison ?
Je vivais au jour le jour. Quand je suis revenu au pays, je n’avais pas d’activité. Je devais faire la manche pour pouvoir manger. Et un jour, un Monsieur m’a dit : « il y a beaucoup de choses à faire. La cordonnerie, la couture, la blanchisserie, etc. » J’ai choisi la cordonnerie parce que c’est un métier qui n’a pas besoin qu’on sache lire ou écrire pour apprendre. ‘‘C’est de là à là’’, pour parler comme chez nous. Ensuite j’ai fait un petit job qui m’a permis d’avoir un peu d’argent et j’ai débuté la cordonnerie sans l’aide de quelqu’un. Personne ne m’a appris la cordonnerie.
Combien vous rapporte cette activité au quotidien ?
Je ne peux pas dire que ça me rapporte beaucoup d’argent, mais ça me permet de me nourrir.
Nourrissez-vous encore l’ambition de repartir à l’aventure ?
Non ! Il est vrai que l’aventure est bonne, mais la voie utilisée n’est pas la bonne. Il est bon d’y aller par la voie légale.
Quel message souhaiteriez-vous adresser à l’endroit des âmes généreuses qui pourraient vous aider à agrandir votre activité de cordonnerie mais aussi à tous ceux qui souhaitent aller à l’aventure en Europe ?
Je demande à toute personne qui va m’écouter ou me lire s’il a la possibilité de m’aider à agrandir cette activité, qu’elle m’aide. Avec 1,5 million FCFA, ça pourrait m’arranger. Maintenant, à tous ceux qui veulent se lancer dans cette aventure à l’hexagone, surtout les jeunes, je voudrais leur demander d’entreprendre les démarches dans la légalité. Il y a trop de souffrance dans l’immigration irrégulière. Au mieux, je leur demande de faire comme moi, chercher à investir dans une activité ici. Avec l’aide de DIEU, ils pourront plus tard voyager normalement comme ils le veulent !
Interview réalisée par Narcice Kouadio
(Afrik Management/ Novembre 2024)
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