Leadership

Le followership, face cachée du leadership

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Par Sylvie Deffayet Davrout

Avez-vous déjà entendu parler du « followership » ? Un terme peu attractif, auquel il serait temps de s’intéresser, tant il s’agit d’un levier pour mieux comprendre et améliorer la pratique du leadership.

 

Dans le domaine de la recherche et de la formation, l’étude de la relation d’influence entre un leader et ses followers est généralement centrée sur le leader. En d’autres termes, on se concentre sur les qualités et les compétences qu’un leader doit posséder pour être efficace. On appelle cela l’approche « leader centric ».

Cette perspective peut présenter l’avantage de gonfler le prestige du leader (artificiellement). Mais elle l’oblige également à contrôler totalement le comportement de ses followers. Tout se passe comme si toute la performance du leader, pourtant produite à plusieurs, reposait sur ses seules épaules ; une vision toute puissante du leader qui n’est plus d’actualité à une période où leaders et followers gagneraient à devenir des ressources d’apprentissage les uns pour les autres.

Parmi les promoteurs du followership, Robert E. Kelley, chercheur à la Carnegie Mellon University, montrait que les leaders ne sont responsables que d’environ 20% du travail qui est accompli dans une organisation. Dès 1988, il s’insurgeait contre cette vision incomplète et contribuera ensuite à documenter nombre de pistes pour mieux comprendre la part et la place des followers dans le succès des leaders et des entreprises (« In Praise of Followers », de Robert E. Kelley, Harvard Business Review, 1988).

S’intéresser au follower, c’est tenter :

– d’identifier pour quels motifs une personne décide de s’en remettre à un leader mais aussi

– de mieux comprendre, voire de prédire, comment elle va se comporter en conséquence

Follower et followership incontournables

Sans followers, il n’y a pas de leader ou de leadership. C’est bien le follower qui, en acceptant d’être dirigé, confère sa légitimité au leader. Le follower a donc un pouvoir que l’on aurait trop tendance à négliger. Il peut s’engager pleinement au côté du leader et ainsi accroitre le prestige de celui-ci ou à l’extrême inverse, s’opposer à ses demandes, face à un leader toxique par exemple.

Remettre le followership au cœur de l’équation replace le leader à des tentatives d’influence, qui, si (et seulement si) elles sont validées par les followers, consacre le leadership, mais ne met pas toute l’obligation de résultat sur le leader.

Etrange donc que la recherche ait consacré si peu d’énergie à l’étude du followership : Nicolas Bastardoz et Mark Van Vugt ont compté que dans tous les articles publiés dans The Leadership Quarterly à la fin de l’année 2017, seuls 8% utilisaient le terme « follower » (ou un dérivé) dans leur titre, contre 83% qui utilisaient le terme « leader ». Quant aux résumés de ces articles, 22%  faisaient référence au followership et 94% au leadership. (« The nature of followership: Evolutionary analysis and review », The Leadership Quarterly, 2019)

Heureusement, la richesse de ces travaux sur le followership permet de compléter l’information et la formation du leader dans le cadre de l’influence qu’il a à exercer. En outre, on ne peut demander aux autres de nous suivre si on ne sait pas comment fonctionne (pour nous) ce mécanisme de followership. Il est en effet évident que Leader et Follower se nourrissent l’un l’autre.  Mais revenons au « follower » et au « followership » : de quoi s’agit-il exactement ?

Le follower, un être humain qui choisit

Le follower est défini comme une personne qui adopte les objectifs du leader temporellement (indications par exemple) ou structurellement (autorité d’un parent, d’un manager…) et qui accepte librement cette influence du leader. Et s’il accepte librement cette influence, c’est généralement parce qu’il s’agit à ses yeux, de la meilleure option ou stratégie parmi un ensemble d’autres alternatives (« Charisma: An Ill-Defined and Ill-Measured Gift », de John Antonakis, Nicolas Bastardoz, Philippe Jacquart et Boas Shamir, Annual Review of Organizational Psychology and Organizational Behavior, 2016).

Au lieu de considérer le follower comme un mouton qui suit aveuglément, il est important de le voir comme une personne qui fait des choix conscients. A image de l’« acteur » en sociologie, le « follower » exerce son intelligence :  « Les êtres humains ont une psychologie de follower flexible qui leur permet de sélectionner et de suivre le bon type de leaders dans les bonnes conditions, de déterminer un niveau d’engagement approprié et de passer du statut de suiveur à celui de leader lorsque cela s’avère nécessaire » (« The nature of followership: Evolutionary analysis and review », de Nicolas Bastardoz et Mark Van Vugt, The Leadership Quarterly, 2019).

La position de follower n’est donc jamais figée et s’inscrit dans une forme d’opportunisme lié aux situations.

Le followership : à la recherche des motivations et des comportements du follower.

Le followership et les comportements de followership correspondent donc à la volonté de s’en remettre à une autre personne d’une manière ou d’une autre, ou de déférer à un leader (« Follower-centered perspectives on leadership », de Raj Pillai, Michelle C. Bligh et Mary Uhl-Bien, 2007).

Pour D. Scott DeRue et Susan Ashford (2010) il s’agit en même temps d’accorder une identité de leader à un autre et de revendiquer une identité de follower pour soi-même (« Who will lead and who will follow? A social process of leadership identity construction in organizations », The Academy of Management Review, 2010). Autrement dit, si le leadership implique d’influencer activement les autres, le followership implique de se laisser influencer.

Mais, nous rappellent Raj Pillai, Michelle C. Bligh et Mary Uhl-Bien : « la théorie du followership n’est pas l’étude du leadership du point de vue du follower mais l’étude de la façon dont les followers perçoivent et agissent en tant que followers en relation avec les leaders ». (« Followership theory: A review and research agenda », The Leadership Quarterly (2013)

Pourquoi se positionne-t-on comme follower plutôt que leader ?

Les raisons qui nous font suivre un leader peuvent être nombreuses et surtout elles sont extrêmement variées. Une « paire de lunette » évolutionniste permet d’identifier pourquoi nous nous tournons vers une place de follower :

  • quand nous avons besoin de nous coordonner et de coopérer, car tout seul, nous ne pourrions pas survivre ;
  • quand nous manquons de motivation ou d’envie pour être le leader car le leadership implique du temps et de l’énergie, voire de la compétition ;
  • quand nous manquons de compétences pour être  leader (aptitude physique, compétences psychologiques ou techniques, capital social…).

En somme, nous agissons comme follower lorsque nous calculons que le coût estimé de prendre le leadership est plus élevé que celui de prendre la place de follower

Pourquoi suit-on un leader spécifique ?

Examinons maintenant les raisons qui nous font suivre une personne en particulier. Commençons par les plus objectives, c’est-à-dire que nous pouvons nommer car immédiatement accessibles à notre conscience:

  • parce que cette personne a une autorité statutaire sur nous ;
  • parce que c’est d’elle que dépend notre salaire, voire notre survie ;
  • parce qu’elle nous protège et/ou nous intègre dans son groupe. ;
  • parce que nous partageons son projet ou ses valeurs ;
  • parce qu’à ses côtés, nous apprenons beaucoup, faisons progresser notre carrière ou notre visibilité etc.

Mais il existe des motifs plus subjectifs : le besoin d’exister, le besoin d’être reconnu comme important ou encore le besoin d’appartenir à une communauté. Dans ces cas-là, on attend du leader qu’il réponde à ces besoins fondamentaux chez nous en tant qu’être humain.

Nous suivons ainsi les leaders pour des raisons conscientes, comme leur compétence ou leur vision, mais aussi pour des raisons inconscientes, liées à nos affects. Ces raisons inconscientes sont mal connues dans les entreprises, alors qu’elles sont essentielles pour comprendre la relation leader-follower. Des travaux récents éclairent toutefois ce domaine, en explorant les raisons personnelles qui poussent un follower à reconnaître l’autorité d’un leader. À suivre dans une prochaine chronique.

 

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