Marketing & Ventes

Le marché est-il guidé par l’évolution des sociétés ou celles-ci sont-elles la résultante du marché ?

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Par Jean-Pierre Blay

La compréhension des gestes anthropologiques dominants est une nécessité pour l’adaptation des entreprises aux exigences du marché.

A l’époque contemporaine, la révolution des transports et celle de l’information ont modifié la relation à l’espace, ouvert des marchés de plus en plus lointains et rapproché – grâce à Internet – le désir de consommation de sa résolution immédiate. Grâce à la technologie, le triple ressenti – vitesse, flexibilité, fluidité – procure un sentiment accru de liberté qui joue sur les comportements au travail et dans la sphère privée qui, eux-mêmes, ont influencé les productions industrielles.

La production sous l’influence des comportements

La compréhension des gestes anthropologiques dominants est une nécessité pour l’adaptation des entreprises aux exigences du marché. Les idées qui donnent forme aux objets sont la résultante de l’identification de ces gestes. La séquence historique, qui a modifié les offres du marché, commence au 19e siècle avec le train, et fonctionne toujours sur la relation du temps et de l’espace nécessaire au voyageur avec sa vêture, son bagage et les services d’information lui permettant d’agir sur son univers. La réservation, l’embarquement, l’identification constituent des étapes indispensables qui ont vu apparaître, voire disparaître, guichet, poinçonneur, bagagiste, pièces de monnaie… Aujourd’hui, tout semble converger vers une panoplie universelle composée de : smartphone, valise cabine à roulettes ou sac à dos avec housse protectrice pour notebook, doudoune ligne près du corps avec poches zippées et sneakers. Les collaborations des marques du luxe et des équipementiers sportifs vont dans ce sens en agissant seulement sur la variable du prix qui positionne le possesseur, de tout ou partie de ces attributs modernes, dans une catégorie enviable de consommateurs, ou d’autres plus ou moins satisfaites des matérialités qui les caractérisent.

Quels que soient le style de vie et l’activité professionnelle des individus, ils veulent ressentir dans leur déplacement : vitesse de résolution, flexibilité des options, fluidité de la démarche intellectuelle (chatGPT) ou physique (sneakers). L’identification de ces fonctions a aidé à une sorte de normalisation – indépendamment de la valeur d’acquisition du produit – qui a guidé les concepteurs de la production industrielle pour répondre à un marché mondial. Ainsi, l’Homme du 21e siècle se définit par des fonctions cognitives et motrices adaptées aux nécessités de l’époque pour s’habiller, se déplacer, se nourrir et communiquer. La modernité c’est, plus que jamais, la vitesse d’exécution.

Le smartphone : objet symbole de l’évolution des comportements

Né dans les années 1980 avec le fitness, sport effectué devant le miroir, le culte du corps a trouvé dans le « selfie » la satisfaction narcissique intégrée aux applications du téléphone portable. D’un glissement de l’index, on réalise un autoportrait. Et sportif ou non, on commande de la même façon, produits alimentaires et services pour répondre dans des délais supportables à nos insatiables motivations. Dans une même séquence : désir, choix, résolution s’accomplissent dans une fluidité absolue qui confine à l’immédiateté, car le marché s’y est conformé.

La couture en mode sport

L’apparition successive et assez rapprochée du train, du vélo, du métro, de la voiture, de l’avion (on pourrait ajouter l’ascenseur) dans le monde urbain a considérablement agi sur les façons de s’habiller. La recherche de l’encombrement minimal et de la réduction du poids des tissus ont contribué à l’accélération des déplacements pédestres et mécanisés.

S’habiller plus vite a diminué les formes de la passementerie et on est passé de vêtements boutonnés à des vêtements enfilés. Le jogging et la sneaker sans couture ni lacet de Balenciaga (« speed trainer » de 2016) sont les symboles de la sportivisation de la vêture citadine. La femme et l’homme modernes ont « citadinisé » les accessoires du sport pour passer insensiblement de leur domicile, au travail. Dior l’a compris en lançant en décembre 2021, une synthèse de pantalon de costume en flanelle à forme sportive, le « pantjog », rapidement accaparé par les marques de prêt-à-porter car correspondant aux normes et aux exigences d’un marché du vêtement pratique, élégant et jeune.

La gastronomie immédiate et connectée

Le long épisode de Covid-19 a relancé l’intérêt pour le confort du logis et les repas en famille. La qualité de vie liée aux nouvelles préoccupations de la nourriture bio a rapproché les millénials de la cuisine de leur grand-mère. Le savoir-faire s’étant perdu aussi sûrement que la patience et le temps libre pour jouer les tops chefs, le désir de bien s’alimenter s’est traduit sur le marché par l’arrivée du robot cuiseur connecté.

Après avoir glissé le doigt sur l’écran connecté, on suit le tutoriel. Comme dans un chapeau magique, on met dans le fait-tout du 21e siècle tous les ingrédients nécessaires dans un ordre précis, et il en sort un lapin aux morilles, ou toute autre recette proposée par le programme informatique actualisé. Le patrimoine culinaire est en l’occurrence sauvegardé, et l’Histoire du goût peut continuer. Le progrès n’est pas un obstacle aux traditions.

La voiture autonome

Grâce à cette « sportivisation » de la mode, le pédestre se faufile aisément d’un point A à un point B. Cette aisance fluide se traduit chez Tesla et Audi par la conduite autonome. En 2023, le concept-car de la série sphère d’Audi rend le conducteur inactif en escamotant le volant dans le tableau de bord où la commande vocale enregistre la destination et met l’engin électrique en action. S’il reste à obtenir les autorisations officielles, les constructeurs promettent que la fluidité du déplacement s’opèrera dans des allures sécurisées en conformité avec le trafic.

Le poste de travail flexible

La pandémie a recroquevillé les employés dans le cocon domiciliaire, et le sentiment du temps à soi a gagné sur celui du temps à consacrer à l’entreprise. Jared Spataro, Corporate Vice President, Modern Work & Business Applications chez Microsoft, observait après le confinement : « Les collègues ont changé du tout au tout, ils ne jurent que par un mot : flexibilité. » Le poste de travail est dématérialisé ou plus exactement démultiplié en autant d’endroits où officie l’employé. Cet environnement de travail hybride (site entreprise, domicile…) suppose entre les employés des connexions instantanées qui annulent la notion d’espace professionnel et instaurent un temps de travail quasi permanent en raison de l’exigence compensatoire de la disponibilité. Comprendre ce que veut le marché n’a pas eu pour seul effet de produire les objets ou les services qui permettent de le satisfaire (Amazon, Uber Eats, Acadomia…), mais aussi de modifier la structure des entreprises et la façon d’y être ou de ne pas y être : c’est la réponse envisagée dans un rapport Deloitte… en 2018 avant la pandémie !

La réflexion ou la résolution immédiate avec chatGPT4 ?

Tous ces domaines de l’action humaine ne quittent pas le champ historique. Ce que nous vivons est l’aboutissement d’un processus initié depuis la mécanisation des transports et qui s’est renforcé à l’ère de l’ordinateur individuel. L’évolution opérée, conjointement dans la concentration des données, le rôle du livre, les formations, le traitement des informations, a joué sur les comportements de « l’apprenant connecté ». L’étudiant de la génération Z trouve tout à fait normal que le professeur propose des contenus en ligne ; ce qui vide pourtant les amphithéâtres. Puis il envisage son smartphone, version 2010, comme une mémoire externalisée qu’il peut consulter « légalement » pendant les examens. Et le modèle de 2023 hisse cette mémoire virtuelle au niveau de l’intelligence artificielle qui résout dans l’instant les questions d’examen avec l’application chatGPT4. Au-delà de toute éthique, c’est que veut le marché de l’intelligence estudiantine de plus en plus artificiel.

« Les paradoxes d’aujourd’hui sont les vérités de demain » (Marcel Proust)

Il s’agit d’une évolution majeure dont on comprend le mouvement circulaire – marché évolutif, productions, gestes anthropologiques, motivations ou postures intellectuelles du consommateur – mais qui est devenu si intense que l’on ne peut en déterminer l’impulsion initiale ; même si on a compris que prévalait le « aller plus vite ». Ces éléments seraient comme unis par une force de gravité qui abolit l’espace et contraint notre civilisation au temps étroit, dans le sens où tout semble obéir à l’immédiateté. Or la compression de l’espace-temps ne s’accompagne pas toujours de la diminution des contraintes sociales (obligation d’aller au bureau, traiter seul un sujet d’examen…).

Mais, il semblerait que l’entreprise subisse dernièrement l’influence des préoccupations écologiques qui remettent en cause ce schéma. Dans les grands groupes, les chartes sur le respect de l’environnement, le recyclage, la faible consommation d’énergie, la santé de l’employé et celle du client positionnent les productions sur des perspectives temporelles plus longues, plus responsables, plus humaines. Cela annonce peut-être le « produire mieux et conformément aux environnements ». C’est un peu le sens du marché bio et, plus encore, de celui de l’électricité propre lequel réoriente déjà le marché de l’automobile vers les voitures hybrides accessibles aux classes moyennes. Dans cette espérance, il faudra notamment produire en circuits courts en relocalisant au nom du « produire made in France » ; ce qui ramène, d’une certaine façon, nos sociétés aux rythmes et aux fonctionnements de la Révolution industrielle.

 

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