La confiance est un facteur clé de la croissance durable. La cultiver au sein de leur entreprise doit être une priorité pour les dirigeants ; pour attirer et fidéliser talents, partenaires et clients.
Pour croître durablement, une entreprise a besoin d’actionner deux catégories de leviers complémentaires : ceux du SMART tournés vers la performance (stratégie, finance, opération, marketing, etc.) et ceux du TRUST, tournés vers la confiance des parties prenantes (récit, réputation, culture, responsabilité politique de l’entreprise, etc.).
Car aucune stratégie, aussi bonne soit-elle, ne peut pleinement porter ses fruits sans un niveau élevé d’adhésion des clients, des salariés, des actionnaires, des partenaires ou du régulateur. Construire une confiance durable dans leur organisation doit donc devenir une priorité pour les dirigeants mis au défi de la résilience à court-terme et de la croissance à long-terme.
La confiance au cœur de la croissance durable des organisations
Lorsqu’il publie « La confiance et la puissance : vertus sociales et prospérité économique » en 1995, le déjà très célèbre universitaire Francis Fukuyama établit un lien de causalité entre le niveau de confiance existant au sein d’un pays et la richesse économique de ce dernier (« Trust : The Social Virtues and the Creation of Prosperity », Free Press).
Il démontre alors qu’il existe une corrélation entre les sociétés de confiance, c’est-à-dire les états dotés d’un fort niveau de cohésion sociale, et la capacité de ces derniers à faire émerger de grandes organisations économiques privées. Ainsi, la prospérité américaine au 20ème siècle trouverait sa source dans la vitalité du vaste réseau d’organisations volontaires (associations, fédérations professionnelles, syndicats, etc.) qui irrigue le pays. A l’inverse, la France ou l’Italie, dont les capitalismes seraient marqués par la présence incontournable de l’État dans un cas et de la famille dans l’autre, incarneraient aux yeux de Fukuyama de remarquables contre-exemples.
Mais ce qui est vrai à l’échelle d’un pays peut aisément se concevoir à l’échelle d’une entreprise. En effet, plus une organisation bénéficie d’un haut niveau de confiance parmi ses parties prenantes, plus vite elle se développe. Un capital confiance élevé rime alors avec une capacité à attirer les meilleurs talents, les meilleurs partenaires commerciaux, les meilleurs investisseurs et par une plus grande fidélité des clients dans la durée. Au-delà du simple accroissement de la performance, la confiance des parties prenantes participe aussi à générer une croissance plus durable permise par la diminution des externalités négatives.
Cette vision de l’entreprise fut notamment celle promue pendant des années par Danone sous la houlette d’Antoine Riboud puis de son fils Franck pour lesquels le développement de l’écosystème d’une organisation constituait une condition sine qua non d’un développement durable de cette dernière.
Le CEO face à l’enjeu de la confiance
L’exemple des Riboud nous rappelle que la gestion de la confiance des parties prenantes incombe avant tout au CEO et qu’il s’agit même de leur responsabilité première.
Pourtant, en pratique, les dirigeants ont une tendance naturelle à surestimer la confiance que les parties prenantes leur accordent. Ainsi, une étude menée en juin 2022 par PWC montre un écart important entre la perception des dirigeants et la réalité telle qu’éprouvée par les clients ou par les salariés (« PWC Consumer Intelligence Series on Trust », Juin 2022).
87% des dirigeants sondés pensent par exemple que leur organisation jouit d’un très bon niveau de confiance auprès de ses clients quand ces derniers accordent ce sentiment à l’entreprise en question dans seulement 30% des cas. Cet écart significatif se retrouve également avec les salariés auprès desquels 84% des dirigeants estiment que l’entreprise bénéficie d’un lien de confiance fort, chiffre qui tombe à 69% lorsqu’on interroge les salariés sur cette même question.
Un tel écart de perception peut aussi expliquer que, dans la pratique, les dirigeants se préoccupent souvent davantage de la défiance que de la confiance. Surestimant la confiance, ils lui accordent en effet de l’importance le jour où celle-ci vient à manquer, que ce soit quand le cours de bourse connaît une forte baisse ou quand une crise réputationnelle éclate. Dit autrement, ils gèrent le risque davantage que l’opportunité, oubliant que sans adhésion forte des parties prenantes, aucune stratégie de croissance ne saurait réussir.
Pourtant, de la même manière que les stratégies de développement ou d’innovation répondent à un business plan ou à une roadmap technologique, la construction de la confiance doit reposer sur une approche systémique, continue et proactive.
Il s’agit alors, puisque la confiance ne se décrète pas, d’agir sur les facteurs sous-jacents qui nourrissent celle-ci, notamment :
- La vision pour expliciter où va l’entreprise et le rôle qu’elle veut jouer dans son marché et dans la société
- La transparence pour rassurer sur ce que l’entreprise fait et surtout comment elle le fait.
- La consistance pour garantir cohérence dans le temps entre les paroles et les actes
- L’engagement car il est désormais attendu des entreprises qu’elles contribuent activement à l’amélioration de la vie en communauté.
Les leviers du TRUST au service de la confiance
Sur le plan opérationnel, les dirigeants ont à leur disposition deux catégories de leviers pour faire croître leur organisation : ceux du SMART, tournés vers la performance, et ceux du TRUST, tournés vers la confiance des parties prenantes.
Le SMART, théorisé par l’expert en management Patrick Lencioni, recouvre la stratégie, la finance, le marketing ou encore l’innovation. En 2012, il développe la conviction selon laquelle ces disciplines ne suffiraient pas à faire la réussite des entreprises sur le long-terme, le SMART étant selon lui devenu une commodité (« The Advantage : why organizational health trumps everything else in business », John Wiley & Sons).
A ses yeux, la différence fondamentale entre les entreprises qui réussissent et les autres tiendrait au contraire à ce qu’il appelle la santé de l’organisation. Une société serait alors saine lorsque le niveau de politique et de confusion au sein des équipes serait réduit au minimum. Par cette approche, Lencioni met en lumière que la performance n’est pas le seul critère dans la réussite d’une entreprise et que les facteurs humains et émotionnels jouent un rôle tout aussi important.
Mais si cette approche offre un nouveau cadre de réflexion, elle se limite à l’analyse des facteurs humains d’un point de vue organisationnel donc interne aux entreprises. Pourtant, la confiance s’applique bien au-delà des salariés, et inclut les clients, les partenaires, les fournisseurs, les investisseurs, les régulateurs et autres organisations non-gouvernementales.
Une approche plus holistique des enjeux de croissance nécessite donc de compléter le SMART par le TRUST dont les composantes peuvent être synthétisées en 4 blocs :
- Le récit, en tant que conviction directrice présidant au développement de l’entreprise, au sein duquel chaque partie-prenante doit trouver une place.
- La réputation, entendue comme la capacité à générer de l’engagement spontané de la part de son écosystème (investisseurs, partenaires, régulateur, etc.).
- La culture d’entreprise, qui fédère en interne et rend l’organisation attractive auprès de l’externe.
- La responsabilité politique de l’entreprise, qui permet à l’organisation de définir le rôle qu’elle souhaite jouer dans la société et sur lequel elle est légitime et pertinente.
Mettre le TRUST au cœur de son approche, c’est donc, pour un dirigeant, accepter qu’une stratégie, aussi bonne soit-elle, ne peut porter pleinement ses fruits sans un niveau élevé de confiance et d’adhésion de son écosystème. A l’inverse, un niveau faible de SMART (ex. une stratégie défaillante ou une mauvaise qualité d’exécution) entraverait assez vite les efforts du TRUST pour créer de la confiance dans l’entreprise et donc sa trajectoire de développement.
Appliquer les leviers du TRUST aux sous-jacents de la confiance c’est donc s’assurer que le récit, la réputation, la culture ou la responsabilité politique d’entreprise véhiculent vision, transparence, consistance et engagement.
Au quotidien, cela pourra se traduire pour les dirigeants par les actions suivantes :
- S’impliquer dans la construction d’un récit performatif à l’échelle de son secteur et de la société. Ni plateforme de marque, ni simple expression de la stratégie, le récit doit être pensé comme le point de rencontre entre l’entreprise et son écosystème. Pour créer de la valeur partagée, le récit doit être performatif c’est-à-dire entrainer des actions spontanées de la part de ses parties prenantes (appels entrants de partenaires tier one, réception de candidatures de qualité, etc.).
- Investir du temps dans la gestion de son écosystème. En tant que garant de la confiance dans l’organisation, le CEO ne peut pas déléguer la gestion des parties prenantes clés de l’entreprise. Il/elle doit donc consacrer un temps significatif à celles-ci ce qui nécessite de s’organiser et de s’entourer en conséquence. Un engagement important hors des murs de l’entreprise doit permettre de faire une pédagogie permanente du récit et ainsi de maximiser l’adhésion et l’engagement de son écosystème.
- Valoriser la cohérence entre les paroles et les actes. Les résultats fournis par le SMART serviront à démontrer la véracité et la force du récit porté par le dirigeant. En sanctuarisant des rendez-vous internes et externes au cours de l’année pour mettre en avant à la fois les promesses et les réalisations, le dirigeant crée une culture de confiance propre à son organisation.
- Adopter une responsabilité politique d’entreprise de façon à identifier les sujets sociétaux sur lesquels la société se pense compétente et légitime. La responsabilité politique viendra alors agir comme une grille de lecture et d’évaluation de l’ensemble des actions et communications de la société. Le fait que les Français placent, années après années, Décathlon et Blablacar en premières positions de leur marques préférées illustre la force de rassemblement de la responsabilité politique.
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