Les humains sont des créatures sociales : nous avons une forte propension à nous réunir en groupe. Instinctivement, nous divisons le monde entre « nous » et « eux », et nous traitons les autres très différemment selon la catégorie à laquelle ils appartiennent. Activer le ressort du « nous contre eux » est le plus vieux des outils de leadership. Dans le milieu des affaires, les effets peuvent en être formidables. Mais ils peuvent également être terribles et conduire à l’émergence de factions belligérantes en interne et au blocage de possibilités de collaborations en externe. Il est surprenant de voir le nombre de managers qui adoptent une attitude peu réfléchie dans le maniement de cet outil.
Dans les années 1970, le psychologue Henri Tajfel a élaboré le concept d’« identité sociale » – selon lequel l’identité d’un individu est en grande partie façonnée par l’allégeance au groupe. Dans les expérimentations qu’il a menées, les individus n’avaient besoin que d’un minimum de raisons pour s’identifier à un groupe avec suffisamment de force et se comporter de manière bienveillante envers ses membres (et de manière hostile envers les non membres). Dans l’une des études, par exemple, des garçons qui avaient été séparés en deux groupes après avoir indiqué spontanément leur préférence entre deux peintures (l’une réalisée par Klee et l’autre par Kandinsky) ont fait preuve d’un très grand favoritisme à l’égard des membres de leur groupe, et d’une attitude discriminatoire envers ceux de l’autre. Depuis, les chercheurs ont montré que, dans un environnement professionnel, lorsque des individus ont un fort sentiment d’être un « nous », il en résulte une amélioration du moral et de la productivité.
J’ai pu observer ce phénomène à de nombreuses reprises au cours d’une longue carrière passée à diriger des professionnels brillants et dévoués à l’entreprise. Mais bien évidemment, déclarer à un ensemble d’individus qu’ils forment une équipe n’est pas suffisant. Si les dirigeants souhaitent voir se mettre en mouvement ces énergies spontanées, ils doivent faire comprendre aux individus pourquoi ils existent en tant que groupe. Il est donc intéressant d’examiner les raisons pour lesquelles les groupes élaborent un sens du « nous » qui leur est propre, via la parenté, la mission ou l’existence d’un ennemi commun.
De nombreux environnements professionnels ont choisi par défaut une version du « nous » basée sur la fonction. L’identité partagée d’un groupe reflète une caractéristique commune à l’ensemble de ses membres – tous sont ingénieurs, ou bien tous sont radiologues. Le fait d’accomplir la même tâche dans les mêmes conditions de travail est suffisant pour construire un « nous ». Mais cela ne donne pas vraiment au groupe l’élan qui lui permettrait de rassembler ses énergies et d’agir avec audace.
Si vous souhaitez qu’un groupe aille de l’avant ou s’impose dans un environnement concurrentiel, il vaut mieux communiquer sur une mission enthousiasmante. « Notre travail est de nous assurer que ces immeubles sont aussi propres que ceux que nous souhaiterions pour nos propres familles » est le type d’objectif commun qui peut créer des liens entre des individus. « Notre mission est de fournir le meilleur service de soins de santé dans cet Etat » fournit aux individus un cadre pour leurs interactions et leur permet de travailler en collaboration et avec imagination. Assurez-vous que la mission est suffisamment convaincante et utile pour amener les membres de l’équipe à se soutenir les uns les autres.
Identifier un ennemi commun est le moyen le plus efficace d’insuffler du liant dans un groupe. Mais ce n’est pas sans danger. Lorsqu’il y a un perdant manifeste dans une situation donnée, une instabilité en découle : le perdant redouble souvent d’efforts pour renverser la situation et parfois même pour se venger. L’énergie déployée par les deux parties peut rapidement devenir purement destructrice.
La situation idéale se produit lorsqu’on réussit à créer un fort sentiment de « nous » sans alimenter d’animosité à l’encontre des « eux ». Ceci est délicat à mettre en œuvre, et, comme l’étude sur les fans de Klee ou de Kandinsky vous l’a peut-être montré, cela ne se produit pas de manière naturelle. C’est pourquoi nous devons, en tant que leaders, continuer à utiliser de nouveaux outils.
Je suis convaincu qu’un grand leadership au XXIe siècle relève d’une capacité à procurer un sentiment satisfaisant du « nous » à des groupes d’individus et à canaliser efficacement leur énergie collective vers de nobles objectifs. Tout le monde sera-t-il d’accord ? Peut-être pas, mais pour certains cela fera toute la différence. Donnons plus de pouvoir au « nous ».
Par George Halvorson
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