Par Morgane Soulier
Les élections de 2024, dans plus de 70 pays, pourraient avoir un impact profond sur la démocratie et l’économie mondiale. Les entreprises doivent se préparer à ces changements.
En 2024, plus de la moitié de la population mondiale en âge de voter, soit plus de 3 milliards de personnes, participeront à des élections nationales dans plus de 70 pays. Cette année remarquable verra des scrutins décisifs dans des régions clés comme les États-Unis, la Russie, l’Inde, l’Union Européenne et le Mexique.
Cette convergence de scrutins majeurs promet de façonner l’avenir des marchés internationaux, des politiques commerciales, et de la gouvernance mondiale. À l’aube de cette année électorale sans précédent, les dirigeants d’entreprises du monde entier doivent se tenir prêts à faire face à une vague de changements politiques qui pourraient redéfinir non seulement le paysage géopolitique mais aussi les dynamiques économiques globales.
Ce contexte impose aux leaders une vigilance accrue et une réflexion stratégique pour anticiper et naviguer à travers les incertitudes. La compréhension profonde des implications des élections sur l’économie mondiale et sur les opérations commerciales est vitale. Ce n’est pas seulement une question de survie en des temps incertains, mais une opportunité de renforcer la résilience des entreprises, d’affirmer son leadership éthique et de contribuer positivement à la société.
Cependant, la préparation à ces élections se heurte à des défis sans précédent, notamment en raison de l’évolution rapide des outils d’intelligence artificielle (IA). Ces outils, désormais largement accessibles, pourraient alimenter la propagation effrénée de la désinformation et créer d’autres dangers pour la démocratie.
Le Monde entier en suspens
Toutes les régions du monde sont concernées.
- En Afrique, les électeurs d’Algérie, du Botswana, du Tchad, des Comores, du Ghana, de Mauritanie, de Maurice, du Mozambique, de Namibie, du Rwanda, du Sénégal, d’Afrique du Sud, du Soudan du Sud, de Tunisie ou encore du Togo seront appelés aux urnes pour des scrutins présidentiels et parlementaires. Ces élections pourraient façonner l’avenir politique du continent, influençant des décisions allant de la gouvernance interne à la politique étrangère.
- Dans les Amériques, un large éventail de pays, dont le Brésil, le Canada (dans certaines provinces), El Salvador, la République Dominicaine, le Mexique, le Panama, les États-Unis, l’Uruguay et le Venezuela, connaîtront également des élections.
- Au Mexique, l’élection de 2024 se distingue par la certitude qu’une femme sera élue présidente, une première historique dans l’histoire du pays. Cette élection représente un pas en avant significatif dans la représentation des femmes en politique, mettant en lumière les questions d’égalité des sexes dans la gouvernance mondiale.
- Aux États-Unis, la perspective d’un retour de Donald Trump sur la scène politique pourrait marquer un tournant significatif dans les dynamiques partisanes et la politique intérieure américaine.
- En Asie, le paysage électoral est tout aussi diversifié et significatif. Des élections générales auront lieu au Bangladesh, au Bhoutan, au Cambodge, en Inde, en Indonésie, en Iran, en Mongolie, en Corée du Sud, au Sri Lanka et au Pakistan. Ces scrutins influenceront non seulement la politique interne de ces nations, mais aussi les dynamiques régionales et internationales, notamment en termes de relations économiques, de sécurité et de diplomatie.
- Enfin, alors que le pays poursuit sa guerre contre l’Ukraine, la Russie devrait voir Vladimir Poutine briguer son cinquième mandat présidentiel, un événement qui, s’il se produit, soulèverait des questions sur la consolidation du pouvoir et la stabilité politique dans un contexte déjà tendu.
L’IA, nouvel acteur clé dans le processus démocratique
Dans un contexte géopolitique extrêmement précaire et complexe, l’avènement de technologies d’intelligence artificielle largement accessibles pose de nouveaux défis et son impact sur l’opinion publique et l’intégrité électorale est préoccupante.
En outre, les évolutions numériques ont ouvert la porte à la création et à la diffusion massives de désinformation. Des outils tels que les générateurs de deepfakes, les modèles de langage avancés, et les bots sur les réseaux sociaux pourraient être utilisés pour fabriquer et propager de fausses informations à une échelle inédite.
L’utilisation de l’IA dans la manipulation électorale n’est pas nouvelle, elle a joué un rôle notable lors des élections américaines de 2016, où les plateformes de médias sociaux ont été exploitées pour influencer l’opinion publique. Depuis lors, avec l’émergence de technologies avancées comme ChatGPT ou Midjourney, la création et la diffusion de fausses images et de narratifs manipulés sont devenues courantes, brouillant les frontières entre réalité et fiction. Elles ont désormais la capacité d’augmenter la puissance persuasive des campagnes de désinformation en s’intégrant de manière plus convaincante dans les environnements d’information des électeurs et en exploitant leurs identités raciales, religieuses et politiques. Elles pourraient être utilisées pour créer des interactions automatisées et personnalisées avec les électeurs, augmentant ainsi l’efficacité des tactiques de manipulation.
L’existence même de l’IA générative crée une atmosphère de méfiance, connue sous le nom de « dividende du menteur« . La possibilité de créer des contenus réalistes mais faux rend plausible toute allégation de falsification, même si elle est infondée. La lutte de Taïwan contre la désinformation illustre bien cette tendance. Face à une vague d’attaques informationnelles, souvent soutenues par des acteurs étatiques, Taïwan a mis en place des stratégies robustes de sensibilisation et de vérification des faits pour contrer la désinformation alimentée par l’IA. Cette approche proactive témoigne de l’importance de la littératie numérique et de la vigilance civique dans la préservation de l’intégrité démocratique.
En parallèle, dans les théâtres de guerre modernes, l’IA est devenue un outil stratégique, influençant les tactiques et les prises de décision. Les scénarios de conflits dans les pays baltes, par exemple, montrent comment l’IA pourrait être exploitée pour des frappes ciblées, des cyberattaques, et même pour l’utilisation de systèmes d’armes autonomes. L’intégration de l’IA dans les stratégies militaires pose des questions éthiques et stratégiques complexes, notamment en termes de prise de décision et de responsabilité.
Cet entrelacement de l’IA dans la politique, la désinformation et la guerre pose des défis sans précédent à la démocratie et à la paix mondiale. Il souligne la nécessité d’une réglementation éclairée et de mesures de contrôle pour assurer que l’utilisation de l’IA reste alignée sur les principes éthiques et démocratiques. Alors que nous avançons vers 2024, la compréhension et l’anticipation des implications de l’IA deviennent essentielles pour garantir des élections libres, équitables et transparentes, et pour maintenir l’équilibre dans un monde de plus en plus numérisé et interconnecté.
Des régulations attendues
Les efforts mondiaux pour réglementer l’intelligence artificielle (IA) reflètent une prise de conscience croissante des risques et des opportunités associés à cette technologie en rapide évolution.
À l’échelle internationale, des organisations comme les Nations Unies ont pris des initiatives significatives. L’ONU a par exemple créé un Conseil Consultatif sur l’IA, visant à exploiter les capacités de l’IA pour améliorer les services de santé publique et éducatifs tout en mettant en garde contre les risques d’inégalités et de désinformation (« Vers une éthique de l’intelligence artificielle », d’Audrey Azoulay, UN Chronicle, 2018).
Parallèlement, la Chine a lancé son Initiative de Gouvernance de l’IA, visant à promouvoir une utilisation éthique et respectueuse de l’IA tout en respectant la souveraineté nationale et en s’opposant à l’utilisation de l’IA pour manipuler l’opinion publique ou intervenir dans les affaires intérieures d’autres pays.
En Europe, le Règlement sur l’IA (AI Act) proposé par l’Union européenne représente un pas majeur vers l’encadrement juridique de l’IA. Ce règlement prévoit des interdictions spécifiques (comme l’usage de la reconnaissance faciale en temps réel dans les espaces publics) et des exigences d’évaluation et de divulgation pour certaines applications de l’IA, notamment dans la gestion des infrastructures critiques.
Outre ces initiatives, plusieurs pays et régions du monde, tels que l’Australie, le Japon, le Brésil, le Pérou, le Chili et la Corée du Sud, ont soit adopté, soit proposé des réglementations ou des directives pour encadrer l’utilisation de l’IA, en se concentrant sur des aspects tels que la protection des données, la vie privée, et les droits de l’homme.
Conseils aux dirigeants
À l’approche de cette année d’élections mondiales critiques, dirigeants d’entreprises et leaders d’opinion doivent se préparer à naviguer dans un monde économique profondément influencé par les résultats politiques. Les enjeux démocratiques ne sont pas simplement des événements lointains ou isolés, ils forment un terrain sur lequel les opérations commerciales, les stratégies de marché et les relations internationales se jouent.
Alors que les mouvements les plus marqués sur les marchés financiers ont été causés par des événements politiques plutôt qu’économiques, les élections peuvent changer les régimes fiscaux, redessiner les cartes commerciales, et remodeler les règles du jeu économique, ce qui requiert des entreprises qu’elles soient aussi politiquement sagaces que stratégiquement agiles (« Democracy Does Cause Growth », de Daron Acemoglu, Suresh Naidu, Pascual Restrepo, et James A. Robinson, Journal of Political Economy, 2019).
A titre d’exemple, Apple qui en 2022 a fait le choix de relocaliser ses sites de production en Inde, notamment suite aux tensions diplomatiques et commerciales entre les Etats-Unis et la Chine. Dans un communiqué, la firme à la pomme expliquait vouloir « atténuer les risques géopolitiques sur l’efficacité de l’approvisionnement en créant des sites de production en dehors de la Chine ».
En 2024, le monde pourrait être confronté à des changements politiques majeurs, en particulier si Donald Trump est réélu aux États-Unis et Vladimir Poutine se maintient au pouvoir en Russie. Ces deux figures politiques ont déjà marqué l’histoire mondiale, et leur impact sur l’économie globale et spécifiquement sur les entreprises françaises mérite une attention particulière.
La première présidence de Trump a été marquée par des politiques économiques protectionnistes, imposant notamment une taxe de 25% sur des produits, comme le vin ou le fromage. Une seconde présidence pourrait voir le retour de telles politiques. Pour les entreprises françaises, cela pourrait signifier des barrières commerciales plus élevées, affectant les exportateurs et les investisseurs et pénalisant les viticulteurs et autres artisans français.
De plus, la politique énergétique de Trump, favorisant les combustibles fossiles, pourrait compliquer la transition écologique des entreprises françaises opérant aux États-Unis, dans un contexte où l’Europe s’oriente vers une économie plus verte.
De son côté, la Russie sous Vladimir Poutine a montré une tendance à l’autoritarisme et à l’isolement international, exacerbée par le conflit en Ukraine. Une poursuite de ce régime pourrait signifier une continuation des sanctions économiques, affectant les entreprises françaises ayant des liens avec la Russie. Par exemple, les entreprises françaises dans les secteurs de l’énergie et de la construction pourraient voir leurs projets en Russie compromis ou leurs actifs gelés.
Dans ce contexte géopolitique particulièrement incertain, les dirigeants d’entreprises de toute taille et de tout secteur d’activité doivent préparer leur structure et leurs collaborateurs aux défis à venir :
- Éducation et formation : Sensibilisez vos employés aux risques de désinformation et aux outils de l’intelligence artificielle. Organisez des ateliers de littératie numérique pour renforcer leur capacité à discerner la désinformation et à adopter des pratiques de communication responsable.
- Analyse prospective : Évaluez les impacts potentiels des résultats électoraux sur votre secteur d’activité, notamment en termes de régulations, de politiques commerciales et de relations internationales. Préparez des stratégies de contingence pour divers scénarios électoraux.
- Veille stratégique : Restez informés des développements politiques et de leur influence possible sur la dynamique économique globale. Utilisez des outils d’analyse prédictive pour anticiper les tendances du marché.
- Engagement politique : Encouragez un dialogue ouvert sur l’importance de la démocratie et son influence sur le monde des affaires. Soutenez des initiatives favorisant des pratiques commerciales éthiques et alignées avec les valeurs démocratiques.
- Collaboration intersectorielle : Participez à des forums et des alliances avec d’autres entreprises pour discuter des impacts des élections et pour promouvoir un environnement économique stable et prévisible.
- Responsabilité sociale de l’entreprise : Affirmez votre engagement envers la société en soutenant des projets qui renforcent la démocratie et la participation civique, soulignant le rôle que les entreprises peuvent jouer dans la promotion d’une société juste et équitable.
En adoptant ces mesures, les dirigeants d’entreprise peuvent non seulement préparer leur organisation à l’incertitude liée aux élections, mais également contribuer positivement à la résilience démocratique et économique globale. Face aux scrutins de 2024, l’aptitude des leaders à forger des plans d’action réfléchis, à saisir les implications à long terme des changements politiques et à adapter leurs stratégies en conséquence, sera cruciale.
Les décisions prises aujourd’hui auront des répercussions qui s’étendront bien au-delà des cycles électoraux, influençant les opportunités de marché, les cadres réglementaires et la compétitivité sur la scène internationale. Les entreprises qui parviendront à évoluer dans ce paysage complexe pourront non seulement sécuriser leur avenir immédiat mais aussi façonner l’industrie et influencer les politiques économiques. Les élections à venir ne sont pas simplement des événements passagers, elles sont des catalyseurs potentiels pour une transformation profonde et significative.
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