Les dirigeants qui se distinguent favorablement selon quatre principes moraux affichent de meilleurs résultats financiers que les autres.
Lorsque nous entendons parler de dirigeants sans éthique et dont les carrières et les entreprises volent en éclats, nous ne sommes malheureusement guère surpris. L’arrogance et l’avidité affligent les êtres au point qu’ils finissent par perdre la puissance et la richesse qu’ils ont convoitées avec tant d’ardeur. Mais le contraire est-il également vrai ? Les dirigeants scrupuleux et leurs entreprises se distinguent-ils par des résultats particulièrement bons ?
D’après une étude récente de KRW International, un cabinet de conseil en leadership basé à Minneapolis, aux Etats-Unis, la réponse est oui. Les chercheurs ont constaté que les dirigeants dont la personnalité avait été bien notée par les employés, obtenaient une rentabilité des actifs moyenne de 9,35 % sur deux ans, c’est-à-dire près de cinq fois celle obtenue par les dirigeants mal notés, qui parviennent à peine à 1,93 %.
Quatre principes moraux universels
La personnalité a une dimension subjective qui a priori se prête mal à la quantification. Pour la mesurer, Fred Kiel, cofondateur de KRW, et ses collègues, ont commencé par passer en revue l’inventaire classique proposé par l’anthropologue Donald Brown, qui a recensé environ cinq cents comportements et caractéristiques reconnus, présents dans toutes les sociétés humaines. En s’appuyant sur cette liste, l’équipe de travail a identifié quatre principes moraux universels : l’intégrité, la responsabilité, la clémence et la compassion. Elle a ensuite adressé des sondages aux employés de 84 entreprises et organismes à but non lucratif aux Etats-Unis, en les interrogeant, entre autres choses et de façon anonyme, sur la façon dont leurs dirigeants et leurs équipes incarnaient ces quatre principes. L’équipe s’est également entretenue avec une grande partie de ces cadres et a analysé les résultats financiers des entreprises. En l’absence de résultats financiers, les scores des dirigeants n’ont pas été pris en compte.
LES NOTES DONNÉES AUX DIRIGEANTS
Les employés ont évalué leurs dirigeants sur la base de quatre traits essentiels. L’échelle des notes est sur 100 : 50 signifie que le dirigeant présente cette caractéristique « environ la moitié du temps », et 100 équivaut à « toujours ». L’écart entre les mieux notés (surnommés les « vertueux ») et les moins bien notés (les « égocentriques ») se manifeste à tous les niveaux.
Les « vertueux » défendent toujours ce qui est juste
A une extrémité du spectre, on trouve dix dirigeants que Kiel surnomme les « vertueux » : leurs employés leur ont attribué, ainsi qu’à leur équipe de direction, une bonne note dans chacun des quatre principes. Selon eux, ces dirigeants font souvent preuve d’une forte personnalité, en défendant, par exemple, ce qui est juste, en se montrant soucieux de l’intérêt commun, en ne se focalisant par sur les erreurs (les leurs comme celles des autres), et en manifestant de l’empathie. A titre d’exemple, on peut notamment citer Dale Larson, qui a hérité à la mort de son père d’une entreprise familiale de doubles portes, qui est passée en quelques décennies de 30 employés à plus de 1 500, et a conquis 55 % du marché ; Sally Jewell, l’ex-directrice générale de REI, la plus importante chaîne d’équipements d’extérieur aux Etats-Unis ; ou encore Charles Sorenson, un chirurgien qui a intégré la direction d’Intermountain Healthcare au début de son expansion, et qui a fini par en prendre la tête.
L’IDÉE EN PRATIQUE
Charles Sorenson, P-DG d’Intermountain Healthcare, est l’un des dirigeants les mieux notés de l’étude des personnalités orchestrée par KRW International. Il a confié à HBR ce qu’il a appris des résultats. En voici quelques extraits.
Pensez-vous que les principes mesurés par KRW – l’intégrité, la responsabilité, la clémence et la compassion – sont les bons ?
J’en ajouterais deux. L’un est la recherche de l’excellence. C’est toutefois en partie inclus dans la définition de la responsabilité, en tant que volonté de faire du monde un endroit meilleur. C’est particulièrement important dans le secteur de la santé. L’autre est le courage d’agir comme il se doit, quand bien même cela serait difficile ou douloureux. Pour faire évoluer un domaine aussi établi que celui de la santé, il ne faut pas avoir peur de prendre des risques.
Comment avez-vous mis en place les feed-back ?
Nous avons effectué quelques changements en matière de leadership : nous avons nommé des personnes qui incarnent ces valeurs. En médecine et en chirurgie, la plupart d’entre nous ne se souviennent que des cinq derniers épisodes de soins et, pour le reste, font des extrapolations erronées. Il est donc important d’avoir une mesure objective de notre culture et de nos comportements.
Qu’est-ce qui vous a le plus surpris dans les réponses ?
Nous devons nous améliorer… mais cela peut aller. Je me méfie toujours lorsqu’un bulletin scolaire est trop bon. Quelqu’un a écrit qu’il est parfois risqué d’exprimer un désaccord avec la direction. Or nous avons fait des progrès dans ce domaine… Cette remarque m’a donc un peu déçu. Je me souviens également d’un commentaire à propos d’attitudes conservatrices vis-à-vis des femmes : j’en ai été blessé. De nombreuses femmes formidables occupent des postes de haut rang.
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Les « égocentriques » déforment la vérité
A l’autre extrémité du spectre, les dix mauvais élèves, que Kiel surnomme les «égocentriques », sont souvent dépeints comme des personnes qui déforment la vérité pour servir leur intérêt personnel et qui se soucient principalement d’eux-mêmes et de leur propre sécurité financière, indépendamment des conséquences pour autrui. Ce groupe compte, entre autres, le directeur général d’un fabricant de haute technologie coté en Bourse, le directeur d’une ONG mondiale et un entrepreneur qui dirige une société de services (l’anonymat de chaque participant à l’étude a été garanti dès le départ, seul un tiers d’entre eux ont accepté, ultérieurement, de voir leur nom diffusé). Selon les employés, les dirigeants égocentriques ont dit la vérité « à peine plus de la moitié du temps », ils sont réputés pour ne pas tenir leurs promesses, ils rejettent souvent la faute sur autrui, ont fréquemment sanctionné des personnes pourtant bien intentionnées pour avoir commis des erreurs et sont particulièrement peu attentifs aux autres.
Les moins biens notés sont souvent dans le déni
Les dirigeants devant travailler sur leur personnalité en sont-ils conscients ? Dans la plupart des cas, non. Ils ont tendance à se faire des idées. Quand il leur a été demandé de s’évaluer sur la base des quatre principes moraux (l’intégrité, la responsabilité, la clémence et la compassion), les égocentriques se sont attribué des notes bien plus élevées que celles données par leurs employés (alors que les dirigeants bien notés se sont, eux, accordé des scores légèrement inférieurs à ceux qui leur avaient été attribués, signe de leur humilité et autre preuve de leur forte personnalité). Heureusement, fait remarquer Fred Kiel, les dirigeants peuvent prendre davantage conscience de leurs faiblesses en sollicitant des feed-back de leurs proches et de leurs collaborateurs. Cependant, il est nécessaire qu’ils soient réceptifs à ces retours. Or, ceux qui ont les plus grandes lacunes sont souvent aussi ceux qui sont le plus dans le déni.
Comment ces dirigeants peuvent-ils ne plus être dans le déni et surmonter leurs défauts ? Faire appel à des mentors de confiance et à des conseillers peut être d’une grande aide, d’après Fred Kiel.
Lui-même s’en est rendu compte assez vite au cours de sa carrière. Après un doctorat en psychologie, il a créé deux grandes cliniques et a brièvement pris la direction d’une société cotée en Bourse. A l’époque, admet-il, il ressemblait davantage aux dirigeants égocentriques qu’aux vertueux : « Bien que je n’aie jamais commis quoi que ce soit d’illégal, je suis sûr que nombre de mes collègues d’alors se sont imaginé que j’étais tout à fait prêt à les jeter sous un bus si cela avait pu assurer ma réussite. » Toutefois, à l’approche de la cinquantaine, il a ressenti un certain vide moral et spirituel et a su qu’il devait changer. La démarche a été longue et difficile, du fait qu’il cherchait à se défaire d’habitudes profondément enracinées. Grâce à des conseils et de la pratique, il a fini par y arriver et s’est mis en tête d’inciter les autres chefs d’entreprise à en faire autant.
Il est possible de faire évoluer sa personnalité
Comme le porte à croire l’expérience de Fred Kiel (et de ses clients), la personnalité n’est pas seulement quelque chose d’inné. Il vous est possible de la cultiver et de la perfectionner tout en dirigeant, en agissant et en décidant. Vos collaborateurs tireront profit de l’orientation que vous saurez donner. Et il est désormais prouvé qu’il en ira de même pour votre entreprise.
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