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Vous ne devriez pas proposer de l’aide à vos collègues !

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Russell Johnson, de l’université d’Etat du Michigan, et son équipe ont demandé à des managers de consigner durant dix jours l’aide qu’ils avaient apportée à leurs collègues et leurs réactions. Ils ont observé que, si une personne proposait son aide spontanément, elle recevait moins de marques de gratitude que si on l’avait sollicitée. De plus, un jour après avoir offert une assistance proactive, les participants se sentaient moins sociables et moins impliqués dans leur travail.

Russell Johnson : Nos travaux montrent en effet qu’il faut être très prudent quand on propose spontanément son aide. On dit beaucoup qu’il faut se montrer volontiers serviable, notamment avec ses collègues. Or il est important d’admettre que le temps et l’énergie employés à les aider (et que vous n’allouez donc pas à votre propre travail) ne sont pas nécessairement appréciés. Dans la plupart des cas, selon notre enquête, le bénéficiaire ne témoigne aucune gratitude : vous ne récoltez donc pas les bienfaits psychologiques qu’il y a à rendre service. Même vingt-quatre heures après, vous vous sentez moins ouvert aux autres, moins coopératif et moins stimulé par votre travail.

HBR : Mais si on remarque un collègue en difficulté, ne faut-il pas quand même se manifester ? Sans s’inquiéter de savoir si cette aide nourrira ensuite un sentiment agréable ?

Mes coauteurs – Hun Whee Lee, Jacob Bradburn et Chu-Hsiang Chang, de l’université d’Etat du Michigan, et Szu-Han Lin, de l’université du Massachusetts à Amherst – et moi-même conseillons d’y réfléchir à deux fois. D’abord, en tant qu’observateur extérieur, il se peut que vous ne compreniez pas pleinement le problème rencontré par votre collègue. Votre jugement peut être obscurci par des biais tels que la projection ou la perception sélective. Il vous faudra sans doute user de nombreuses ressources cognitives pour comprendre ce qui se passe réellement, sans garantie de donner à votre collègue l’aide dont il a réellement besoin. Deuxièmement, il préférerait peut-être résoudre la difficulté seul et tirer des leçons de son expérience. En intervenant sans qu’il vous l’ait demandé, vous risquez de menacer son autonomie et sa maîtrise de la situation et, donc, de diminuer son estime de soi. Nos deux études de suivi, menées auprès de 500 Américains travaillant à plein temps, nous ont confirmé ces deux phénomènes. Ceux qui avaient apporté leur aide spontanément disent avoir eu plus de difficultés à cerner le problème rencontré que ceux dont l’aide avait été requise. Et, dans l’ensemble, ceux qui avaient reçu de l’aide étaient plus susceptibles de se sentir menacés si celle-ci n’avait pas été sollicitée. Dans ces cas-là, en plus, l’aide a été moins efficace. Pas étonnant, donc, que ceux qui ont apporté leur concours n’aient pas été remerciés !

Peut-on contourner le problème en faisant en sorte que la personne qui a besoin d’aide la demande ?

Mieux vaut demander « Est-ce que je peux faire quelque chose ? » et laisser votre interlocuteur répondre par oui ou par non. Le ton et le langage corporel jouent probablement beaucoup aussi. Ça n’est pas la même chose de proposer son aide sur un ton mielleux et arrogant que de le faire avec humilité et gentillesse. Mais nous n’avons pas étudié cette nuance.

La hiérarchie importe-t-elle ? Un patron n’est-il pas censé aider ses salariés et inversement ?

La hiérarchie pourrait avoir son importance. Nos travaux se concentrent sur les interactions entre individus d’un même échelon hiérarchique. Nous avons demandé à notre premier groupe – soit 54 personnes travaillant à plein temps dans divers secteurs et suivant, parallèlement, un MBA pour cadres – de nous décrire leur activité pendant dix jours ouvrés consécutifs, via un questionnaire en ligne. Ils ont rapporté 232 cas d’aide offerte à des collègues. Dans les études de suivi, menées via Mechanical Turk (plateforme de microtravail d’Amazon, NDLR), nous avons posé des questions similaires sur l’aide reçue ou apportée. Nos résultats n’auraient peut-être pas été les mêmes si nous nous étions penchés sur la dynamique supérieur-subordonné. Je l’ignore. Un supérieur qui vous aide sans que vous l’ayez demandé, c’est de l’aide ou de l’ingérence ? Un subordonné qui intervient de lui-même fait-il son travail ou sape-t-il le pouvoir et le statut de son manager ? Ou est-il juste en train de fayoter ?

Quelles conséquences pour ceux qui sont au contact du client ? Faudrait-il demander aux commerciaux d’être réactifs plutôt que proactifs ?

L’aide qu’on s’apporte entre collègues, qui est l’objet de notre étude, est facultative. Aider un client est un peu différent, ça fait partie du job. On attend donc de vous une certaine proactivité et, quelle que soit l’aide apportée, il y a moins de chances que vous soyez remercié.

Y a-t-il des différences entre les hommes et les femmes ?

Nous n’en avons trouvé aucune. De nombreuses études montrent que, dans le travail, les femmes ont un sens du collectif et de la collaboration plus élevé que les hommes et que, si elles n’en font pas preuve, elles peuvent être pénalisées, puisque c’est ce qu’on attend d’elles. Mais la question de l’impact d’une aide réactive ou proactive ne semble pas être une composante liée au genre.

Votre étude porte sur l’aide d’une personne à une autre. Qu’en est-il pour un groupe ? Est-ce mieux ou pire ?

A mon avis, offrir une aide non sollicitée devant tout le monde amplifie le problème. La personne peut ressentir de l’embarras et sentir son ego plus menacé encore. Mais si vous repérez le problème auquel tout le groupe est confronté et que vous levez la main pour le résoudre, ça n’a rien de mauvais en soi. Cependant, ce sont vos motivations qui comptent, que votre cible soit un individu ou un groupe. Les études montrent que, si vous n’aidez pas par altruisme mais parce que votre supérieur est là et que vous voulez faire bonne impression, vous générerez des réactions négatives. Cela dit, après avoir étudié de près des centaines d’interactions pour analyser les motivations de l’aidant – agissait-il par souci d’autrui ou pour sa propre satisfaction ? –, nous nous sommes rendu compte qu’elles n’avaient aucun effet sur la forme d’aide apportée ni sur les marques de gratitude reçues.

Qu’en est-il de la culture d’entreprise ? Peut-elle jouer un rôle en légitimant l’aide proactive ?

Nous n’avons pas interrogé nos participants sur cet aspect de leur entreprise. Mais il serait intéressant de savoir si les résultats diffèrent selon que la culture est coopérative ou compétitive, ou selon que l’organisation est horizontale ou très hiérarchisée. Voici la recommandation que nous donnons à tous les managers : encouragez les gens à se concentrer sur leur propre travail, expliquez-leur qu’ils n’ont pas besoin de se précipiter pour aider leurs collègues. Assurez-vous toutefois de créer un environnement dans lequel personne ne craint de demander de l’aide et où toute personne capable de l’apporter est à la fois accessible et prête à s’impliquer, dès lors que la demande a été formulée.

Cette étude vous a-t-elle incité à changer votre façon d’offrir ou de demander de l’aide ?

Je suis tuteur de doctorants : ma porte leur est toujours ouverte et j’essaie d’être toujours disponible pour eux. Mais c’est à eux de demander de l’aide. Je ne cherche pas à jouer les pompiers de service. Dans un lieu d’apprentissage comme l’université, je remarque parfois des étudiants en difficulté, mais je sais qu’ils préfèrent généralement trouver une solution tout seuls. Cela dit, quand je reçois de l’aide ou que je vois un étudiant en aider un autre, je prends la peine de l’accepter et d’exprimer ma gratitude à la personne qui a apporté son aide.

Par Harvard Business Review France

admin
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